[Liga] Toto, Lemar et la manière

Le 18 juin dernier, les émissaires de l’Atlético entraient en toute discrétion dans le camp de base des Bleus à Istra. Ils en ressortaient avec deux prolongations juteuses, celles de Lucas Hernandez et Antoine Griezmann, et une signature. Thomas Lemar venait de s’engager avec les Colchoneros, moyennant 70 millions d’euros.

On se demandait alors si tout cela était bien raisonnable. Après un match plus que bancale face à l’Australie et à quelques heures d’affronter le rugueux Pérou, n’avait-on pas mieux à faire que de parapher des contrats ? La suite, on la connaît, et elle permet, avec le recul, d’affirmer que cette intrusion madrilène n’a pas eu d’impact négatif sur la suite de la compétition.

Cholo, comme une évidence

Un peu plus de quatre mois plus tard, Thomas Lemar est titulaire indiscutable à l’Atlético Madrid. Et il ne doit pas tout à son nouveau statut de Champion du Monde. Convoité par plusieurs grands clubs européens après une saison éblouissante à Monaco, ponctuée d’un titre de champion de France, le Guadeloupéen a les clés en mains pour réussir sous la tunique rouge et blanche. Seulement voilà, ces clés, là, d’autres les avaient avant lui.

A l’Atlético, le poste de numéro 10 est déserté depuis le premier départ de Diego Ribas, un des hommes de base de Diego Simeone au moment de construire ses premiers succès. Arda Turan a certes assuré un intérim plus qu’intéressant, mais dans un registre différent. Les autres… Les autres n’ont été qu’une suite de transferts ratés, d’histoires d’amour avortées et donc de désillusions pour le Cholo. L’Argentin avait besoin d’un numéro 10 polyvalent, capable d’assurer la transition entre une défense regroupée et une attaque explosive. Alors l’Argentin a pris son téléphone et il a téléphoné à un vieil ami colombien qui traîne son spleen sur le front de l’attaque monégasque. Et son vieil ami colombien lui a dit de foncer. Et Thomas Lemar a signé.

S’engager pour Simeone ressemblait à une évidence pour Toto. Entraîné par Jardim et la Desch’, le joueur formé à Caen avait le CV idéal pour obéir au gourou gominé. « A Monaco, avec Jardim, c’était déjà comme ça, expliquait-il dans les colonnes d’El País. D’abord, il faut bien défendre, et ensuite bien attaquer. Les méthodes sont assez similaires et cela m’a aidé pour mon adaptation ici. Mais je crois qu’à l’Atlético, les efforts sont encore plus importants. » Des efforts à fournir pendant une préparation physique désormais légendaire. Antoine Griezmann, pour sa première saison à Madrid, avait raconté qu’il avait, à plusieurs reprises, manqué d’oxygène durant les séances interminables du Professeur Ortega.

Mais Lemar sait à quoi s’attendre en arrivant sur les bords du Manzanares. Il bénéficie, de par son transfert, de la confiance significative de Simeone, et remercie son nouveau coach par une abnégation impressionnante. Il raccourcit même ses vacances post-Mondial pour prendre part à la préparation. Lucas Hernandez a d’ailleurs été frappé par la force de l’ancien Monégasque. « Il s’est adapté très vite alors que ce n’est pas facile dans un club comme ça. Tous les joueurs qui sont passés par là ont eu du mal. Antoine (Griezmann) a eu du mal au début. »

Toto en mission

Le résultat ne se fait pas attendre. En profitant de la blessure de Vitolo, Lemar enchaîne les matchs. Il n’a pas raté une seule rencontre de l’Atlético cette saison, n’étant que trois fois remplaçant. Il est pour l’instant peu décisif, avec un seul petit but contre Getafe (le deuxième aurait pu lui être accordé suite à une frappe somptueuse, finalement mise au fond par le gardien). Il s’incorpore cependant à merveille dans la mécanique des Colchoneros.

De par son poste, il a pourtant un rôle difficile à assumer. Il doit remplir plusieurs fonctions : être un électron libre dans la construction du jeu sans empiéter sur les plates-bandes de Griezmann, être un pourvoyeur de ballons pour les joueurs les plus offensifs, bonifier le travail de sape des trois autres milieux qui ratissent derrière lui… Une lourde responsabilité quand on sait l’importance de chaque ballon dans la philosophie de jeu de l’Atléti. Et qui explique les échecs successifs de ses prédécesseurs. Une bonne partie des tâches qui lui incombent et qu’il assume bien jusqu’à maintenant sont symbolisées dans son but contre les banlieusards madrilènes, le 24 septembre dernier.

Défensivement, celui qui est désormais surnommé « Camarón », la crevette à Madrid, est également en passe de réussir son intégration. Toujours dans El País, il racontait sa joie d’assimiler les préceptes du Cholo. « Je ne me plains pas parce que j’aime être au service de l’équipe et courir plus ne me dérange pas, au contraire, c’est un plaisir de faire des efforts pour mes coéquipiers. » Là où d’autres ont eu plus de mal, comme un certain Antoine Griezmann à son arrivée, Lemar travaille et donne satisfaction. A l’aube de ses 23ans, il est sur le point de s’imposer à l’Atlético, l’étiquette de Champion du Monde et de transfert le plus cher de l’histoire du club flanquée dans le dos. Muy bien, Camarón.

 

Crédit photo : Oscar Barroso / SpainDPPI / DPPI

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Diezista en freelance entre Madrid et Bordeaux. Souvent au stade, toujours dans l'info.