[Interview] Tom Payne, analyste : « Twitter a joué un grand rôle dans la façon dont j’ai pu travailler pour Huddersfield Town »

Des réseaux sociaux et blogs jusqu’à la Fédération anglaise en passant par la Premier League. Tom Payne, analyste anglais de seulement 23 ans, a mis un pied dans le football professionnel comme beaucoup en rêvent, en partant de… Twitter. Comment en est-il arrivé là ? Entretien.

Bonjour Tom, peux-tu commencer en te présentant ?

Bonjour. Je m’appelle Tom, j’ai 23 ans. Je suis un analyste travaillant à la Fédération anglaise de football. J’y travaille depuis l’été dernier, après avoir travaillé en tant qu’analyste de l’équipe première à Huddersfield Town pendant leurs saisons en Premier League (2017-2019). Mon travail dans le football prend ses racines dans mon travail en ligne.

Comment cela se passe en Angleterre par rapport à la France ? Ici, nous n’avons pas la possibilité d’étudier le football ou les sciences du sport à proprement parler à l’université par exemple.

Au Royaume-Uni, nous avons la chance d’avoir un certain nombre d’universités offrant des cours spécialisés dans le football. On peut s’orienter vers des cursus « sport » comme le coaching, la psychologie du sport ou les sciences du sport. Il y a aussi des cours qui se spécialisent dans certains sports comme le football.

Personnellement, j’ai choisi de m’orienter vers « Science and Football » à la Liverpool John Moores University, mais il était aussi possible d’aller à Bournemouth, Southampton ou Burnley par exemple. J’ai énormément appris auprès de mes professeurs, des autres étudiants et ils m’ont beaucoup aidé lors de ma dernière année d’université à temps plein en même temps que mon travail à temps plein à Huddersfield Town.

« Comme beaucoup, j’ai énormément joué à Football Manager. »

D’où te vient le désir d’analyser le football plutôt que de le jouer ?

La raison principale pour laquelle j’ai décidé de m’orienter vers l’analyse du football prend ses racines dans mon handicap (NDLR : syndrome d’Ehlers-Danlos), qui signifiait que je ne pourrais jamais jouer au football de manière compétitive.  Ne pouvant pas jouer le week-end, je me suis pris de passion pour l’aspect tactique, le rôle de l’entraîneur. Je suppose que je pouvais plus facilement m’identifier à ce rôle plutôt qu’à celui de joueur. Et puis, comme beaucoup de personnes de mon âge, j’ai énormément joué à Football Manager en grandissant, ce qui n’a fait qu’accroître mon intérêt.

Comment as-tu commencé à écrire et à analyser les matches ? Comment as-tu progressé ?

J’ai commencé à écrire au moment de l’Euro 2012, quand j’avais 16 ans. Je parlais souvent durant les matches d’Huddersfield Town en les regardant (en tant que supporter), et ma famille en a probablement eu marre de m’entendre constamment parler de tactique. Alors écrire était une bonne manière de m’exprimer. Comme d’autres, j’ai aussi lu beaucoup d’analyses de Michael Cox (Zonal Marking). Je me souviens qu’en cours d’informatique à l’école, je ne travaillais pas, je lisais juste ses derniers articles.

Durant les premières années, j’écrivais juste sur un blog personnel sous un pseudo. Et puis, courant 2015, j’ai été contacté par le site Spielverlagerung (Inverser le jeu, en français ou to switch play, en anglais) pour rejoindre la section anglaise qui débutait. Grâce à mon travail chez eux, j’ai commencé à travailler dans le football professionnel mais j’ai aussi eu la chance d’écrire pour d’autres structures comme The Ringer et le club des New York Red Bulls.

« Le football professionnel reste un milieu extrêmement difficile à intégrer. »

Quel impact Spielverlagerung a eu sur tes capacités analytiques ? Que t’a apporté ce site et que t’apporte-t-il encore ?

L’une des idées principales derrière Spielverlagerung, c’est de donner une opportunité à ceux qui écrivent de développer leurs capacités analytiques et leur compréhension générale du football. Cela peut se faire via l’écriture d’analyse puis l’autocritique de son travail, pour identifier les façons dont on peut améliorer sa compréhension du jeu.

L’autre façon de progresser se fait au travers des discussions sur les analyses avec les autres membres. Je ne peux pas mettre des mots sur tout ce que j’ai pu apprendre en discutant avec eux au cours des dernières années. J’aurai toujours une dette envers eux. J’ai eu beaucoup de chance, avec le développement de ma carrière jusque-là, d’être entouré de personnes dont je peux apprendre. Me retrouver dans des groupes de discussion avec eux a été incroyable.

Les membres de Spielverlagerung ont rencontré un vrai succès. Pourquoi les clubs vous font-ils confiance ?

Je pense que cela prend racine dans ce que j’ai expliqué avant. L’un des objectifs principaux de Spielverlagerung était d’aider au développement de ceux qui écrivaient pour eux. Tout le monde a une excellente éthique de travail et se concentre constamment sur le développement et l’affinement de ses capacités analytiques. Le niveau de notre travail a progressé au fil du temps, permettant au site d’acquérir une bonne réputation pour les analyses détaillées.

Quelle importance peuvent avoir les réseaux sociaux dans la recherche d’une place dans le football professionnel ?

C’est une question difficile étant donné que le football professionnel est une industrie très difficile à intégrer. Il y a énormément de monde qui souhaite travailler auprès des équipes premières, c’est très compétitif. Publier son travail en ligne peut être une manière d’accentuer ses chances. Twitter a joué un grand rôle dans la façon dont j’ai pu travailler pour Huddersfield Town et ça a été similaire pour les autres.

Cela dit, et je ne veux pas casser l’ambiance, on donne une impression de quelque chose en ne jugeant que les succès, mais vous n’entendez jamais parler des nombreuses fois où ça ne se passe pas bien. Il est certain que pouvoir publier son travail en ligne peut aider à accentuer ses chances de trouver du travail dans le football professionnel. Mais ça reste un milieu extrêmement difficile à intégrer.

« Je n’ai jamais eu peur de demander plus de travail. C’est une compétence importante à avoir. »

Comment as-tu fini par intégrer un club professionnel ? Comment as-tu pu mettre un pied dans ce milieu fermé ?

Par Twitter. Après avoir écrit énormément d’analyses sur mon blog personnel, j’ai envoyé un message privé au directeur du département d’analyse d’Huddersfield Town, Chris Markham, avec certains de mes travaux attachés. Avec la chance de mon côté, il a été assez ouvert d’esprit pour lire mon travail et m’a demandé d’effectuer une analyse d’un match de coupe des U18 contre Manchester United.

C’était vers la fin de la saison 2013-14. Au début de la saison suivante, j’ai commencé à travailler à temps partiel. Je faisais du scouting des adversaires durant les week-ends, ainsi que d’autres tâches pour aider pendant que j’étais encore au lycée puis à l’université. Je n’ai jamais eu peur de demander plus de travail et j’ai toujours offert mon aide. C’est clairement une compétence importante à avoir du fait de la grosse charge de travail qu’il y a dans les équipes premières.

Puis à la fin de la saison 2016-17, Huddersfield a été promu en Premier League et j’ai eu la possibilité de les rejoindre à temps plein. Je venais de terminer ma seconde année universitaire, j’ai alors décidé de mettre cela en pause pour me concentrer totalement sur mon travail. C’est encore un bon exemple de ma chance de travailler avec des personnes suffisamment ouvertes d’esprit qui étaient prêtes à me donner ma chance.

Comment tes compétences d’analyses se sont-elles transférées vers ton travail au sein d’un club de Premier League ?

Au cours de la première saison, j’ai trouvé la transition très difficile, notamment durant les premiers mois. Même si mes cours à l’université m’ont aidé à me préparer à travailler dans un club pro, et que Spielverlagerung m’a donné un bon bagage théorique, il n’y a rien qui peut vraiment te préparer à travailler dans ce milieu.

Mon rôle à Huddersfield Town était celui d’un analyste d’après-match. Je fournissais à l’entraîneur adjoint le feedback d’après-match, notamment pour aider la progression des joueurs dans des domaines précis. Ce travail se faisait principalement avec de l’analyse vidéo, avec peu de travail relatif aux datas.

« Si ton analyse n’offre pas des commentaires précis sur la façon dont une tactique peut être ajustée, c’est presque une perte de temps. »

C’était intense, on devait énormément travailler pour ne serait-ce qu’espérer se maintenir en Premier League. J’ai eu des difficultés avec le fait de garder un bon standard de travail tout en restant performant pendant des délais serrés, par exemple quand on travaillait sur des matches le samedi, puis mercredi puis de nouveau samedi.

L’un des plus gros défis par rapport à l’écriture d’analyse en ligne, c’est que quand tu écris, tu ne fais qu’analyser pour le principe de le faire. Il n’y a pas forcement l’objectif de fournir un feedback. En revanche, dans un club, si ton analyse n’offre pas des commentaires précis sur la façon dont une tactique peut être ajustée, ou sur la façon dont un joueur aurait pu agir, c’est presque une perte de temps.

Chaque analyse doit être exploitable. Tu dois communiquer ton analyse de façon à ce que ce soit le plus fluide possible. Et cela est différent selon si tu la communiques à un autre analyste, à un coach ou à un joueur.

Comme tu peux le voir, il y avait beaucoup à apprendre très rapidement quand j’ai commencé à temps plein à Huddersfield. Cela dit, comme avec Spielverlagerung, j’ai énormément appris auprès de mes collègues au club. Pas seulement auprès des autres analystes qui étaient aussi brillants, mais aussi auprès des coaches et des joueurs.

« Discuter avec les joueurs a été déterminant dans ma compréhension du jeu. »

Des analystes, j’ai beaucoup appris sur l’aspect technique du métier et comment réaliser une analyse dans un court laps de temps. Des entraineurs, j’ai appris comment l’analyse peut être transmise aux joueurs de la manière la plus efficace possible. Et enfin avec les joueurs, c’était précieux de parler de leurs expériences sur le terrain afin de saisir l’ampleur des défis auxquels ils sont confrontés.

L’entraineur et l’analyste parlent longuement des tactiques, mais au final, ce sont les joueurs qui expérimentent leur application sur le terrain. Avoir la possibilité de discuter avec eux de comment ils interprètent certaines situations sur le terrain a été déterminant dans le développement de ma compréhension du jeu.

Était-ce difficile de gagner en crédibilité auprès des joueurs quand tu es si jeune et que c’est ton premier travail à temps plein ?

Quand tu débarques dans l’environnement d’une équipe de football professionnel sans expérience, sans la moindre expérience du terrain et que tu ressembles à un ado de 15 ans, c’est évidemment difficile de se faire respecter. Je me rappelle que durant ma première semaine, j’étais dans le vestiaire quand un joueur m’a interpellé et m’a demandé quel était vraiment mon âge. Il pensait que c’était impossible que j’ai plus de 16 ans.

Mais l’entraineur adjoint m’a expliqué qu’une fois que les joueurs auront réalisé que je peux les aider à améliorer leurs performances, ils se ficheront de qui je suis, d’où je viens… Et je l’ai compris quand j’ai commencé à davantage travailler avec les joueurs, via des réunions avec l’entraineur adjoint et eux. J’ai gagné en crédibilité. Mais ça veut aussi dire beaucoup sur la qualité des personnes dans le vestiaire. Il y avait beaucoup de bonnes personnes.

« Le rôle d’analyste devient de plus en plus attrayant et reconnu. »

Quelle est la différence entre ton travail en club et celui au sein de la Fédération ?

La grande différence, c’est que je ne suis pas lié à une équipe particulière (NDLR : il peut travailler pour toutes les sélections masculines et féminines). Sans la pression d’un match chaque week-end, il y a plus de temps. On peut réaliser des analyses plus poussées pour des projets qui mettent des semaines à se développer.

Si l’on retourne en 2012, pensais-tu emprunter ce chemin ?

J’ai toujours été très confiant vis-à-vis de mes capacités, donc j’ai envie de dire oui. Autour de 2010-2011, j’ai su que je voulais travailler dans le football et que je n’allais pas me tourner vers autre chose.

Avec le savoir que j’ai maintenant, je peux dire que je n’aurais pas dû être aussi confiant. Mais heureusement, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de personnes qui m’ont donné ma chance. À commencer avec mon ancien professeur d’EPS à l’école qui entrainait une équipe semi-professionnelle locale (NDLR : Brighouse Town Football Club, West Yorkshire), et qui m’avait proposé de travailler un peu pour eux.

Selon toi, comment les analyses comme les vidéos que l’on peut trouver sur Twitter ou YouTube vont se développer ?

Je pense que l’analyse vidéo deviendra de plus en plus populaire en ligne, ce qui est une bonne chose. C’est juste embêtant que les gens risquent toujours de se faire bloquer leurs vidéos et suspendre leurs comptes à cause des droits. J’aimerais vraiment que les médias prennent une approche similaire à celle de la NBA où toutes les vidéos peuvent être repostées, mais je ne pense pas que cela arrivera.

En ligne, je pense que le niveau général des analyses s’améliore et c’est vraiment prometteur de voir certains jeunes analystes publier du travail intéressant.

Comment ton travail d’analyste, qui est dans l’ombre, peut être rendu plus attractif ou au moins plus reconnu ?

Honnêtement, et au moins au Royaume-Uni, ça devient de plus en plus attrayant et reconnu. Et ça ne fera que continuer, car le rôle d’analyste-entraîneur se développe, comme avec João Sacramento à Tottenham (NDLR : ancien adjoint de Marcelo Bielsa puis Christophe Galtier à Lille, arraché au LOSC par José Mourinho).

Crédit photo : John Early / Huddersfield Town

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Parle d'Allemagne et de Bundesliga, et c'est à peu près tout.