De dernier rempart à premier relanceur : le gardien de but dans le football moderne

Le football moderne et ses exigences… Si jadis le poste de gardien requérait d’être imparable dans l’exercice d’arrêt des ballons face aux attaquants adverses, le métier a évolué, demandant aujourd’hui aux portiers d’être autant à l’aise avec leurs pieds qu’avec leurs mains. Un souci pour certains joueurs, formés « à l’ancienne », qui excellent sur leur ligne ou dans les airs, mais pour qui tout est plus compliqué une fois le ballon dans les pieds et le jeu restant à faire…

Ce mercredi 14 mars, le FC Barcelona recevait sur sa pelouse du Camp Nou les Anglais de Chelsea dans le cadre d’un 8ème de finale retour de Ligue des Champions. Alors que le plus grand joueur de l’histoire de ce sport qu’est le football se baladait et nous offrait une énième masterclass dont lui seul a le secret, un joueur côté Blues a semblé encore plus à la peine que les autres. Puni par un ballon glissé à deux reprises entre ses grands compas, Thibaut Courtois a souffert face à Leo Messi. L’ouverture du score n’était d’ailleurs pas sans nous rappeler que l’Argentin s’était permis l’exact même filouterie lors de la saison 2011/2012, déjà face à Courtois, alors que celui-ci évoluait à l’époque du côté de l’Atletico Madrid. Signe encore plus flagrant que le gardien belge n’est jamais rentré dans son match, cette relance balle au pied, en 2e mi-temps, complètement ratée, qui aurait amené un nouveau but catalan si ces derniers n’avaient pas manqué de réalisme à ce moment précis du match. Si le match de mercredi dernier est clairement à oublier pour Courtois, d’habitude un très bon portier, il est tout de même révélateur d’une des plus grandes problématique du football moderne : un grand gardien se doit d’être à la fois bon avec ses mains et avec ses pieds.

Pendant longtemps et jusque très récemment, le gardien de but se cantonnait à empêcher les joueurs du camp d’en face de marquer des buts. Et cela convenait à tout le monde. Dans un football au fort accent britannique, où le « kick and rush » a longtemps fait loi, le gardien relançait par réflexe le plus loin possible, non pas dans le but d’être précis mais dans celui de trouver ses attaquants et de déstabiliser la défense adverse.  Un des premiers portiers à amorcer un tournant dans l’histoire de son poste au niveau des relances est Fabien Barthez. Fils d’un ancien demi d’ouverture, le Divin Chauve a toujours su faire preuve d’intelligence dans son rôle de gardien de but. S’il a perpétué la tradition des gardiens aux longs dégagements, son extrême précision le différenciait de ses vis-à-vis, lui permettant de transmettre le ballon directement dans les pieds de son attaquant dans la grande majorité des cas, et ce quelle que soit la distance.

De l’importance d’un portier adroit balle au pied

C’est à la fin de la décennie 2000 et encore de nos jours que la transformation du poste de gardien la plus flagrante se fait. Et bien évidemment, on retrouve à son origine le FC Barcelone, époque Pep Guardiola. Si les idéaux de Pep ne sont pas forcément nouveaux -il s’inspire notamment du Football Total de Rinus Michels et du tiki-taka de Cruyff- il modernise ces concepts et les cuisine à sa sauce. Les gardiens de but des différentes équipes de Guardiola auront toujours eu une part extrêmement importante dans les succès de ses équipes. À la fois dernier rempart et premier relanceur, le gardien participe activement au jeu offensif de l’équipe et aux attaques placés, en permettant de soulager les défenseurs du pressing adverse et de trouver des décalages avec les joueurs offensifs. Une des plus grandes injustices footballistique du XXIème siècle reste le profond manque de considération de Victor Valdes. S’il n’a jamais été le meilleur portier du monde sur sa ligne, son excellent jeu au pied en a fait le joueur idéal du Barca, et à coup sûr un grand gardien.

Être une grande équipe est aujourd’hui excessivement compliqué sans grand gardien. Et être un grand gardien n’est pas possible sans un excellent jeu au pied. Le cas de Thibault Courtois est encore plus criant quand on voit le style de jeu que tente de déployer son coach en club, Antonio Conte. Un jeu précis, construit, qui part bien évidemment des bases arrières, avec le gardien de but comme premier relanceur. Seulement le grand belge semble plus intéressé par Amel Bent que Bruno Mars, c’est à dire plus « Viser la lune » que « Finesse ». Face à ce souci, Antonio Conte a su trouver la parade, avec sa défense à 5, permettant aux latéraux d’être plus offensif, mais surtout avec 3 centraux d’avoir plus de solutions et de fluidifier la relance. Christophe Lollichon, coordinateur des gardiens de but à Chelsea, qui travaille donc au quotidien avec Courtois, disait pourtant à nos confrères d’Eurosport l’année dernière :

J’ai pour habitude de dire que le gardien est un joueur de champ qui a le droit d’utiliser ses mains.

Un concept et une pensée que Pep Guardiola a saisis et assimilés depuis longtemps. Le sort a été bon avec lui au Bayern Munich, Manuel Neuer ayant toujours joué un jeu de « Libéro-gardien de but ». À Manchester City, Pep a fait venir en 2016 Claudio Bravo, un gardien relativement petit (1m85), mais adroit aux pieds. Mais non content des performances du Chilien en tant que titulaire, il a ensuite recruté Ederson, dont la qualité technique impressionne de match en match. Avec ce « relanceur » supplémentaire, le niveau affiché par les Citizens se retrouve drastiquement amélioré. Le ballon tourne évidemment de façon bien plus fluide dans les lignes arrières, enlevant aux défenseurs une certaine pression. Mieux, les adversaires se doivent d’avoir une maîtrise tactique irréprochable pour ne serait-ce que mettre en place un pressing efficace et tenter de récupérer le ballon avant une quelconque erreur individuelle des porteurs de balle.

À une échelle et à un niveau moindre, le retour de Steve Mandanda à l’Olympique de Marseille a fait énormément de bien au jeu phocéen. Son départ pour Crystal Palace à l’été 2016 avait amené Yohann Pelé à prendre sa place de titulaire dans les cages olympiennes. Si l’ancien Sochalien a réalisé une saison plus qu’honorable bien qu’inespérée, en sauvant son équipe à des nombreuses reprises, il est clair qu’il péchait au niveau des relances au pied. Un problème d’envergure quand les défenseurs centraux devant lui s’appelaient Jorge Rolando et Rod Fanni, eux non plus pas à leur avantage quand il s’agit de relancer. Les conséquences directes de ce manque étaient de grandes difficultés pour Rudi Garcia à mettre en place le type de jeu qu’il souhaitait, c’est à dire un jeu basé sur la possession et la conservation du ballon, avec beaucoup de transmissions. Cela amenait donc les milieux de terrains à décrocher très bas sur le terrain et créait un fort déséquilibre au sein du bloc équipe. Cette saison, Rami et Mandanda, donc, ont remplacé dans le 11 de départ Fanni et Pelé. Si la relance n’est donc toujours pas le point fort de la charnière centrale, bien que Rami soit sur ce point (et sur bien d’autres) une plus-value par rapport à Fanni, c’est l’apport d’Il Phenomeno qui change les choses. Excellent dans les transmissions balle au pied, il permet à son équipe de jouer plus haut et de mettre moins de poids sur ses centraux. Le résultat : une équipe qui développe son jeu plus aisément, de façon plus fluide, et qui, forcément, est plus agréable à voir jouer.

Comme toute discipline artistique qui se respecte, le football évolue avec son temps. Et à chaque évolution ses nouvelles contraintes. Peut être plus que n’importe quel autre poste, celui de gardien de but se doit de suivre ces évolutions et de s’adapter à ces contraintes. Développer un jeu au pied de qualité est devenu primordial, et les exemples qui le confirment font nombre. Le succès de Pep Guardiola, artisan majeur des changements qu’a subis le football ces dernières années, a maintenant franchi la Manche. Son héritage viendra-t-il à bout du kick and rush ?

Crédits photos : AFP PHOTO / GUENTER SCHIFFMANN

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J'arrive toujours soigné comme une passe de Toni Kroos.