Sur la seconde marche du podium tant en Liga qu’en Ligue Europa, la Real Sociedad réalise une superbe saison. Mais plus encore que les résultats, c’est la manière qui impressionne. Match après match, les productions agréables se succèdent. L’équipe du technicien maison Imanol Alguacil s’impose comme l’une des sensations européennes de la saison. Coup d’œil sur les raisons de cette réussite.
Au revoir Martin, bonjour David
Déjà louée pour sa qualité de jeu la saison dernière, la Real Sociedad est encore plus convaincante aujourd’hui. Pourtant, avec le retour de Martin Odegaard au Real Madrid, le club de San Sebastián a perdu un élément-clé cet été. Départ que le recrutement de David Silva est venu combler numériquement. Mais, si le Norvégien et l’Espagnol ont des similitudes, une caractéristique majeure les distingue : leur rayon d’action. Là où Odegaard est capable d’intervenir (presque) partout, Silva ne brille jamais autant que dans le dernier tiers du terrain, entre milieu et défense adverse.
La conséquence directe est la perte pour Alguacil d’un joueur qui amenait beaucoup de qualité dans la seconde phase des actions, dans le deuxième tiers du terrain. Odegaard était en effet très impliqué dans le jeu des Basques et avait un rôle important dans la progression des attaques. David Silva, lui, est moins sollicité (en témoigne les 10 ballons de moins que le Norvégien qu’il touche par match) mais est meilleur dans les petits espaces aux abords de la surface adverse. Ce changement, poste pour poste en apparence, a en fait eu de grandes conséquences et a conduit Imanol Alguacil à faire évoluer son animation offensive.
Supériorité numérique, courage et variété
La phase de sortie de balle illustre parfaitement le football prôné par Alguacil. Les joueurs basques disposent ainsi d’une riche palette pour mener à bien la salida quel que soit le problème qui leur est posé. Sans être automatisés, les différents mécanismes sont compris et appliqué avec beaucoup de pertinence par des Txuri Urdin qui font preuve d’un réel courage et de beaucoup de personnalité au moment d’affronter le pressing adverse.
L’option préférentielle est une sortie au sol. Pour y parvenir, le procédé est assez classique : la Real Sociedad cherche à générer une supériorité numérique par rapport à la première ligne adverse pour permettre une conducción (fait de porter la balle pour fixer un adversaire et ainsi libérer un coéquipier) ou l’ouverture d’une ligne de passe verticale. Si l’adversaire ne cadre qu’avec un seul attaquant, alors les deux centraux basques suffisent. Sinon, un troisième joueur vient s’ajouter (le milieu pointe basse ou un latéral).
Une fois cette supériorité générée, il s’agit de fixer la première ligne adverse. Dans ce domaine, la Real Sociedad excelle. La maîtrise du tempo est très bonne, et il n’est pas rare de voir des passes molles ou un relanceur temporiser pour inviter le pressing.
Si le premier pressing adverse est bon, la Real varie sa manière de ressortir. Soit en sollicitant le gardien, mais pas pour qu’il dégage au hasard. L’idée est d’aspirer l’adversaire pour libérer des joueurs derrière la ligne de pression. Dès lors, le gardien peut sauter une ligne et chercher directement un joueur démarqué.
L’équipe est aussi capable d’allonger vers un offensif, essayant de récupérer un second ballon ou de bénéficier d’une déviation. Enfin, les ouvertures vers les ailiers, en direction des coins du terrain adverses sont aussi utilisées. Ainsi, si la balle est perdue, ce sera dans une zone peu dangereuse et facile à presser.
Flexibilité, quadrillage du terrain et mise en position favorable
Quand la relance se passe au sol comme souhaité, le jeu des Basques peut se mettre en œuvre. Pour progresser dans l’action, il faut trouver des relais plus haut sur le terrain que l’on appelle «homme libre». Ce terme désigne un joueur démarqué entre les lignes adverses. C’est ces joueurs qui permettent au jeu d’avancer. Il est donc nécessaire de pouvoir en trouver tout au long de l’action. L’enjeu est donc de quadriller au mieux l’espace, tant sur le plan de la verticalité que de la largeur. Pour se faire, les Basques sont capables de varier leur positionnement.
Lors des derniers matches, ils se sont organisés principalement de la manière suivante : la base de relance (les centraux souvent renforcés de la sentinelle), un pivot seul dans l’axe avec, à la même hauteur mais sur la largeur, les latéraux, encore un cran plus haut deux joueurs dans les demi-espaces (généralement les ailiers) et un joueur dans l’axe et enfin l’attaquant axial devant.
Ce 3-3-3-1 permet d’occuper l’espace de manière optimale. Les trois couloirs verticaux (les ailes, les demi-espaces et l’axe) sont occupés, et l’échelonnement des joueurs sur quatre lignes permet de disposer de solution à toutes les hauteurs du terrain. Cette animation a aussi l’avantage de mettre les meilleures individualités dans leur position préférentielle. David Silva et Mikel Oyarzabal, intégrés à la ligne de trois la plus haute, peuvent se mouvoir librement entre les lignes adverses et dispose de suffisamment de solutions pour combiner. Mikel Merino est en général le joueur qui occupe la position de pivot au milieu. De là, il peut faire admirer ses capacités de conservation et d’orientation et sa redoutable intelligence de jeu.
Une autre animation fréquemment utilisée suit les mêmes principes mais varie dans le positionnement. Similaire à ce qui était fait la saison dernière, l’équipe se positionne en 3-4-3. Avec toujours un trio à la relance et les latéraux au large, deux milieux sont ici chargés d’animer une moitié de terrain chacun, alors que trois joueurs occupent le front de l’attaque. Cette animation permet de libérer des zones différentes et de varier la manière d’attaquer. La menace que représentent trois joueurs sur le front offensif pousse la défense adverse à reculer, libérant ainsi de l’espace dans le cœur du jeu. Cet espace est exploité par la présence des deux milieux. Et quand ceux-ci sont de la qualité de Silva ou Merino, cela devient vite un problème pour l’équipe d’en face.
Cette très bonne occupation de l’espace, couplé à l’intelligence collective de déplacement, permettent le développement d’un jeu offensif vif et agréable. Triangles, redoublements, dépassements de fonctions et permutations s’enchainent sur un rythme rapide une fois le décalage initial créé.
Mais parfois, certaines problématiques empêchent l’expression de ce jeu. Affronter un bloc bas en est une. En effet, difficile de créer un décalage lorsque l’adversaire ne vient pas vous chercher et se contente de protéger sa surface. Cette problématique s’est notamment présentée contre Rijeka en Ligue Europa (2-2). Pour y faire face, l’équipe s’est structurée en 3-5-2. Les Croates ayant eu pour seul objectif la protection de leur surface, il n’y avait pas suffisamment d’espace pour jouer à l’intérieur du bloc adverse et créer des décalages.
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Dès lors, pour apporter le danger, le choix a été fait d’enchainer un maximum de centre dans les meilleures conditions possibles. Nacho Monreal (à gauche) et Adnan Januzaj (à droite) ont donc été chargés d’occuper la largeur. Leur qualité de centre, et d’élimination pour Januzaj, était ainsi utilisée de manière optimale. Un trio composé des deux défenseurs centraux et du latéral droit s’est vu charger de l’orientation du jeu et de la gestion des contre-attaques. Zubimendi, la sentinelle avait les mêmes prérogatives en plus de la gestion des seconds ballons repoussés par les défenseurs. David Silva et Mikel Merino occupaient chacun un demi-espace alors que Isak et Oyarzabal étaient les joueurs les plus proches du but adverse.
Avec 48 centres (dont 15 pour le seul Januzaj), 27 tirs et 12 corners, la stratégie a fonctionné puisque les deux buts de la Real Sociedad proviennent de centre. Les Croates, complètement asphyxié, ne doivent leur salut qu’à leur réalisme sur corners. Une approche similaire a été adopté ce week-end lorsqu’Alavés a été réduit à 10 et s’est recroquevillé devant sa cage.
À la récupération, soit la verticalité est trouvée rapidement, soit le choix est fait de repartir de l’arrière. C’est l’une des particularités de cette équipe, elle n’hésite pas à repartir de zéro pour démarrer une nouvelle action.
Pressing, contre-pressing et bloc médian
Sans la balle, Alguacil et ses hommes vont preuves de moins de variété mais sont tout aussi efficaces.
À la perte du ballon, les Basques effectuent un contre-pressing agressif et efficace. Particulièrement alerte lorsqu’il s’agit de fondre sur un adversaire venant tout juste de mettre le pied sur le ballon, ils n’hésitent pas non plus à recourir aux fameuses fautes tactiques afin de casser un contre dans l’œuf. En effet, en dépit de la quatrième possession de Liga (57,3%), l’équipe est aussi la sixième à faire le plus de faute (15 par match en moyenne).
En défense placée, le bloc basque s’organise en 4-1-4-1 et se positionne en général à une hauteur médiane.
Ponctuellement, notamment lorsque l’équipe rivale tente de repartir court, la Real Sociedad se positionne très haut pour bloquer la relance. Dans ce cas de figure, l’axe est fortement densifié et une approche individuelle y est appliqué. De cette manière, les basques sont en supériorité numérique pour disputer les seconds ballons et peuvent facilement basculer vers le côté sur l’adversaire joue vers la largeur. La ligne de touche constitue aussi une précieuse alliée dans ce cas de figure.
Le pressing n’est pas constant. Les joueurs se contentent de cadrer le porteur si la situation n’est pas favorable. En revanche, lorsqu’elle le permet (mauvaise passe, porteur dos au jeu, passe en retrait, mauvais contrôle, …), les Txuri-Urdin bondissent et déclenchent la pression. Agressifs, ils n’hésitent pas à aller chercher très haut les joueurs adverses. La bonne qualité de gestion de la profondeur par les défenseurs centraux permet d’assumer cette prise de risque à moindres frais.
Point faible de l’équipe la saison dernière, la défense est devenu un atout pour Imanol Alguacil et ses hommes. Deuxième défense de Liga tant au nombre de buts encaissés (5) qu’aux matchs achevés sans aller chercher le ballon dans ses filets (7).
Depuis la nomination d’Imanol Alguacil en décembre 2018 à la tête d’une équipe en crise, la Real Sociedad ne cesse de progresser. Déjà très intéressante en 2019-2020, elle s’est encore améliorée cette saison, en dépit de la perte d’un de ses éléments majeurs. En faisant évoluer son équipe, Alguacil l’a rendue plus flexible, sans jamais trahir ses principes de jeu. Dans un football européen de plus en plus fade, cette Real Sociedad nage à contre-courant et régale ceux qui la suivent par son football léché.
Crédits photo : Pressinphoto / Icon Sport.