Auteur d’une année exceptionnelle avec les Reds de Liverpool, Sadio Mané fait figure de prétendant légitime au Ballon d’or. Pourtant, peu sont ceux qui le voient remporter la précieuse récompense individuelle. Le problème : une personnalité d’anti-star qui colle mal avec la philosophie du trophée.
Mundo Depertivo est catégorique. Selon le journal catalan, Lionel Messi recevra lundi 2 décembre au théâtre du Châtelet à Paris son sixième Ballon d’or, devenant ainsi seul recordman au nombre de trophées. Loin d’être un scandale, lui attribuer n’est pas forcement une évidence. En 2019, d’autres étoiles du football ont brillé autant que le génie argentin et peuvent légitimement espérer remporter la prestigieuse récompense individuelle. À commencer par Sadio Mané, auteur d’une année exceptionnelle sous les couleurs de Liverpool et du Sénégal. Oui mais voilà, il y a fort à parier que le trophée lui passera sous le nez. Pourquoi ? La concurrence bien sûr, mais aussi une question de personnalité.
Une saison exceptionnelle à tous points de vue
Sur le terrain, l’attaquant des Reds n’a pas grand-chose à envier à son homologue barcelonais cette année. Sur le plan collectif, Sadio Mané sort d’une année remarquable, remportant la Ligue des Champions en juin dernier et la Supercoupe d’Europe. Sans compter une finale de Coupe d’Afrique des Nations et une deuxième place en championnat. Rappelons tout de même que jamais un dauphin au trône d’Angleterre n’aura compté autant de points à la fin de la saison. En termes de palmarès, le Sénégalais coche donc toutes les cases pour prétendre remporter le prix tant convoité.
Sur le plan personnel, la saison de Mané reste, à bien des égards, tout aussi impressionnante. Le dynamiteur des Reds a terminé meilleur buteur du royaume la saison dernière avec 22 buts. L’efficacité, c’est d’ailleurs dans ce domaine qu’il a le plus progressé. Depuis août, il en est déjà à 12 buts et 5 passes décisives en 19 matches. Surtout, l’ancien messin sait se montrer décisif dans les grands rendez-vous. Double buteur en huitième de finale retour de Ligue des Champions face au Bayern Munich, buteur au tour suivant face à Porto, il a largement contribué à l’aventure triomphante de son équipe. Sans oublier son doublé en finale de la Supercoupe d’Europe face à Chelsea.
Sadio Mané, c’est aussi bien plus qu’un simple finisseur. Le virevoltant numéro 10 n’a rien perdu de ses qualités de dynamiteur. Combien d’avant-dernières passes, combien de ballons chipés, combien de décalages créés et de reins cassés sont à mettre à son actif en 2019 ? Beaucoup trop pour que tout cela soit comptabilisé. À 27 ans, il se révèle comme le maillon fort d’une attaque XXL du côté d’Anfield. Il règne aujourd’hui sur les pelouses anglaises et européennes de par sa régularité au plus haut niveau. Et à cela peuvent encore s’ajouter une incroyable mentalité de guerrier et une insatiable soif de victoires.
Le trophée des stars
Gagner le Ballon d’or, Mané a bien évidemment l’idée dans un coin de sa tête. « Honnêtement, ça a toujours été un rêve de gamin […] Et si le rêve se réalise, je serais fier. Je serais l’homme le plus heureux », déclarait-il le 21 octobre. Oui mais voilà, le Ballon d’or ne s’arrête pas aux performances purement footballistiques. Depuis l’avènement de l’ère Messi-Ronaldo il y a de cela 11 ans, il est devenu le trophée des méga stars de la planète football, en plus d’être celui du meilleur joueur de l’année. Si les deux monstres du XXIème siècle raflent tout, c’est aussi parce que leur statut dépasse largement les lignes blanches qui délimitent le rectangle vert. Le Portugais et l’Argentin représentent aujourd’hui autant des personnalités publiques que des joueurs hors-normes. Et cela compte aussi.
Aussi performant soit-il, Sadio Mané n’évolue pas dans la même galaxie que les deux géants. Et encore moins en dehors des terrains. Comme d’autres joueurs d’exception avant lui, Mané souffre du syndrome de l’anti-star. Une caractéristique souvent rédhibitoire dans la course au précieux sésame. Luka Modric, vainqueur l’année dernière, n’est rien d’autre que l’exception qui confirme la règle. Comme Iniesta, Xavi, Sneijder ou encore Ribery il y a quelques années, Mané n’apparait pas assez « bankable » pour obtenir un trophée qui nécessite de dépasser le cadre purement sportif. Car avec le Ballon d’or, le vainqueur devient en quelque sorte l’ambassadeur de son sport.
Préjudiciable discrétion
L’ancien joueur de Southampton n’est pas du genre bling-bling. « Manger sainement, prier, se coucher tôt », telle est la recette quotidienne du succès, qu’il partageait au média de son club en avril dernier. À des années lumières du rythme de vie de certains grands noms du ballon rond, parfois vainqueur du Ballon d’or (n’est-ce pas Ronaldinho ?). Sadio Mané, lui, fait preuve d’une grande humilité. Si le joueur brille sur le terrain, l’homme est bien plus discret en dehors du pré.
Conséquence de cette discrétion ? Personne ne pense à lui pour remporter le Ballon d’or. Même son entraineur Jürgen Klopp, le donnerait d’abord à Lionel Messi, « meilleur joueur de sa génération » selon l’Allemand, ou à Virgil Van Dijk, qu’il considère comme le « meilleur joueur de la saison dernière ». Autres faits symptomatiques de ces oublis aussi fréquents qu’injustifiés, son absence du 11 type FIFA the Best. Une personnalité discrète donc, presque effacée diront certains, et parfaitement résumée par cette déclaration de son entraineur en club, rapportée par Eurosport : « La seule critique que je pourrais avoir sur Sadio est qu’il est parfois le seul à ne pas voir à quel point il est bon. »
Concurrence en interne
En plus de la concurrence d’un Messi encore stratosphérique sur le plan statistique, le contexte du vote pour le Ballon d’or 2019 n’est pas non plus à l’avantage du chef de file des Lions de la Teranga. Liverpool présente sept joueurs parmi les 30 nominés, dont Mohamed Salah et surtout Virgil Van Dijk, deuxième du trophée FIFA The Best et monstrueux cette année. Les votes risquent donc de se disperser entre les trois joueurs du club de la Mersey, tandis qu’en face, la Pulga n’aura pas de mal à faire le plein.
Attribuer le trophée à Sadio Mané aurait pourtant quelque chose de rafraichissant. Ne serait-ce que parce que l’Afrique attend un Ballon d’or depuis 24 ans et un certain George Weah en 1995. Lui donner s’inscrirait aussi dans la logique de celui accordé à Modric l’an passé. Une logique de revalorisation de la performance individuelle au service d’un collectif plutôt que des records statistiques. Mais malgré tout, il est difficile d’imaginer l’attaquant sénégalais rafler la mise. Mais en cas de défaite, ne comptez pas sur lui pour s’en plaindre, ce n’est pas son genre. Et au final, peu importe que les strass et paillettes des soirées de gala ne soient pas faits pour lui. Il brille sur le terrain et cela lui suffit. Cela tombe bien : à nous aussi.
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