Bielsa et Leeds, quand passion et panache réveillent un géant endormi

“Faire une Leeds”. Un dicton tristement célèbre, bien connu de l’autre côté de la Manche. Il signifie le déclin d’un club, généralement après de lourds investissements financiers, et est souvent suivi d’une ou plusieurs relégations. C’est la hantise de tout amateur de football anglais. Son origine ? Sans surprise, le mythique club anglais de la ville du Yorkshire-et-Humber, Leeds United, qui a connu ses heures de gloire dans les années 1970 puis au début des années 1990. En 2004, soit 3 ans après une campagne européenne historique qui verra le club chuter en demi-finale de Ligue des Champions face au Valence de Cañizares, Leeds est relégué en Championship.

C’est le début d’une période noire pour le club, qui paie les frasques financières de son propriétaire de l’époque, Peter Risdale. Plus qu’une période noire, un véritable déclin : en 2007, Leeds est relégué en League One, et les problèmes financiers s’accumulent. L’expression “Faire une Leeds” devient alors ancrée dans le vocabulaire du football d’outre-Manche. Il faudra attendre 2010 pour voir le club remonter en Championship. Depuis lors, propriétaires et entraîneurs se succèdent, sans qu’aucun ne parvienne à trouver la formule pour redorer le blason d’une ville qui a, pourtant, tant à donner. En mai 2017, l’italien Andrea Radrizzani rachète 100% des parts du club et entend bien redonner à Leeds son éclat d’antan. Pour réaliser son but, un pari, que certains jugent risqué : offrir le poste d’entraîneur du club à celui que l’on surnomme “El Loco”, Marcelo Bielsa.

Plus qu’un entraîneur, un véritable philosophe du football, au statut presque divin dans son Argentine natale. Une figure emblématique vénérée et adulée en Amérique du Sud, et respectée en Europe de Bilbao à Marseille. Et pourtant : ses deux dernières expériences de coaching, à Rome puis à Lille, ont tourné au vinaigre. Mais alors que le natif de Rosario est à la tête de Leeds depuis le 15 juin 2018, ce dernier a réellement révolutionné le club de ceux que l’on surnomme les “Peacocks”, réduisant au silence même les plus féroces de ses détracteurs. En à peine un an et demi, El Loco a réussi l’exploit colossal de redonner goût au football à une ville au cœur immense et qui a si souvent saigné. Retour sur une épopée aussi romantique que chevaleresque, quand passion et panache réveillent un géant endormi.

Au début de l’été 2018, Andrea Radrizzani, nouveau propriétaire de Leeds et son directeur du football, Victor Orta, partent à la recherche d’un successeur à Paul Heckingbottom. En poste depuis seulement 4 mois, le licenciement de ce dernier est symptomatique de l’instabilité chronique et des rudes épreuves traversées par le club qui végète en milieu de tableau de Championship. Beaucoup de noms figurent sur la short-list des deux hommes, dont celui de Marcelo Bielsa. L’idée est d’embaucher quelqu’un réellement capable d’effectuer une différence avec l’effectif actuel du club. Après un premier contact avec l’Argentin, Radrizzani et Orta s’envolent très rapidement pour Buenos Aires. À leur arrivée, leur étonnement est grand : après leur première prise de contact, El Loco a passé tout son temps libre à visionner des matches de la dernière saison de Leeds passée en Championship, soit plus de 70 heures de contenu footballistique soigneusement décrypté. Dans sa présentation, une analyse très poussée de l’effectif du club et des informations tactiques sur chacune des équipes évoluant en Championship. Un contraste saisissant avec les autres entraîneurs interviewés pour le poste, et particulièrement ceux qui ont été incapables de citer plus de 5 joueurs présents dans l’effectif. L’objectif, tel que présenté par les dirigeants de Leeds, est simple : mettre fin à cette période noire que le club subit depuis 15 ans, et retrouver l’élite du football anglais. Connaissant l’attrait et le goût prononcé de Bielsa pour les challenges, son accord pour prendre le poste ne paraît, finalement, pas si étonnante. Leeds United, une véritable institution avec une fanbase aussi bouillonnante qu’affamée, à la recherche à la fois de la délivrance et de la rédemption, dans une ville à l’atmosphère si singulière et respirant le football : il n’en faudra pas plus pour convaincre le côté romantique de l’enfant de Rosario.

The Bielsa Way

Dès son officialisation en tant qu’entraîneur du club, le 15 juin 2018, Marcelo Bielsa va véritablement révolutionner Leeds, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Son but est clair : instaurer un véritable changement de culture au sein du club. Durant la réunion à Buenos Aires, il avait déjà exprimé le souhait de moderniser Thorp Arch, le centre d’entraînement. Il refuse le premier logement qu’on lui offre, et en requiert un à proximité du complexe d’entraînement. Plusieurs modifications sont effectuées : couchettes pour lui et pour les joueurs, une salle de relaxation revisitée, et du nouveau matériel pour ses séquences vidéo. Les entraînements, particulièrement ceux de la pré-saison, changent drastiquement. Bielsa en demande beaucoup à ses joueurs physiquement et leur impose des régimes alimentaires stricts. Le but : leur faire perdre leurs kilos superflus et leur graisse corporelle. La préparation pour l’intense rythme voulu par Marcelo durant les 90 minutes d’un match débute alors. Beaucoup se demandent si cette manière de jouer au football sera viable dans un des championnats les plus rugueux et physiques du monde, la Championship. Mais ce qui intrigue le plus concerne la qualité du football proposé avec un effectif considéré comme moyen. Leeds ne dispose pas des ressources financières pour effectuer des achats conséquents, il faudra donc principalement faire avec les joueurs disponibles.

Marcelo va donc appliquer ce qu’il fait de mieux : la méthode Bielsa. Entraînements physiques à haute intensité, répétitions de drills et de circuits de passes à outrance, un staff poussant les joueurs à développer un sens tactique qu’ils devront mettre à profit pendant les matches. Chaque entraînement est éprouvant physiquement et marqué par “la dictature du ballon”. Mateusz Klich, milieu de terrain polonais évoluant au club, s’est exprimé sur les méthodes d’entraînement de l’argentin quelques mois après son intronisation : “C’était un choc, quelque chose de très différent. On ne fait pas de matches, c’est tactique, tactique, tactique, et remise en forme. La pré-saison était très dure, on a tellement couru, tellement travaillé dans la salle de sport, et puis on avait des séances tactiques chaque après-midi. Nous étions crevés, j’étais exténué. Évidemment, cela n’a pas été au goût de tout le monde, certains ont rechigné, ça arrive. Mais nous avons toujours respecté le coach et nous avons vite compris ce qu’il essayait de faire. Je pense que nous n’avions pas conscience d’à quel point nous pouvions être bons. Tout a changé durant le match d’ouverture de la saison contre Stoke. Ils venaient d’être relégués et nous avons joué un superbe football pour les battre. Mais le coach est très strict, c’est comme être dans un camp militaire. On va à la salle de sport tous les jours, avant l’entraînement, puis on va sur le terrain. Chaque repas, que ce soit le petit-déjeuner, le midi ou le soir, on les passe ensemble, en équipe.

La méthode Bielsa va en effet avoir un effet très probant sur le football pratiqué par Leeds, ce qui a toujours été le principal objectif pour El Loco, bien avant la dictature des résultats. Ce qui compte, pour lui, c’est l’art et la manière, quand beaucoup avant lui ont privilégié le résultat, coûte que coûte, en négligeant cet aspect. Les amoureux du football le savent, Marcelo Bielsa est bien plus qu’un simple entraîneur : c’est un philosophe, un théoricien du ballon rond, le fondateur d’une école, d’un mouvement qui a inspiré et formé certains des esprits footballistiques les plus brillants. Et comme le football n’a pas de frontières, même la terrible seconde division anglaise ne va pas y échapper. Bielsa va en effet prôner, comme à son habitude, un football à haute intensité avec Leeds. Un football direct, offensif, avec énormément de mouvements et un pressing des plus intenses. Ses nombreuses analyses tactiques et séances vidéos lui permettent de parfaitement connaître les points forts et faibles de ses adversaires, et d’agir en conséquence. Son Leeds évolue en 4-1-4-1 principalement contre les équipes évoluant avec une pointe, et il réutilise son célèbre 3-3-3-1 contre celles à deux pointes. Son équipe privilégie largement la possession tout en étant continuellement en mouvement, et se transforme en machine à presser à la perte du ballon. Les latéraux, très offensifs permettent de créer des supériorités numériques en changeant rapidement de zones. Ce qui compte, c’est déséquilibrer le bloc adverse.

Si Leeds possédait déjà une équipe capable de mettre par moments beaucoup d’intensité dans certains de ses matches, Bielsa est parvenu à sublimer ce phénomène. Mieux encore : il en a fait une des équipes les plus séduisantes du championnat, pratiquant un football fluide et offensif, tout en gardant ce caractère agressif à la perte du ballon. Son effectif a su être tiré vers le haut, appliquant ses conseils à la fois avec ballon et sans. Certains joueurs, techniquement au-dessus du lot comme Klich, Pablo Hernandez ou encore Kemar Roofe, parviennent à briller individuellement au sein d’un collectif parfaitement huilé. Certains autres, plus limités, comme par exemple le latéral droit Luke Ayling, compensent par un supplément d’âme et une application parfaite des principes de la méthode Bielsa. Le constat est simple, dès le mois d’août, les progrès réalisés sont effarants, et Leeds gagne 4 de ses 6 premiers matches avec des victoires marquantes notamment contre Stoke (victoire 3-1), le Derby County de Lampard (victoire 1-4), ou encore le Norwich de Daniel Farke (victoire 0-3), le tout en pratiquant un football estampillé Marcelo Bielsa. Alors que la saison progresse, Leeds s’incline pour la première fois contre Birmingham (défaite 1-2) le 22 septembre 2018. Les matches s’enchaînent, Leeds continue à séduire, et finit l’année en apothéose : du 24 novembre 2018 et une victoire à la maison contre Bristol City (2-0) au 26 décembre et un match d’anthologie contre Blackburn (victoire 3-2), les hommes d’El Loco enchaînent 7 victoires d’affilée et prennent la tête du classement. Les fans exultent, et enfin un sentiment d’unité et de fierté renaît du côté d’Elland Road. Les supporters de Leeds, eux qui ont vécu tant de désillusions et de retours à la réalité fracassants au cours des dernières années, se mettent à rêver à nouveau grâce au travail et à l’abnégation d’un seul homme : Marcelo Bielsa.

Vidéo du Bielsa version Leeds contre Norwich en phase offensive durant le mois d’août, les progrès effectués par l’équipe y sont déjà visibles

Un scénario Hollywoodien

Janvier démarre de manière très atypique pour Leeds qui voit sa tentative de transfert pour l’ailier gallois Daniel James, actuellement à Manchester United, être tuée dans l’œuf dans les toutes dernières minutes du mercato hivernal. Quelques jours plus tard, le club de Derby County alerte la police après qu’un individu visiblement suspect ait été aperçu aux abords du centre d’entraînement du club. Le lendemain, à l’approche d’un match justement contre Derby County, Marcelo Bielsa avoue avoir envoyé un individu pour observer les séances d’entraînement de son prochain adversaire. En conférence de presse, il s’explique : cela fait plusieurs années qu’il utilise cette méthode qui est très courante en Argentine, et Derby n’est pas le seul club à avoir été “espionné” cette saison. Leeds gagne finalement son match 2-0 contre Derby County, et à l’issue, l’entraîneur du club à cette époque, Frank Lampard, fulmine, désabusé par les méthodes jugées archaïques de son homologue argentin. Très vite, la presse s’en mêle et l’affaire prend des proportions qui dépassent le simple cadre de la Championship et devient presque d’intérêt national : c’est la naissance du « Spygate« . Les autorités de la ligue anglaise annoncent alors qu’une enquête va être lancée contre les pratiques de Bielsa. Le jour d’après, El Loco convoque les journalistes pour une conférence de presse historique. L’ancien entraîneur de Marseille, habillé en survêtement de son club comme à l’accoutumée, est assis devant un vidéo projecteur. Plein d’humilité, il commence par clamer sa propre responsabilité dans cet incident du Spygate. Pour lui, il n’a violé aucune règle sur un plan purement juridique, la seule chose à déterminer concerne le plan moral. Puis la conférence de presse va prendre une tournure encore plus intéressante. Afin de prouver qu’il n’a pas nécessairement besoin d’envoyer “des espions” pour parfaitement connaître ses adversaires, Marcelo Bielsa se lance dans une analyse détaillée de plus d’une heure, expliquant comment il effectue ses recherches sur ses adversaires et particulièrement le Derby County de Lampard. Toute la méticulosité, la minutie et le soin apportés par Bielsa durant la préparation de ses matches sont alors visibles, au terme d’une conférence de presse qui a marqué les esprits des journalistes présents. L’affaire se termine un mois plus tard après que Leeds ait reçu une amende de 200 000 livres qu’El Loco paiera de sa poche.

Court extrait de la conférence de presse animée par Bielsa suite à l’affaire du Spygate

Puis, la saison suit son cours et de plus en plus, Leeds devient un candidat crédible à la montée. Mais le vent va vite changer. En effet, le 19 avril 2018, malgré une récente victoire très importante contre Sheffield United, Leeds perd contre Wigan, équipe de bas de tableau pourtant réduite à 10 pendant plus de 60 minutes. Intervient ensuite une nouvelle défaite contre Brentford, et un nul controversé à Elland Road contre Aston Villa. Controverse liée au fait que Leeds marque en effet un premier but dans la rencontre alors qu’un joueur adverse est au sol, et que Bielsa demande alors à son équipe de laisser les Villans marquer par fair-play. Ce match nul met alors une fin mathématique aux espérances de Leeds de finir dans les deux premiers et de valider son billet pour la Premier League. Malgré une déception évidente de ne pas avoir réussi l’exploit d’accrocher une deuxième place, les Peacocks sont prêts à tout donner pour décrocher leur billet pour la Premier League en remportant les play-offs.

Le résumé de la rencontre entre Leeds et Aston Villa

Ironie du sort, c’est le Derby County de Frank Lampard que Leeds va devoir affronter en demi-finale de play-offs. Le premier match joué au Pride Park Stadium voit Leeds s’imposer un but à zéro grâce à une réalisation de Kemar Roofe en début de seconde période ; une nouvelle prestation maîtrisée par les hommes d’El Loco qui s’imposent logiquement après avoir dominé leurs adversaires pendant 90 minutes. Mais voilà, comme souvent avec l’enfant de Rosario, l’histoire est tragique, comme si une terrifiante malédiction pesait sur lui. A Elland Road pour le match retour, Leeds parvient pourtant à ouvrir le score. Jamais, depuis plus de 15 ans, les supporters n’ont été aussi proches de toucher au Graal tant attendu. Mais Derby parvient à égaliser juste avant la mi-temps, et au retour des vestiaires, un but de Mason Mount puis de Wilson sur penalty viennent assommer les Peacocks. Dallas parvient à réduire l’écart à la 62ème, et c’est tout Leeds qui se remet à y croire. A la 78ème minute du match, soit 10 minutes après son premier carton, le défenseur Gaetano Berardi écope d’un deuxième carton jaune pour une intervention beaucoup trop musclée. Moins de 10 minutes plus tard, l’attaquant gallois Jack Marriott déjà auteur du premier but de son équipe enfonce le clou pour Derby et vient crucifier Elland Road. Le match se termine sur le score de 4 à 2 pour Derby County qui accède donc à la finale des play-offs. Leeds aura; l’espace d’un instant, cru au rêve, et dans une fin de saison au scénario hollywoodien, c’est le rival d’une saison de Marcelo Bielsa, Frank Lampard, qui ramène tout un peuple à une dure réalité : Leeds n’évoluera pas en Premier League la saison prochaine.

Le résumé de la défaite de Leeds contre Derby en demi-finale retour des play-offs

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Marcelo Bielsa est passé tout près d’un gigantesque exploit. À l’époque de son arrivée au club, personne ne voyait Leeds aussi haut avec un effectif aussi limité. Et surtout, personne ne voyait cette équipe capable de pratiquer un tel niveau de football. Certains parleront de sur-performance, mais il n’en est rien. Leeds a en effet été l’équipe se créant le plus d’occasions et avec le plus haut pourcentage de possession durant toute la saison. D’autres, parlent d’un “Bielsa Burn-out”, qui serait un phénomène de fatigue généralisée se traduisant par une baisse du niveau de performance, et typique des équipes dirigées par El Loco. L’intensité physique que ce dernier exige tout au long d’une saison, aussi bien à l’entraînement que pendant les matches, pourrait effectivement expliquer la baisse de forme d’un Leeds dont les jambes ont commencé à être lourdes vers la mi-mars, et qui n’a pas été épargné par les blessures. Il est en effet difficile de nier que la fameuse méthode Bielsa peut s’avérer être usante aussi bien physiquement que mentalement, et encore plus dans un championnat aussi difficile que la Championship. Mais ce qui a le plus desservi Leeds, c’est une répétition d’erreurs commises dans les deux surfaces à des moments clefs. Il est en effet important de rappeler que ce sont deux défaites consécutives contre Wigan et Brentford qui envoient le club en play-offs. La demi-finale retour contre Derby est symptomatique de ce qui a causé du tort à Leeds en fin de saison : une domination presque totale sur l’ensemble du terrain, mais des erreurs impardonnables commises dans les deux surfaces. En effet, c’est une grossière erreur défensive qui permet à Derby d’inscrire son premier but, et ces derniers se verront obtenir un penalty plus tard dans le match. Offensivement, Leeds souffre d’une incapacité chronique à faire preuve de réalisme devant le but adverse et à finir ses actions. Enfin, les deux cartons jaunes écopés par Berardi témoignent d’une certaine fragilité mentale face à la grandeur des enjeux. Pour Bielsa lui-même, c’est cette incapacité chronique de Leeds à finir ses actions qui est la principale cause de l’échec du club.

Statistiquement, il faut beaucoup plus d’occasions à Leeds pour marquer un but par rapport à ses concurrents directs. Ce phénomène de fébrilité dans les deux surfaces, aussi bien défensivement qu’offensivement, peut être expliqué par un manque de talent individuel chez certains joueurs de l’effectif. Ce dernier, même sublimé par Bielsa, n’aura pas été suffisant pour aller au bout. Mais si Leeds n’a finalement pas obtenu son droit de retrouver l’élite du football anglais, les supporters du club, eux, ont pu retrouver le droit de rêver. Et il y a bien longtemps que cela ne leur était pas arrivé. Le réveil du géant endormi semble tout proche.

Passion et panache

Le 28 mai 2019, Bielsa et Leeds décident conjointement d’activer la clause de prolongation du contrat de ce dernier pour une saison supplémentaire. Et pour cause, si Leeds a échoué tout près du but en s’écroulant en fin de saison, personne ne pouvait imaginer que le club réagirait aussi bien à la méthode Bielsa. Surtout lorsque l’on prend en considération le niveau plutôt moyen de l’effectif de base et la qualité du football qui a été pratiqué tout au long de la saison, faisant de Leeds une des plus belles équipes à voir jouer de tout le Royaume. Ce qui explique la place déjà énorme d’El Loco dans les coeurs des supporters de Leeds, c’est qu’avant les résultats, ce dernier a su insuffler un nouvel élan au sein du club. La passion semble revenue, et le panache de leur équipe est enivrant. Pour la saison suivante, l’objectif est clair : retrouver la Premier League. Au mercato estival, Leeds enregistre certaines arrivées comme celles de Hélder Costa, le défenseur central Ben White prêté par Brighton ou encore le milieu de terrain Jack Harrisson prêté par Manchester City. Une nouvelle fois après une pré-saison aux allures de camp militaire, Leeds démarre la saison en fanfare avec 5 victoires en 7 matches qui permettent au club d’être premier à la mi-septembre. Le 21 septembre, le Leeds version Bielsa retrouve Derby County, cette fois en version Philipp Cocu à l’occasion d’une nouvelle rencontre de Championship. Une nouvelle fois, Leeds domine totalement Derby et parvient à vite mener au score à Elland Road. En toute fin de match, après un penalty loupé par Mateusz Klich et alors que Leeds manque plusieurs occasions nettes de doubler la mise, Derby parvient à égaliser dans le temps additionnel par l’intermédiaire de Chris Martin. Comme si l’histoire se répétait, Leeds parvient à nouveau à complètement surclasser son adversaire mais peine à faire preuve du réalisme suffisant pour sortir victorieux d’une rencontre, et très vite réapparaissent les démons de la fin de saison dernière. En conférence de presse, alors qu’un journaliste lui demande pourquoi il ne fait pas évoluer son Leeds avec deux pointes (en l’occurrence, Bamford et Eddie Nketiah, prêté par Arsenal), Bielsa se lance dans une nouvelle démonstration tactique : “Avec deux attaquants, on a plus de chance de marquer sur 10 occasions données. Mais il faut alors voir quel joueur on va enlever de l’équipe, et quel sera le résultat si on enlève un de nos joueurs derrière les attaquants. Si l’on aligne deux pointes, peut-être que Forshaw ou Klich sortiront de l’équipe, et un attaquant sans deux milieux derrière lui va forcément avoir des effets négatifs dans le jeu. Donc si vous avez deux pointes dans une équipe, vous ne parviendrez pas à créer beaucoup d’occasions. C’est ma manière de penser.” Encore une fois avec cette analyse, on comprend ce qui fondamentalement inspire la méthode Bielsa : le jeu, qui passe bien avant l’efficacité.

La saison suit son cours, et comme la saison dernière, avec les mêmes principes de jeu et les mêmes formations préférentielles, Leeds continue d’impressionner. Mais les Peacocks semblent meilleurs défensivement, avec un back four composé d’Ayling, Ben White, Liam Cooper et Alioski. Au milieu, seul derrière le double pivot, toujours l’anglais Kalvin Phillips, repositionné par Bielsa à ce poste. Devant lui, Costa sur l’aile droite, Hernandez et Klich au milieu, Harrisson sur l’aile gauche. Devant, Bamford se voit donner les clefs de l’attaque. Leeds cherche toujours à pratiquer un football offensif basé sur la possession et le mouvement pour déséquilibrer le bloc adverse tout en effectuant toujours un pressing très intense à la perte du ballon. La formule est toujours un succès, et Leeds réalise une très bonne première partie de saison 2019/2020 avec notamment une nouvelle série de victoires du 2 novembre 2019 (2-0 contre QPR) au 10 décembre 2019 (2-0 contre Hull). Mais à partir de cet instant, la machine commence tout doucement à s’enrayer et Leeds passe une deuxième partie de mois de décembre et un mois de janvier compliqués, n’enregistrant que deux victoires sur la période. Mais ces victoires, contrairement à la saison dernière, témoignent d’une formidable force de caractère, chose dont avaient cruellement manqué les hommes de Bielsa.

Premièrement contre Birmingham fin décembre, Leeds arrache une victoire 5-4 à l’extérieur dans la toute fin du temps réglementaire. Dans un deuxième temps, lors de la réception de Millwall en fin janvier, Leeds se fait surprendre par deux fois dans les 25 premières minutes de jeu avec des buts inscrits par Hutchinson et Wallace sur penalty. Mais une nouvelle fois, Leeds va faire parler sa nouvelle force de caractère et la nouvelle capacité de son effectif à briller individuellement. En début de seconde période, un doublé de l’attaquant Bamford et une réalisation du maître à jouer espagnol Pablo Hernandez permettent à Leeds de renverser la vapeur, au terme d’une nouvelle rencontre entièrement dominée par Leeds dans le jeu, avec 70% de possession au coup de sifflet final. C’est le genre de rencontres, disputés en périodes difficiles, que Leeds ne parvenait pas à gagner la saison précédente, et qui ont, toujours aujourd’hui, une importance comptable capitale. Après un nouveau coup de mou début février, Leeds parvient à relancer la machine alors que ses rivaux les plus crédibles dans la course à la montée, les Baggies de West Brom, se font de plus en plus menaçants. Du 15 février et une victoire 1-0 contre Bristol City au 7 mars 2020 et une victoire 2-0 contre Huddersfield à Elland Road (dernier match de Championship joué avant la pandémie), Leeds a enchaîné 7 victoires d’affilée et est parvenu à retrouver la tête du championnat, avec 1 point d’avance sur les 70 de West Brom et 7 sur les 64 de Fulham, troisième.

Résumé en accéléré de la performance de Leeds contre Millwall

Le dernier match joué contre Huddersfield est très révélateur de l’effet Bielsa. 2 minutes de jeu, talonnade de Klich pour Pablo Hernandez, qui la glisse dans l’espace à Jack Harrisson. Première touche de l’ailier, côté gauche. Une deuxième, une troisième, puis un centre. Le centre est long, passe au-dessus d’une flopée de joueurs dans la surface, et atterrit au second poteau. Luke Ayling, latéral droit ayant sprinté plus de 50 mètres pour se ruer vers l’attaque, reprend le ballon de volée. Ce dernier touche la barre avant d’entrer dans les cages. Le temps semble s’arrêter. Leeds mène 1 but à 0 après 3 minutes de jeu grâce à une fantastique volée de son latéral droit, Luke Ayling, dans un match à l’importance capitale. Très vite, Elland Road exulte. Les supporters jubilent. Tout le staff explose. Quelque chose de grand est en train de se passer.

Un seul visage reste impassible, presque vide. Celui d’un homme, assis sur son seau, sirotant tranquillement son café. Comme s’il était en train de revoir une scène, ou un film, qu’il connaissait déjà. Et c’est le cas. Quelques heures après le match, Leeds poste une vidéo sur son compte twitter. C’est une vidéo d’un but marqué à l’entraînement, quasiment identique à celui marqué en match, soit une volée de Luke Ayling inscrit après un long centre au second poteau. Hasard monumental pour certains, véritable coup de génie pour d’autres, une chose est sûre : la méthode Bielsa porte ses fruits. Au bout de 3 minutes de jeu, le latéral droit, après une course de plus de 50 mètres, se trouve à la réception d’un centre et exécute une reprise de volée parfaite pour marquer. La cerise sur le gâteau ? Ce mouvement a été appris et travaillé à l’entraînement. Si parmi tous les buts inscrits par Leeds il y en a bien un qui incarne la transformation du club depuis l’arrivée d’El Loco, c’est bien celui-ci.

Le fameux but de Luke Ayling au bout de 3 minutes de jeu contre Huddersfield, avec en prime le rugissement d’Elland Road

Leeds finira par inscrire un second but grâce à son attaquant Patrick Bamford qui marquera son 13ème but de la saison. Le même jour, West Brom fait match nul à Swansea. Leeds passe donc devant les Baggies, avec 71 points contre 70. Danny Cowley, entraîneur d’Huddersfield, ne tarit pas d’éloges concernant Marcelo Bielsa en conférence de presse d’après-match : “C’est un génie, Bielsa. Si tu dois te faire battre, autant te faire battre par un génie. Avec cette énergie, cette intensité, ses exigences doivent être énormes à l’entraînement pour que son équipe arrive à jouer avec un tel niveau physique. C’est de très loin la meilleure équipe du championnat.” Alors qu’aujourd’hui le déroulement normal du championnat a été compromis du fait d’une crise sanitaire mondiale, Leeds compte 7 points d’avance sur Fulham, et n’a, une fois encore, jamais été aussi proche de retrouver l’élite. Si Marcelo Bielsa est parvenu à s’attirer les louanges des experts et des entraîneurs du championnat grâce à son immense travail, ces dernières ne sont pas comparables avec celles des supporters du club qui érigent El Loco au rang de héros.

Si Leeds n’est officiellement pas encore promu en Premier League, l’impact qu’a eu Bielsa sur le club est tout simplement gigantesque. Sa méthode, si particulière, a permis à tout un peuple de rêver à nouveau. Nombreux sont les supporters, de la petite ville de Mirfield, jusqu’au quartier de Beeston où est situé Elland Road, à avoir retrouvé goût au football. Bielsa y est aimé pour avoir réussi l’exploit de rassembler toute une communauté qui a si souvent été déchirée. Aussi bien par la qualité du football pratiqué sur le terrain que par son humilité en dehors, le Leeds version El Loco a soufflé sur le football anglais comme un vent de fraîcheur.

Et l’histoire de cette équipe est encore à écrire. Peut-être qu’à la reprise du championnat, si tant est que ce dernier reprenne un jour, le Leeds de Bielsa ne parviendra pas à résister à la pression et échouera à nouveau, signe d’une malédiction qui pèse sur le natif de Rosario depuis son arrivée en Europe. Peut-être qu’une querelle avec ses dirigeants éclatera, et que l’imprévisible El Loco quittera Elland Road. Enfin, peut-être qu’il parviendra à réussir l’exploit historique de ramener Leeds en Premier League. Personne ne peut prédire l’avenir, encore moins celui d’un homme aussi complexe que Marcelo Bielsa. Une chose est sûre, il aura marqué au fer rouge l’histoire des Peacocks.

Crédit photo : IconSport

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