[Serie A] Naples : Quand les cendres retomberont…

Bien qu’aucun volcanologue ne l’ait vu venir, certains esprits aiguisés ont pu le prédire : Naples finirait par subir un réveil spectaculaire de tout ce qui se ressassait en son coeur. Le mardi 5 novembre dernier, au sortir d’un match nul face au Red Bull Salzbourg, le Napoli a été submergé par un magma de tensions, d’opportunités manqués, d’intérêts personnels et de rancoeurs diverses qui a bien fini par exploser.

Règlements de comptes au pied du Vésuve

Si la situation restait sous contrôle bien que préoccupante, tout a basculé à la fin de ce fameux match de Ligue des champions. Agacé par les résultats décevants de son équipe, le président Aurelio De Laurentiis annonce en début de semaine que les joueurs et le staff partiront en ritiro (mise au vert) après la rencontre contre Salzbourg. Ce qui signifie que les joueurs seront conduits au centre d’entraînement de Castel Volturno pour y passer la semaine, isolés de l’extérieur, et ce jusqu’au match du week-end suivant face au Genoa. Une pratique qu’il n’est pas surprenant de retrouver en Italie en amont des grands rendez-vous ou comme ici en situation de crise, ou a minima de nécessité de remise en question. Le hic : Carlo Ancelotti n’est pas consulté, pas plus que les joueurs, tous sont pris de court.

Coup de sifflet final, match nul 1-1 entre partenopei et autrichiens. Et tout dérape. Le président quitte le stade, sans savoir ce qui se joue dans ses couloirs. Edo De Laurentiis, fils d’Aurelio et vice-président du club, descend au vestiaire pour faire part de son mécontentement. Le ton monte immédiatement, Insigne balance que les joueurs s’en vont et qu’il « peut aller rapporter ça à son père ».

Le brésilien Allan en vient presque aux mains avec le dirigeant, retenu de justesse par quelques coéquipiers et le directeur sportif Giuntoli. Le même qui invite dans la foulée les joueurs à prendre leurs affaires et rejoindre le bus sans faire d’histoires. Dries Mertens l’insulte copieusement avant de quitter le San Paolo, comme le reste de l’effectif, emmené par le Belge, Lorenzo Insigne, Allan, Kalidou Koulibaly et José Callejon. Soit les leaders du groupe et responsables du brassard. Carlo Ancelotti, lui, ne se présente pas en conférence de presse, personne ne parvient à le trouver et pour cause : le technicien italien est lui aussi parti, direction Castel Volturno selon les consignes néanmoins, afin d’échapper à toute procédure de licenciement. Pour tenter d’échapper aux sanctions, les joueurs contactent le soir même leurs avocats.

La suite, une guerre ouverte a au moins quatre camps. Ou plus simplement, un chaos sans nom. Les joueurs s’entraînent mais ne respectent pas la mise au vert, De Laurentiis cherche la façon la plus sévère possible de les punir, et Carlo Ancelotti se retrouve pris entre deux feux. Parfois contrarié par son président sans pour autant être en conflit, et quelques soucis avec certains joueurs sans dépasser le cadre du sportif non plus. Et qui est le quatrième larron de l’histoire ? Naples. Avec tout ce que cela comporte de légitime ou au contraire de complètement stupide.

Le 7 novembre, un entraînement ouvert au public se déroule au San Paolo, évènement prévu de longue date et qui n’avait curieusement pas été annulé malgré le contexte. À leur arrivée, les joueurs sont conspués, accueillis par une ambiance terrible et des ultras en colère, puis accompagnés pendant toute la séance des huées et des invectives de quelques 600 abonnés. Inutile d’entrer dans les détails, mais bien difficile de trouver qui est encore digne de porter le maillot bleu aux yeux des tifosi. Le lendemain, on apprend que le domicile d’Allan a été saccagé en présence de sa femme et de l’un de ses enfants. Visiblement pas tant un banal cambriolage qu’une mise à sac gratuite et une menace en règle.

De quoi rendre encore un peu plus pesant le climat autour du dernier match avant la trêve avec la réception du Genoa. Et là encore, un San Paolo déserté par tous sauf par ceux venus crier leur colère devant la prestation presque grotesque de la plupart des acteurs napolitains. Si les Rossoblù se remettent peu à peu d’un début de saison difficile sous la conduite de Thiago Motta, le score final de 0-0 n’en reste pas moins une énorme contre-performance face au 17e de Serie A, surtout au vu de l’attitude de certains cadres. Replis défensifs tête basse, en marchant, une implication inexistante. Comme un symbole, les capitaines Insigne et Callejón n’étaient déjà plus sur la pelouse à la 65e minute, une pelouse que n’aura d’ailleurs pas foulée Allan. Le terrain est désormais le dernier des soucis du Napoli.

La nuée ardente semble sans fin, le cercle vicieux enclenché. Au sortir du match, c’est la voiture de Zielinski qui a été vandalisée, alors que les joueurs sont désormais sous protection 24h sur 24, ayant d’ailleurs pour quelques-uns quitté la ville. Irrespirable.

Signaux ignorés

Pour expliquer l’ampleur du phénomène, il faut non seulement regarder du côté du classement mais également bien plus loin dans le passé, et ce à plusieurs moments clés.

Les Campaniens pointent à la 7e place avec 19 points, contre 25 l’an dernier au même moment, à quatre longueurs des places qualificatives pour la Ligue des champions, ce qui en soi n’est pas un désastre. Mais en 12 journées, Naples a pris autant de points de retard sur l’Inter, un de plus sur la Juventus, et s’est déjà inclinée au Stadium à Turin. En d’autres termes, les deux premières places et surtout le Scudetto, c’est déjà terminé. Encore raté. Comme sur toute cette décennie 2010 ou presque. Pourtant, Carlo Ancelotti était enfin certain de pouvoir atteindre le fameux objectif de destituer les Bianconeri. Oui, mais à certaines conditions.

Ces conditions, avaient un prix que De Laurentiis n’a jamais pu ou voulu offrir. Parmi d’autres, le dossier James Rodriguez est le plus symbolique. Un joueur certes à la relance mais au talent indéniable, qui garde une valeur élevée sur le marché. L’offre pour l’arracher au Real Madrid ? Quarante, puis trente-cinq, puis trente millions, puis un prêt. Des moyens et globalement un projet pas en adéquation avec les ambitions des azzurri, qui n’ont généralement jamais vu plus loin que la saison en cours ni véritablement préparé le futur. Certes, Kostas Manolas est arrivé pour épauler Koulibaly en défense centrale. Une belle transaction, mais entre temps d’adaptation nécessaire, blessures du Grec et méforme du Sénégalais, l’association ne fonctionne pas encore et c’est déjà trop tard.

Ancelotti compose avec un effectif sans doute moins fort que ce qu’il avait imaginé en arrivant, et de son côté semble avoir perdu quelque chose en route. Plus aussi coriace qu’avant, manquant d’une détermination aujourd’hui plus incarnée par son fils et adjoint Davide, ne trouvant plus les solutions à certaines problématiques notamment dans l’animation de son onze comme l’utilisation de Lorenzo Insigne qui traîne son spleen depuis la prise de fonction de l’ex-milanais. Il n’y a pas non plus de grandes alternatives possibles, l’effectif n’ayant globalement pas bougé depuis bien longtemps.

Carlo a bien tenté de pousser dehors le capitaine napolitain, mais fautes d’offres, celui-ci est resté. D’autre part, quand Allan aurait pu être cédé au PSG, l’affaire a capoté sans que le Brésilien ait jamais vraiment su comment et sans explication crédible des dirigeants, créant un gros sentiment de malaise et menant à la foire d’empoigne du soir de la réception de Salzbourg. Pour le reste, trop nombreux sont les cadres arrivés en bout de course à l’instar de Callejón. Et parmi les hommes montés en puissance comme Zielinski, le début de saison vient casser leur progression de façon effrayante. Le Polonais est notamment le joueur ayant le plus frappé au but cette saison en Serie A (30 tentatives) sans avoir inscrit le moindre but.

A tout cela s’ajoute les réminiscences du fameux « pacte » qui liait ce vestiaire, la promesse que tous resteraient jusqu’à faire tomber la Juve et remporter le Scudetto. Un pacte qui cet été a semblé être un boulet pesant sur la conscience de certains joueurs, tiraillés entre le devoir de rester et le sentiment d’en avoir fait assez, après avoir vu Gonzalo Higuaín et Maurizio Sarri atterrir chez l’ennemi bianconero, et voir même le capitaine Marek Hamsík quitter le navire en pleine saison dernière pour la Chine. Le résultat s’est traduit par de nouvelles (et hautes) exigences salariales qui avaient déjà mis plusieurs cadres en porte-à-faux avec Aurelio De Laurentiis, pas franchement disposé à distribuer des contrats en or à des employés n’ayant pas rempli leur part du marché.

Enfin, comment assumer le terrible sentiment d’impuissance devant le trio des gros clubs italiens ? Si la Juventus est restée inébranlable, ce n’est pas le cas des deux clubs milanais, disparus au cours de la décennie écoulée. Soudain, il n’aura fallu que d’une étincelle et la relance d’un projet cohérent pour que l’Inter éclipse immédiatement les ambitions napolitaines. Pour le Milan, le processus prend plus de temps, mais pourrait arriver au même résultat avec une reprise du club plus ambitieuse prochainement. Entre temps, le Napoli aura « seulement » glané une coupe et une supercoupe en 2014.

Le bruit de Fuorigrotta précède l’épilogue

S’il faudra attendre encore un peu pour voir à quel point le club a été touché par cet épisode, les rares signaux émanant de celui-ci depuis une semaine et demi ne sont clairement pas bons. Les joueurs et les « frondeurs » en tête vont vraisemblablement en majorité partir l’été prochain à l’expiration de leur contrat, ou dès cet hiver chez qui acceptera de poser un petit chèque sur la table. Callejón pourrait rejoindre son ancien capitaine Hamsik et Rafa Benítez en Chine, Mertens jouer les doublures à l’Inter ou… à la Juventus, tandis qu’Allan espère, sans doute vainement, que le PSG reprenne contact et que Fabian Ruíz pourrait retrouver l’Espagne dans une grosse écurie.

Du côté de la direction, on hésite encore. Des sanctions et des poursuites, il y en aura sans aucun doute. Aurelio De Laurentiis devrait selon les lois de l’UEFA pouvoir retenir jusqu’à un quart du salaire des impliqués. Elfrij Elmas aura même droit a un traitement spécial, pour avoir parlé aux médias et enfreint le silence radio imposé jusqu’à nouvel ordre. Concernant le départ des joueurs, on se demande encore s’il vaut mieux laisser tout le monde partir, purger complètement le vestiaire, ou utiliser les clauses des contrats pour prolonger ceux-ci un maximum et bloquer les transferts ou a minima réclamer un juste dû. Dans le même temps, les première rumeurs d’un possible rachat du club par la famille princière Al-Thani, propriétaire du PSG, commencent à fleurir.

Enfin, Carlo Ancelotti reste lui bloqué entre deux positions, en attendant que quelque chose se passe d’un côté ou de l’autre. Si la direction avait communiqué au lendemain de la fronde s’être expliquée avec l’entraîneur et lui avoir redonné le pouvoir de décision sur l’organisation des mises au vert, pour détendre l’atmosphère, le président commence lui a penser que le grand coup de balai comprendra également son entraîneur qui n’a par la force des choses plus la maîtrise du vestiaire. La décision pourrait se faire d’ici à la trêve hivernale selon les résultats obtenus.

Dès le retour des internationaux, le Napoli se rendra à San Siro pour affronter le Milan, lui aussi en très mauvaise posture, et contre qui un revers serait une terrible gifle. Trois jours après, les partenopei iront à Anfield en Ligue des champions… Si la qualification paraît aujourd’hui plus difficile à manquer qu’à valider, attention au pire dans cette période où rien ne va.

Il faudra attendre que le nuage de cendres retombe pour constater l’ampleur de la catastrophe. En attendant, Naples étouffe.

Crédit photo : Gepa / Icon Sport.

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