Champion d’Europe, champion du monde puis de nouveau champion d’Europe, voilà le palmarès de l’Espagne entre 2008 et 2012. Cette équipe, qui a tout gagné, a pratiqué un jeu collectif innovant et pur, ce qui lui a permis de rester dans les mémoires. Retour sur cette période faste du football espagnol.
Imaginez les meilleurs musiciens jouer de l’instrument dont ils sont le spécialiste. Chacun le fait discrètement, avec pudeur, mais c’est ce qui rend la symphonie si parfaite. Car tout le monde joue de son instrument pour que le talent des autres musiciens se fasse également entendre. Le tout, avec un chef d’orchestre qui dirige ces notes avec une main de maitre. Cet orchestre-là pourrait définir l’équipe d’Espagne, de 2008 à 2012. Cette génération si glorieuse et talentueuse qu’elle a marqué l’histoire du football mondial.
Tout a commencé au début des années 2000. Sergio Ramos, Iniesta, Xavi, Casillas et Torres notamment ont tous remporté une compétition internationale avec les sélections jeunes. L’histoire de la Roja est en marche. Après les échecs de la génération Raul à l’Euro 2004 (sortie dès les poules) puis à la Coupe du Monde 2006 (« Vas-y mon petit ! » pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte), il est l’heure pour l’Espagne d’écrire son histoire. Peut-être la plus belle de l’histoire de ce sport que nous chérissons tant.
Le football poussé à son paroxysme
A l’heure où l’équipe championne du monde (la France) et championne d’Europe (le Portugal) ont remporté leur titre en pratiquant un jeu basé sur le réalisme et le pragmatisme, il est bon de se rappeler les titres espagnols entre 2008 et 2012. Elle peut se résumer en une expression, qui dit tout et rien : tiki-taka. Cette philosophie de jeu est définie par un jeu de possession dans les 30-40 mètres adverses, avec un enchainement de passes, souvent courtes et dans les pieds, jusqu’à créer un décalage dans la défense. Ce style de football est attribué au Barca de Cruyff dans les années 90, puis, comme un bon vin, il a été bonifié avec l’âge par Pep Guardiola, notamment lors de son passage au club catalan.
Avec une facilité grandiose, les joueurs espagnols se retrouvaient tous impliqués dans les phases offensives de l’équipe. Pour cela, ils devaient jouer en symbiose. Le mot clé pour le tiki-taka : la simplicité. Un contrôle, une passe au sol pour un adversaire proche, jusqu’à voir une ouverture dans un petit espace. Et là, tout s’enchaine. Si Luis Aragonés puis Vicente del Bosque ont pu coacher avec plénitude ce style de jeu, c’est car il était inculqué dès le plus jeune âge à une grande partie du vestiaire de la Roja.
Xavi, Iniesta et Busquets représentaient trois des quatre milieux espagnols. Tombés dans la marmite du football barcelonais quand ils étaient petits, ils ont imposé ce style de jeu à la Roja. Au grand plaisir de tous. « Ce style de jeu nous a permis de contrôler la majorité des matchs », a commenté Juan Mata, champion du Monde 2010. C’est rien de le dire. Durant la phase finale du Mondial 2010, l’Espagne a eu 57 % de la possession du ballon, en moyenne.
11 joueurs talentueux et interchangeables
Pour comprendre comment l’Espagne a pu tout rafler sur son passage en pratiquant un jeu aussi léché, parfois parfait, il faut bien se rendre compte du talent qui vivait dans cette équipe. Voici la composition type lors de l’Euro 2008, le 2ème de l’histoire par la Roja :
Voici maintenant l’équipe qui a brodé la 1ère étoile sur le maillot espagnol en 2010 :
Enfin, voilà le 11 qui a remporté l’Euro 2012 :
Outre le fait que la plupart des joueurs ci-dessus ont marqué l’histoire de leur pays et du football, le point commun de ces trois équipes est le milieu de terrain dominant techniquement et collectivement. Même quand certaines équipes leurs ont imposé un défi physique important, le milieu espagnol a rayonné. Demandez donc au duo de Jong – Van Bommel en finale du Mondial 2010, ou au milieu à quatre centraux de l’Italie en 2012. À chaque fois, l’Espagne était trop forte. C’est d’ailleurs lors de cette compétition que la Roja a surpris le plus.
Et pour cause, Fabregas était le buteur titulaire, poussant Torres sur le banc en cours de compétition. Au-dessus des quatre défenseurs, il y avait donc six milieux de terrain. Fabregas, au milieu des défenses adverses, distillait des petits ballons dans des intervalles invisibles à l’œil nu. De quoi régaler les Iniesta, Xavi ou Silva, pas avares non plus quand il s’agit de jouer dans des petits périmètres. Ainsi, chacun devenait buteur. Chacun devenait ailier. Chacun devenait relayeur. Tout ça pour apporter au football sa version la plus pure. Comme le montre ce résumé de la finale de l’Euro 2012, face à l’Italie :
L’adage « l’attaque fait lever les foules mais la défense fait gagner des titres », signé de Michael Jordan, s’est évidemment vérifié pour cette génération espagnole. Avec des noms comme Puyol, Ramos, Piqué, Marchena, Alba ou Capdevila, les défenses ibériques ont toujours eu une solidité à toute épreuve. En ayant la possession du ballon, la Roja s’évitait évidemment de subir les assauts adverses. En 2010, grâce notamment à un tika-taka impérial, l’Espagne est devenue l’équipe championne du monde avec le moins de but inscrit en phase finale (4), mais aussi sans en encaisser un. Les rares fois où les défenses d’Aragonés ou de del Bosque ont pris l’eau, un ange gardien veillait. Capitaine lors des trois titres, Iker Casillas fut l’un des deux plus grands gardiens de sa génération (en concurrence avec un certain italien). Outre ses nombreux arrêts en cours de match, il aura sauvé deux fois l’Espagne lors de séances de tirs au but : en quart de l’Euro 2008, puis en demi de l’Euro 2012.
Une trêve dans la rivalité Real-Barcelone
Vous l’avez aussi peut-être remarqué à la vue des compositions ci-dessus, la plupart des joueurs sur le terrain évoluaient au Real Madrid ou à Barcelone. Si la Roja s’est ouverte à beaucoup de clubs dernièrement, elle a été le monopole des deux géants espagnols durant cette période 2008-2012. C’est d’ailleurs au début des années 2010 que les clasicos re-devenaient des vrais combats physiques, qui sortaient régulièrement du cadre du règlement.
Inculquée par Mourinho entre 2010 et 2013, cette dimension physique avait souvent franchi les limites du raisonnable. Comment revenir en sélection après tous ces accrochages, toute cette rivalité, tous ces mots doux dits dans la presse ? Cela ne semblait pas être un problème pour les joueurs espagnols. Même pour Ramos et Piqué, pourtant leaders vocaux dans leur club respectif, qui enterraient la hache de guerre pour former une charnière insubmersible en sélection. Le 17 août 2011, un match de Supercoupe d’Espagne entre les deux meilleurs ennemis du football dérape : trois cartons rouges sont distribués et les joueurs en viennent aux mains. Malgré cette rivalité exacerbée, Arbeloa et Ramos n’ont pas hésité pas à venir défendre leurs coéquipiers catalans en sélection, un mois plus tard, contre le Chili :
Avec le maillot espagnol, ces joueurs arrivaient à faire la part des choses. Avec un succès encore inégalé. Avec 29 matchs de suite sans défaite en compétition et 15 victoires consécutives, cette Espagne 2008-2012 a sans contestation possible marqué le football, tant par les résultats que par la manière. Sauf que plus on s’approche du soleil, plus on a de chances de se brûler. C’est ce qui est arrivé à cette équipe. Après être monté si haut, la chute fut rude. En jouant le tiki-taka à outrance, la Roja tombe dans une monotonie et ne surprend plus personne. Les champions du monde et d’Europe en titre se font terrasser, dès la phase de poule du Mondial 2014, par la fougue et l’imprévisibilité des Pays-Bas et du Chili. Depuis, ils n’arrivent pas encore à suffisamment relever la tête. Qu’importe, les six années que ces joueurs et coachs nous ont offertes étaient amplement suffisantes. Gracias y hasta pronto.
Crédits photos : Marca / Icon Sport