Il y a des histoires que l’Histoire ne retient pas. En 1994, Carlos Bianchi emmène le Vélez Sarsfield sur le toit du monde, deux ans seulement après être arrivé dans un club dont le palmarès se résumait à un seul trophée. Retour sur cette aventure aux allures de miracle.
Euphoriques, émerveillés, rêveurs, ils brandissent le trophée au milieu du Stade Olympique de Tokyo. Leurs yeux brillent et leurs maillots, barrés verticalement de rouge et de noir, racontent parfaitement l’exploit qu’ils viennent de réaliser. Ce maillot est celui du plus grand club d’Europe de l’époque, celui d’un grand Milan AC qui a remporté la saison précédente le championnat d’Italie et la Ligue des Champions. Ce maillot est celui que portaient Desailly, Maldini ou Savićević, celui que voulait voir mouillé l’entraîneur Fabio Capello. Mais ce maillot reposait ce jour-là sur les épaules des joueurs de Vélez Sarsfield qui dans la naïveté de l’exploit n’ont pas oublié de réaliser ce geste presque obligatoire de la part du petit face au grand, échanger son maillot. Quelques minutes plus tôt, ils avaient pourtant écrasé ces grands en leur infligeant le supplice d’une défaite 2-0 en finale de coupe intercontinentale. David a battu Goliath et Vélez se retrouve alors Champion du Monde.
Trop loin, pas assez prestigieux, pas connu… Les raisons sont nombreuses pour se dédouaner de l’oubli ou de la méconnaissance de cet exploit. Pourtant, Carlos Bianchi et ses hommes sont partis de loin, avec comme seules armes l’orgueil et l’insouciance. A la fin de l’année 1992, au moment où Carlos Bianchi pose ses valises dans l’Ouest de Buenos Aires, le Vélez Sarsfield fête ses vingt-quatre ans de disette. Vingt-quatre ans de lignes non-écrites à un palmarès pourtant déjà si maigre puisqu’il ne se résume qu’au seul titre national de 1968. La signature de Bianchi comme entraîneur est d’ailleurs un pari autant pour le club que pour l’homme qui n’a entraîné que deux fois auparavant, au Stade de Reims en Ligue 2 et à l’OGC Nice qu’il sauve miraculeusement de la relégation après une victoire 6-0 contre le RC Strasbourg dans un barrage auquel il avait lui-même mené son équipe avec des résultats plus que mitigés tout au long de la saison. C’est donc deux ans et demi après cette dernière expérience qu’il reprend les rênes d’une équipe sans savoir encore qu’il en fera la meilleure équipe du monde.
Une histoire de tirs au but
Costume sombre, chemise claire, front interminable, cheveux frisés et allongés sur la nuque. Carlos Bianchi a tous les attributs d’un grand chef d’orchestre. Les qualités aussi. Six mois seulement après être arrivé au club, Carlos Bianchi permet au Vélez Sarsfield de remporter son deuxième championnat de l’histoire, une folie impensable pour un club qui a croupi dans le ventre mou du championnat pendant plusieurs années. Mais ce titre récompense aussi un club qui a su prendre des risques inconcevables comme celui de laisser tirer un pénalty à son gardien lors du dernier match, alors que Boca Juniors est sur ses talons au classement. Ce pénalty a finalement bien été transformé, il s’agissait du premier but de José Luis Chilavert sous les couleurs de Vélez. Le premier d’une série de quarante-huit.
Les mois passent et les résultats contredisent la théorie de la chance du débutant pour Carlos Bianchi. Lors du championnat suivant, Vélez Sarsfield s’installe parmi l’élite footballistique argentine en prenant la deuxième place du classement, à un point du grand River Plate. Le club ne sera pas champion cette fois si mais l’essentiel est ailleurs, les joueurs de Vélez pourront participer à la Copa Libertadores de 1994. Cette Copa Libertadores est d’ailleurs l’occasion parfaite pour le club de l’Ouest de Buenos Aires de montrer qu’il faudra désormais compter sur lui parmi les meilleurs clubs argentins. Et le tirage fait bien les choses en opposant Vélez à Boca Juniors dès les phases de poules, une occasion que les hommes de Bianchi ne laisseront pas passer puisqu’il termine premier de leur groupe quand Boca Juniors finit dernier avec quatre défaites en six matchs. La suite est faite de talent et de réussite. De talent parce qu’on ne gagne pas sans mais de réussite parce que le club se hisse tout de même en finale en passant deux de ses trois tours grâce aux tirs au but. Ils affrontent alors les brésiliens de Sao Paulo dans une finale qui suit le système du match aller-retour.
Le match aller a lieu dans le stade de Vélez où 48 000 spectateurs s’entassent pour suivre les exploits de leur équipe. Encore une fois, la bande à Bianchi étonne et séduit. Le Vélez Sarsfield s’impose ce jour-là sur le score de 1-0, de bon augure pour la suite des opérations. Mais l’expérience de Sao Paulo, tenant du titre, rend les choses plus compliquées. Sept jours après avoir réalisé l’exploit dans leur propre stade, les joueurs de Vélez Sarsfield se rendent au Stade Murumba, autrement plus grand, rempli ce soir-là de plus de 92 000 spectateurs. Dès la trente troisième minute, Müller remet les deux équipes à égalité. 1-0 pour Sao Paulo. Le score restera inchangé jusqu’à la séance de tirs au but. Mais cette fois, ni l’expérience, ni la foule ne pourront déranger les joueurs de Vélez dans un exercice qu’ils affectionnent particulièrement. Chilavert arrête et marque, Vélez est champion d’Amérique.
La suite de l’histoire, on la connait. C’est celle d’un petit club au palmarès presque vierge qui deviendra en l’espace de deux ans le plus grand club au monde, celle d’un entraineur en quête d’une gloire aussi forte qu’il avait eu en tant que joueur, d’un entraîneur qui surpassera ses espoirs par ses exploits.
Le chef d’orchestre s’en ira deux ans plus tard en promettant d’écrire de nouvelles sonates. Celle qu’il composera pour le soliste Riquelme fera partie des plus belles.
CREDIT IMAGES : virage.paris