Les footballeurs-réformateurs (1/3) : Raymond Kopa, le pionnier

Dans cette série d’articles, nous vous proposons de revenir sur les footballeurs qui ont contribué à façonner le monde du football tel qu’il l’est aujourd’hui ; pas tant en raison de leurs buts ou de leurs trophées, mais grâce à leur mobilisation en dehors des terrains. Parce que le football est devenu un système économique à part entière et que les footballeurs en restent les principaux acteurs, ils se sont engagés, afin d’en corriger les défaillances. Aujourd’hui, place à Raymond Kopa.

Kopa, le premier footballeur star

Au sortir de la Seconde guerre mondiale, le football est encore loin d’être le sport le plus populaire en France. La boxe et les exploits passés de Marcel Cerdan, ainsi que le cyclisme et ceux à venir de Louison Bobet et de Jacques Anquetil, trouvent toujours grâce aux yeux des Français. Jusqu’à ce que l’hégémonie du Stade de Reims vienne changer la donne, avec à sa tête Raymond Kopaszewski.

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Le natif de Nœux-les-Mines va incarner, en compagnie de son compère d’attaque Just Fontaine, l’une des périodes les plus fastes du football français sur le plan international, avec deux finales de Coupe des clubs champions européens et une place sur le podium de la Coupe du monde 1958 avec l’équipe de France – celle-là même où Just Fontaine entre dans l’histoire en inscrivant 13 buts. Meilleur joueur de la compétition, Kopa remporte logiquement le troisième Ballon d’or de l’histoire, après avoir fini troisième du classement les deux premières fois. Ça y est, Raymond Kopa est définitivement une star.

Fort de cette notoriété, Kopa, le footballeur, suscite les convoitises des marques. Dès 1954, il est l’un des premiers footballeurs au monde à avoir sa paire de «crampons signature», avec les Kopa Noël, avant de créer sa propre marque de sport, au nom simple et évident : Kopa. Ce sont donc de ses propres usines que sortiront les très célèbres Kopa-Résistex, dont même Alfredo Di Stéfano se montrera jaloux.

(source : uneautrehistoiredufoot.wordpress.com)

Mais la nouvelle image de marque de Kopa ne s’arrête pas qu’aux terrains de football, preuve de sa popularité grandissante. Après la Coupe du monde, il prête ainsi son nom aux cigarettes Camel et à plusieurs sodas («Limonade Kopa», «Soda Kopa orange», «Kopa Tonic») produits dans une usine située non loin d’Angers, son fief.

(source : yapee.info)

(source : encreviolette.unblog.fr)

C’est bien simple, tout le monde connaît Raymond Kopa. L’attaquant devient une véritable célébrité, au même titre que les chanteurs vedettes de l’époque. Ce qui peut paraître comme banal aujourd’hui est une véritable révolution à l’époque : il est le premier footballeur-star. Au-delà des nombreuses publicités où il apparaît, les moindres détails de sa vie sont épiés et connus de tous grâce aux journaux. Comme ici, où il fait la Une de Paris Match en 1963 en compagnie de son fils malade, qui mourra prématurément des suites d’un cancer.

(source : parismatch.com)

« LES JOUEURS SONT DES ESCLAVES ! »

Après avoir été le David Beckham des années 1950, Raymond Kopa se reconvertit en Philippe Martinez la décennie suivante – on a vu pire comme glow-up. En effet, si Kopa s’active autant en dehors des terrains en préparant déjà son après-carrière, c’est parce que le statut de footballeur professionnel est encore très précaire et ne prévoit aucun régime de retraite. En janvier 1963, à l’occasion d’une interview accordée à France Dimanche – dont la Une rappelle d’ailleurs étrangement la défense de Dreyfus par Emile Zola dans L’Aurore –, Raymond Kopa accuse : «Les joueurs sont des esclaves !» Pour resituer dans le contexte, à l’époque, les joueurs signent des «contrats à vie» qui en font la propriété des clubs jusqu’à leurs 35 ans, qui s’en débarrassent donc librement, quand bon leur semble.

(source : unfp.org)

Cette simple déclaration suffit à provoquer l’ire de la Ligue, qui suspend Kopa pour une durée de six mois. La sanction calme les ardeurs des autres footballeurs, au moins pour un temps. Kopa déclarera à posteriori : «L’affaire a fait grand bruit, à l’époque. J’ai écopé de six mois de suspension avec sursis, mais les choses ne pouvaient plus durer ainsi. Oui, les footballeurs étaient réellement des esclaves. Ils n’avaient jamais leur mot à dire… Il fallait donc que les joueurs puissent, enfin, être écoutés et entendus. J’ai agi pour la collectivité et je n’ai jamais regretté avoir réagi ainsi. J’avais un rôle à jouer, un ultime ballon de but à donner à Justo (Just Fontaine). Et même s’il a fallu attendre quelques années pour que le but soit marqué par Fontaine, Hidalgo et tous les footballeurs français… la fin de l’esclavagisme était écrite.» (source : UNFP)

En effet, le but victorieux sera inscrit plus tard par Just Fontaine et Michel Hidalgo, ses grands amis. Quelques années plus tôt, Kopa et Fontaine participaient déjà en 1961 à la création de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), l’organisation syndicale des footballeurs. En 1964, Michel Hidalgo succède à Just Fontaine à la présidence de l’UNFP, dont Kopa deviendra également le vice-président. La même année, les footballeurs obtiennent enfin la création d’une convention collective et d’un régime de retraite. Puis, ils profitent des événements de Mai-68 pour s’engager à leur tour dans la lutte et réclamer toujours un meilleur statut. Plusieurs footballeurs décident alors d’occuper le siège de la FFF, en y déployant une banderole sur la façade du bâtiment : «Le football aux footballeurs !»

(source : unfp.org)

Finalement, c’est en juin 1969 que Kopa obtiendra gain de cause. Toujours à la tête de l’UNFP, Hidalgo parvient à obtenir la suppression des «contrats à vie», ceux-là mêmes qui rendaient les joueurs «esclaves» de leur club. Ils sont remplacés par des contrats à temps : en somme, des contrats à durée déterminée qui permettent aux joueurs de ne plus être pieds et poings liés à leur club. Des années après, ce système-là sera repris dans les autres pays d’Europe, pour finalement devenir la norme.

Voilà donc tout l’héritage qu’ont laissé Raymond Kopa et ses amis derrière eux, sans qui le football d’aujourd’hui ne serait pas le même. Mais d’autres footballeurs ont également usé de leur influence au cours des décennies suivantes. La suite au prochain article.

Crédit photo : Fred Marvaux / Icon Sport

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