Si vous ne le connaissez pas encore, Matias Navarro est un journaliste argentin de 27 ans. Il y a quelques semaines, il a décidé de quitter son pays pour s’installer à Lille. Les raisons ? C’est l’occasion de suivre son idole, Marcelo Bielsa.
Il y a de cela quelques jours, Matias nous accordait une petite interview bien sympa !
Première question, qu’est-ce qui te plaît tant chez Marcelo Bielsa ?
De Bielsa, je séparerais deux aspects : le footballistique et le personnel :
Sur le plan footballistique, j’aime sa posture audacieuse qui consiste à affronter chaque adversaire au cas par cas. Je partage sa vision, c’est-à-dire le fait qu’il est impossible de commencer un match en pensant que l’on ne va pas le gagner. L’objectif est toujours de triompher et pour cela, il faut attaquer sinon ce serait impossible. Dans ce sens, je crois que ce n’est pas facile, par exemple, de réaliser une performance aussi aboutie que celle de l’Athletic Bilbao face à Barcelone lors du 2-2 dans l’ancien San Mamés. C’est évidement disproportionné de penser qu’un tel niveau peut être maintenu tout au long d’une saison. Dans cette rencontre en particulier, les joueurs avaient tous joué au-dessus de leur niveau habituel, menant à ce score.
Ensuite, la deuxième chose qui me plait chez lui en tant que technicien, c’est sa faculté à faire progresser ses joueurs. Quand un joueur cesse d’être dirigé par Bielsa, il s’est systématiquement amélioré par rapport à ce qu’il était avant. Très peu d’entraîneurs y parviennent.
Et au niveau personnel ?
Sur le plan personnel, je considère que la meilleure façon de qualifier quelqu’un vient des opinions que les autres ont à son sujet. Dans cette optique, je ne connais personne qui ne parle pas en bien de Bielsa. Je le vois comme le Don Quichotte du football, il cherche à améliorer un environnement souillé, pourri. Cette vision utopique qui dicte sa ligne de conduite est remarquable, frappante. Il m’est impossible de ne pas être d’accord avec lui dans sa façon d’agir ou de gérer une situation. Mais d’un point de vue extérieur, on peut le voir comme quelqu’un d’extrême dans ses décisions. Combien de fois dans la vie quotidienne laissons-nous de mauvaises choses se passer, mais comme elles sont insignifiantes, on les ignore et on n’essaie pas de les faire bien ? Il est rigide jusque dans les plus petits détails et j’imagine que ce doit être épuisant de travailler comme il le fait, mais également captivant.
Et avant de t’installer dans le nord de la France, que connaissais-tu du LOSC, de Lille en général ? Tu connaissais quelques joueurs argentins qui étaient passés par le club ?
Pratiquement rien. De Lille comme ville, rien, seulement que c’était dans le nord du pays. De l’équipe un peu. En Argentine, on ne connait que les grandes équipes européennes, et ce n’est pas pour manquer de respect, mais Lille au niveau continental n’a pas le même impact que d’autres clubs, ou du moins pas suffisament pour arriver jusque là-bas. Après, je connaissais l’équipe championne sous Rudi Garcia avec Hazard, puis après avec Payet et quelques autres. Mais je te mentirais si je te disais que je regardais des matchs de cette équipe. La réalité, c’est que je n’en voyais pas.
Faut pas être un peu « loco » soi même pour partir à l’autre bout du monde, dans une ville qu’on ne connait pas avec pour objectif de suivre son idole ?
C’est pas si fou que ça (rires). En réalité, j’avais déjà décidé de partir de mon pays il y a quelques temps (plus précisément pour la France, donc ce n’est pas si fou que ça d’arriver à Lille). Puis l’arrivée de Bielsa a confirmé cette idée. Mais je ne viens pas ici en tant que journaliste parce que je ne travaille pour aucun média. Je suis en train d’étudier pour devenir entraîneur, je travaille et me forme pour être vidéo-analyste et ce que je cherche, c’est apprendre à travers la méthodologie de Bielsa. Je n’ai donc pas quitté mon pays et changé de continent seulement pour une photo (rires).
Avant toi, des fans argentins des Newell’s Old Boys étaient déjà venus à Lille (lors du premier match de la saison au stade Pierre Mauroy contre le FC Nantes). On imagine que Marcelo Bielsa est toujours considéré comme une icône dans son pays ?
En Argentine, c’est une personne très contestée. Beaucoup de personnes l’adorent, mais beaucoup le détestent également. L’Argentin est très spécial, si tu gagnes tu es Dieu mais quand tu perds, le diable. Dans ce sens, Bielsa a perdu au Mondial 2002 et ils ne lui ont toujours pas pardonné. De plus en Argentine, nous sommes habitués à avancer dans nos vies en tendant des pièges aux autres, à profiter des autres. Bielsa représente tout le contraire, et je pense que c’est ce qui dérange.
Mais du coup, est ce que les matchs du LOSC sont retransmis en Argentine depuis qu’il est l’entraîneur de Lille ?
Les premiers matchs, oui. La victoire face à Nantes a généré un engouement dans les médias là-bas. Mais depuis qu’ils enchainent les mauvais résultats, ils ont cessé de passer les matchs. Par exemple, je n’avais pas pu voir les 15 premières minutes contre Amiens. Ce jour-là, je travaillais, et j’ai dû chercher un peu partout sur Internet pour pouvoir le voir. Toutes les rencontres étaient retransmises jusqu’à la troisième ou quatrième défaite. Les derniers matchs n’étaient même plus diffusés.
Il faut dire qu’au-delà des mauvaises performances (la déroute face à Monaco, les défaites face à Rennes, Guingamp…), il y a aussi beaucoup de malchance à l’image de l’accident à Amiens… T’en penses quoi, toi, du début de saison lillois ?
Je pense que le jeu de l’équipe passe beaucoup par Thiago Mendes (c’est un point que j’avais alors abordé durant la conférence de presse de Bielsa avant la rencontre face à Troyes) et son absence dès le second match à cause d’une blessure a beaucoup pénalisé l’équipe.
Analyse pointue car dès son retour face à Troyes, Lille avait beaucoup mieux joué et Thiago Mendes avait marqué le but du 2-1 ! Il figurait cette semaine-ci dans l’équipe type de Ligue 1.
Ensuite, ce qui me parait encore plus logique et Marcelo Bielsa l’avait justifié en conférence de presse : on ne peut attendre qu’un jeune joueur ait un rendement optimal dès le début de sa carrière. L’effectif est surchargé de jeunes joueurs, donc il fallait s’attendre à des contre-performances. Bielsa l’a lui-même dit, le LOSC devra enchaîner beaucoup de bons résultats pour que la situation au classement s’inverse. Il pense également que pendant une bonne partie de la saison, ils vont devoir se battre pour quitter le bas du classement. Je pense que lui, tout comme les dirigeants sont plus orientés vers le futur que sur le présent. C’est pour ça qu’il faudra le juger sur les performances futures, et l’analyser aujourd’hui, évidemment.
Et toi, t’es optimiste pour la suite de la saison ?
Moi ? Oui ! Le point que je soulève est que nous ne pouvons pas espérer d’un groupe si jeune, qui ne se connait pratiquement pas, avec un entraîneur nouveau, de rouler sur la Ligue 1 en trois mois. C’est irréel. Après le premier match, quand les journalistes lui demandaient si l’équipe était candidate aux premières places, il répondait que c’était trop tôt pour analyser.
Depuis que tu regardes les matchs du LOSC, qui sont les joueurs qui t’ont le plus impressionné dans le groupe ?
Thiago Mendes me paraît-être l’élément indispensable pour apporter un équilibre au milieu de terrain et faire le ménage dans le jeu. Amadou me surprend car je ne le connaissais pas. Il est brillant en tant que milieu central et comme défenseur. Il me fait penser à Javi Martinez.
Javi Martinez jouait à Bilbao sous Bielsa, et le technicien l’avait replacé en défense centrale : le poste auquel il a explosé aux yeux de tous. Souhaitons la même réussite à Ibrahim Amadou !
Je vois Benzia comme un phénomène avec ses pieds, mais il manque de régularité et doit faire de meilleurs choix. Enfin le gardien, Maignan est fantastique. Rapide, avec de très bons réflexes et une confiance incroyable balle aux pieds.
Tu assistes également aux conférences de presse de Bielsa depuis ton arrivée dans le Nord. Dans ses dernières, il a été un peu « chahuté » par quelques journalistes par rapport au jeu pratiqué par son équipe. Il y a aussi eu la tristement célèbre une de « L’Equipe » quand l’entraineur argentin avait loupé la reprise pour des raisons personnelles… Tu penses quoi du traitement médiatique qui lui est réservé par les journalistes français ?
Je ne pourrais pas te dire quoi que ce soit sur ce thème, parce que la vérité, c’est que j’ai seulement lu des choses à droite et à gauche, et suivi les conférences de Bielsa. Je ne sais pas réellement à quoi ressemble son traitement médiatique au quotidien, je ne le vis que depuis peu. De plus, tous les journalistes que j’ai rencontrés ont été merveilleux avec moi, ce serait injuste de donner une opinion sur une confrontation qui a eu lieu entre quelqu’un que j’admire et des gens qui m’ont si bien accueilli, surtout que je n’en connais pas spécialement le contexte.
Allez, une dernière. Que pouvons-nous te souhaiter de bien dans un futur proche ?
Premièrement, de continuer à travailler ici (rires). Mais vraiment, mon intention est de pouvoir continuer d’apprendre et me former comme entraineur. Je pense que ce que j’aimerais le plus, c’est de continuer d’ouvrir des portes aussi intéressantes que celles que je suis en train de m’ouvrir jusqu’à maintenant. Avec ça, je serai heureux !
Merci à toi pour le temps que tu nous as accordé, nous te souhaitons plein de réussite dans tes projets. Vous pouvez le retrouver sur Twitter, à travers le compte @pizarrabielsa. Compte sur lequel il commente l’actualité du coach argentin et analyse les matchs du LOSC.
Crédits photos : AFP PHOTO / JEAN-SEBASTIEN EVRARD