Aux origines de Zlatan Ibrahimovic, sous le crayon de Paolo Castaldi

Zlatan Ibrahimovic est unique. Ça, on le sait tous depuis presque deux décennies. Buteur de génie, dribbleur fou et narcisse de la communication, tous ces traits de personnalité du Suédois ont été ébauchés au cours d’une enfance passée dans le quartier cosmopolite de Rosengård. Pour retracer les premiers pas du colosse au pied d’or, l’auteur-dessinateur italien Paolo Castaldi s’y est immergé. Entretien footballistico-artistique.

Ultimo Diez : Vous aviez déjà couché sur le papier la vie de Maradona en 2014 (La mano de Dios : Diego Armando Maradona). Pourquoi avoir continué avec le personnage de Zlatan Ibrahimovic ?

Paolo Castaldi :  Le choix s’est porté assez naturellement vers lui quand j’ai eu envie de me lancer à nouveau dans le roman graphique sportif. J’avais lu son autobiographie et je suis resté marqué par cette jeunesse en Suède assez méconnue. En approfondissant le sujet, je me suis rendu compte que le personnage se doublait d’une tension sociale qui correspond au vécu de milliers d’Européens.

En plus d’un récit biographique des premiers pas footballistiques de Zlatan, vous proposez votre voyage à Malmö comme fil rouge. Comment est née une telle idée ?

De manière générale, le travail de reportage me plait beaucoup. Je suis passionné par le dessin, mais j’adore aussi m’immerger dans des réalités différentes de la mienne. Le travail de reportage est globalement assez peu effectué dans le monde de la BD, et cela m’a motivé à m’y investir. Je pars du principe qu’on ne connait pas totalement ce dont on parle si on ne visite pas l’endroit que l’on dessine.

Aux origines de Zlatan Ibrahimovic.

Aux origines de Zlatan Ibrahimovic.

Combien de temps êtes-vous resté à Rosengård et qu’est-ce qui vous a frappé dans ce quartier de Malmö ?

Je suis resté quelques jours, le temps de rencontrer des interlocuteurs qui ont côtoyé Zlatan de près ou de loin. À vrai dire, je n’ai pas été énormément frappé par le quartier, dans la mesure où il ressemble vraiment à la zone périurbaine classique du nord de l’Europe : des grands bâtiments assez similaires, une activité cosmopolite et un état de délabrement souvent inquiétant. J’ai grandi moi-même en banlieue, donc je m’attendais à atterrir dans ce type d’endroit. J’ai été plus surpris en revanche par l’accueil des gens, toujours très cordiaux. Il y a avait un vrai décalage entre l’image de «zone de guerre» des journaux et l’hospitalité des résidents.

Concernant Zlatan et Rosengård, vous citez une phrase assez terrible : “Ibra est né à Rosengård, mais aucun Suédois ne naît à Rosengård”, d’où est-elle tirée ?

Cette phrase a été prononcée par une femme que j’ai rencontrée pendant mon reportage. Elle avait les traits caractéristiques de ce que l’on imagine d’une Suédoise. J’avais à cœur de la mettre en valeur parce qu’elle traduit une réalité que l’on imagine assez peu de la Suède. Pour beaucoup, c’est un pays modèle en matière d’intégration, mais il y a en fait énormément de zones d’ombre lorsqu’on évoque les thématiques d’intégration et des migrants. Zlatan a été baigné dans ce ressentiment à cause de ses origines. Je ne me souviens plus du terme exact, mais il y a un mot en suédois qui pointe la distinction entre suédois scandinave et «suédois originaire de». Cette citation, c’est plus globalement la transposition du discours classique de la droite conservatrice que l’on peut entendre dans de nombreux pays européens.

Ibra ne serait pas Ibra sans Rosengård, et désormais l’inverse est aussi vrai.

Vous insistez sur le fait que le quartier de Rosengård a forgé le caractère fantasque de Zlatan. Sur quels points exactement ?

Naître dans un tel quartier nourrit forcément une personnalité. Zlatan ne serait pas Zlatan sans Rosengård, et désormais l’inverse est aussi vrai. Grandir là-bas, pour lui, c’était vivre en permanence dans le défi. Dans l’idée de : «Je vais leur montrer ce que je vaux, parce que je suis meilleur qu’eux.» Se taire, pour lui, c’était comme être inexistant, voire même être victime. Sa communication sur laquelle il joue et surjoue aujourd’hui provient de cette époque de sa vie.

Et puis il y a le contexte familial assez compliqué…

Tout à fait. Son père était pas loin d’être alcoolique. La guerre, la famille restée en Bosnie, le manque d’argent, c’était difficile à gérer pour un gamin. Zlatan a grandi dans une atmosphère extrêmement pesante, il s’est doté d’un caractère de lion pour surmonter tout cela.

Le but, par Zlatan Ibrahimovic.

Le but, par Zlatan Ibrahimovic.

Et footballistiquement parlant, comment Rosengård a façonné le personnage ?

Lorsque j’étais en Suède, j’ai été frappé par le terrain où Zlatan a fait ses premiers pas dans la rue. En voyant, ce mini-terrain, on comprend tout de suite comment il est devenu l’un des meilleurs dribbleurs au monde. L’art de se mouvoir dans de tout petits espaces, de dribbler, de feinter, de jongler… C’est typique du foot pratiqué là-bas. En fait, c’est typique du foot joué dans les quartiers populaires. Un joueur comme Antonio Cassano s’est forgée une identité footballistique assez similaire sur le goudron de Bari. Ousmane Dembélé en France m’inspire exactement la même chose au niveau de la nouvelle génération.

En quoi peut-on mettre en parallèle Maradona et Zlatan, deux des champions que vous avez passé des heures à dessiner ?

C’est dur de les comparer parce qu’ils ont vécu à des époques différentes. Et puis, la Suède et l’Argentine sont des réalités géographiques et sociales difficilement associables. À la différence de Zlatan, Maradona possède cette excentricité en dehors des terrains, là où Zlatan a toujours été très carré. Il a été très marqué par les problèmes de drogue de sa sœur et d’alcool de son père. Malgré tout, ils ont à eux deux cette faculté à fédérer autour d’eux, à faire en sorte que des personnes issus de quartiers populaires s’identifient à leur réussite. C’est brillant, d’autant qu’ils n’ont jamais cherché à masquer leurs origines. Ils en ont fait une force. Là où certains top joueurs chercheraient aujourd’hui à gommer des détails, Ibra et Maradona se sont servis de leur passé comme d’un mentor.

Le Zlatan du PSG avec la queue de cheval représente globalement le joueur dans son allure la plus symbolique.

D’un point de vue artistique, vous avez un coup de crayon assez particulier. Quelle est votre technique ?

On peut dire que j’appartiens à la nouvelle école. C’est-à-dire que je privilégie la rapidité à la précision du trait. Certains dessinateurs passent deux ans sur un projet de dessin, pour moi c’est impossible. J’ai besoin de coucher sur le papier ce que j’ai vu et ressenti. C’est exactement comme cela que j’ai procédé en Suède. J’avais déjà des ébauches en revenant en Italie. Le travail de finalisation a ensuite pris 4 mois, ce qui pour certains est une folie. En terme de technique pure, je me focalise assez peu sur les détails. J’ai un trait assez particulier, certains me reconnaissent d’ailleurs grâce à lui. J’utilise essentiellement le crayon avec des traits d’esquisse visibles.

Credit : Iconsport

Ibra est un joueur très expressif qui a en plus changé de style tout au long de sa carrière. En tant que dessinateur, comment s’adapte-t-on à un tel personnage ?

C’est un excellent modèle. Personnellement, je me suis basé sur des centaines de photos de lui. Il y a des traits qui reviennent souvent sur son visage et ils n’ont que peu changé au fil des années. Il y a d’abord son nez si particulier, puis ses yeux un peu bridé. Capillairement parlant, c’est plus compliqué, mais on va dire que dans l’esprit des gens, le Zlatan du PSG avec la queue de cheval représente globalement le joueur dans son allure la plus symbolique.

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S’il ne l’a pas encore lue, qu’est-ce que vous aimeriez entendre de la part de Zlatan concernant votre œuvre ?

Je serais très honoré qu’il me lise déjà. Maintenant qu’il rejoue en Italie, ce sera surement plus facile de lui faire parvenir un exemplaire. Pour vous répondre, j’aimerais sincèrement qu’il s’identifie à ce récit qui est basé sur un retour aux sources. J’imagine que pour lui, c’est important que des artistes racontent cette partie de sa vie qui est souvent laissée de côté. Volontairement de la part de certains journalistes qui préfèrent parler d’extra-sportif, mais aussi par simple oubli. Zlatan a toujours parlé de Rosengård, je crois qu’il tient énormément à cette partie de sa vie. Et puis il y a aussi l’humain. Beaucoup de lecteurs m’ont dit qu’ils avaient changé d’avis sur lui après avoir lu la BD. Pour moi, c’est la preuve que le travail d’immersion a réussi.

En suivant ce même processus artistique alternant entre reportage et biopic, pourriez-vous vous lancer sur la carrière d’un autre joueur ?

Il y en a beaucoup qui le mériteraient (il hésite). Moi, ce qui m’intéresse, ce sont surtout les backstages. C’est important de sentir le parcours initiatique d’un joueur. J’ai toujours pensé que Mario Balotelli serait formidable pour cela. Il a beaucoup de points communs avec Zlatan, notamment pour tout ce qui concerne les débats sur l’intégration, la nationalité. Et puis, c’est évidemment un personnage doté d’une personnalité très forte.

ZLATAN Histoire d’un champion, Paolo Castaldi – Sortie en France le 16 septembre 2020

Crédit : Iconsport et credit commons.

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