[Serie A] Lazio-Balkans : le bonheur

Les Balkans, cette zone de l’Europe qui alimente les fantasmes. Beaucoup de rumeurs circulent sur cet endroit dont raffolent les touristes. Réputée pour ses très belles femmes, cette région du monde regorge aussi de joueurs d’exception. « Les Brésiliens de l’Europe » comme on les surnomme affectueusement proviennent en partie de l’ex-Yougoslavie. Ces joueurs ont trouvé refuge en Italie après l’arrêt Bosman et l’épopée fantastique de l’Etoile Rouge de Belgrade en 1991. Un club en particulier a créé une véritable histoire d’amour avec cette région : la Lazio. Aujourd’hui, le club ressemble à une petite Yougoslavie. Retour sur une love story de plusieurs décennies.

L’ADN Balkanique.

La Lazio a une histoire très particulière avec l’ex-Yougoslavie. Un lien qui dure depuis deux décennies et qui s’est développé saison après saison. Qui aurait pu imaginer en 1993, après la signature d’Alen Boksić qu’en 2018, l’effectif serait composé de neuf joueurs originaires des Balkans ? Personne. Et pourtant, le club est devenu un fief pour eux. L’arrivée de l’attaquant croate en provenance de l’Olympique de Marseille a ouvert une porte qui n’est pas prête de se refermer. Vladimir Jugović va rejoindre à son tour la Lazio en 1997, suivi par Dejan Stanković et Sinisa Mihajlović. Bien que ce dernier ait porté le maillot de l’AS Roma quelques saisons auparavant, son passage à la Lazio va définitivement lier le club biancocelesto et la région des Balkans. Ses performances mais aussi sa proximité avec les tifosi vont faire de lui un des joueurs les plus appréciés. Un autre personnage issu des Balkans va perpétuer ce mariage.

Igli Tare est un des grands footballeurs que l’Albanie a formé. À la retraite depuis 2008, l’ancien attaquant de la Lazio va subir une reconversion aussi rapide que surprenante. Quelques mois après son retrait, le natif de Vlore est nommé en tant que directeur sportif des Biancocelesti. Une décision surprenante, Tare n’est resté que trois saisons au club et se voit offrir un poste à responsabilité forte de la part de Lotito. Le président de la Lazio n’a jamais caché sa proximité avec son ancien joueur et apprécie l’homme et les valeurs qu’il dégage.

La patte d’Igli Tare mettra du temps à se faire sentir. Les premiers mercatos sont pour la plupart ratés malgré quelques transferts intéressants comme la signature de Hernanes. Mais le premier gros coup arrive en 2013 avec la signature de l’entraîneur bosnien, Vladimir Petković. L’ancien technicien des Young Boys de Berne est un choix de Tare et permet au club de remporter une Coupe d’Italie face à l’AS Roma. Bien que limogé quelques mois après son titre, son passage restera comme une des grandes réussites de Tare tant les observateurs étaient dubitatifs. Plus impliqué dans les transferts, il est à l’origine des signatures de Filip Djordjević et Dusan Basta la saison suivante, deux joueurs d’origine serbe. Le début d’une récurrence qui va impacter tous les Balkans.

Plus que des athlètes.

L’effectif de la Lazio est considéré comme un des plus cosmopolites d’Europe. Composé de dix-neuf nationalités différentes, personne ne fait mieux en Italie. Dans cette tour de Babel des temps modernes, neuf joueurs sont originaires des Balkans. Stefan Radu (Roumanie), Senad Lulić (Bosnie), Adam Marusić (Monténégro), Valon Berisha (Kosovo), Milan Badelj (Croatie), Dusan Basta, Sergej Milinković-Savić (Serbie), Thomas Strakosha et Risa Durmissi (Albanie). Hormis Strakosha, Durmissi et Radu, tous auraient pu être éligibles dans une potentielle équipe de Yougoslavie en 2018. Si Tare jure que le club ne regarde pas la nationalité avant de signer un joueur, la Lazio a développé un vrai lien avec cette région. Cet été, Badelj, Berisha et Durmissi ont rejoint la colonie. Si le premier a connu la Serie A avec la Fiorentina, les deux transfuges du RB Salzbourg et du Betis Séville découvrent un nouveau championnat, une nouvelle langue et Valon Berisha. La présence du gardien de l’Albanie, Thomas Strakosha, a facilité l’intégration des deux recrues. Le fils de Foto Strakosha (ancien gardien de l’Olympiakos et de l’Albanie) a l’avantage de parler italien et albanais, langue officielle du Kosovo.

L’impact d’une telle concentration est ailleurs. Au-delà des terrains, c’est au niveau politique que ces joueurs ont un impact positif. Bien que le calme soit revenu depuis plusieurs décennies dans les Balkans, plusieurs sujets alimentent la vie politique de la région. Juste sur ces dernières années, le sujet sur l’indépendance du Kosovo, la Grande Albanie ou la Grande Serbie ont été mis sur le devant de la scène politique. Des cas qui nous rappellent à quel point l’équilibre de la Yougoslavie ne tenait qu’à un fil. Pour certains, le pays aurait pu continuer à exister si Faruk Hadzibegić avait marqué son tir au but face à l’Argentine. Pour d’autres, ce n’était qu’une question de temps.

Le cas de la Grande Albanie aurait pu diviser le vestiaire de la Lazio. En 2014, Serbes et Albanais s’affrontent pour le compte des éliminatoires de l’Euro 2016. Alors que les relations entre les deux pays sont tendues, le premier ministre albanais de l’époque, Edi Rama, devait se rendre en Serbie quelques jours après le match, une première depuis soixante ans. Finalement, cette opposition ressemblera à un remake de Dinamo Zagreb – Etoile rouge de Belgrade avec Aleksander Mitrović dans le rôle de Zvonimir Boban. Un drône survole la pelouse avec un drapeau qui ressemble à celui de la Grande Albanie, face à cette mascarade programmée, l’attaquant d’Anderlecht attrape le drapeau albanais. S’en suivra un début de bagarre entre joueurs des deux camps. Sur la pelouse, trois joueurs de la Lazio Rome, Lorik Cana et Etrit Berisha côté Albanie et Filip Djordjević coté Serbie. Bien qu’il n’y a plus de sentiment en équipe national pour ses coéquipiers en clubs, les trois coéquipiers savent que la tournure que prend le match risque d’impacter leur vie à la Lazio. Via la chaîne du club, Albanais et Serbes vont publier un message de paix pour relativiser les incidents récents de Belgrade.

Bien que la Yougoslavie n’existe plus aujourd’hui, la fraternité entre peuples reste intacte. La Lazio en est une des preuves la plus concrète. Voir neuf joueurs d’origine balkanique dans un même club est un fait rare qui mérite d’être souligné. Après le parcours héroïque de la Croatie, qu’aurait été le résultat final d’un France-Yougoslavie avec un Milinković-Savić à la place d’un Brozović ou d’un Strakosha à la place d’un Subasić complètement dépassé lors de la finale ? Personne n’en sait rien, mais tout est relativisé, un petit bout de Yougoslavie continue à exister à travers la Lazio.

 

Crédit photo : Silvia Lore / Nurphoto.

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»