[Analyse] Borussia Dortmund : salut Lulu !

Après environ 2 ans et demi et exactement 110 matches passés à la tête du Borussia Dortmund, Lucien Favre se retrouve aujourd’hui sans club. Après une débâcle à la maison face à Stuttgart (défaite 5-1) les dirigeants ont, à la surprise de beaucoup, décidé de se séparer de l’entraîneur suisse. Analyse.

Quel bilan ?

Lorsqu’un entraîneur se fait limoger, c’est en général à cause de son bilan. Commençons donc l’analyse par cela. Sur les 110 matches toutes compétitions confondues durant lesquels Lucien Favre a été à la tête de Dortmund, il y a eu 68 victoires, 17 matches nuls et 25 défaites.

En Bundesliga seulement, le club allemand a obtenu une moyenne de 2,08 points par match. À titre de comparaison, c’est bien mieux que Peter Stöger (1,74) et Peter Bosz (1,47), qui n’ont pas passé la barre des 20 matches de championnat, mais aussi que Jürgen Klopp (1,83), qui a évidemment connu d’autres contextes et qui a fait de ce club ce qu’il est aujourd’hui. En revanche, son bilan est à peine inférieur à celui de Thomas Tuchel en Bundesliga (2,09).

Alors, pourrions-nous considérer son bilan comme honorable ? À un certain degré, oui. Après tout, en 2018/2019, lors de sa première saison en charge, il termine à 2 points du Bayern, en ayant même dominé pendant la quasi-totalité de la saison. Et, en 2019/2020 il termine une nouvelle fois dauphin du Bayern, en ayant lutté de manière acharnée avec trois clubs qui vivaient de très belles saisons : Leipzig, Gladbach et Leverkusen. Quel peut donc être le problème ?

Il semblerait que ce soit les huitièmes de finale. Tout d’abord, en coupe d’Allemagne. Que ce soit en 18/19 ou en 19/20, les Schwarzgelben sont sortis assez prématurément, et face au même adversaire, le Werder Bremen. Ne pas pouvoir rivaliser sur la durée en championnat avec le Bayern d’Hansi Flick est une chose, mais les supporters attendent des parcours sérieux dans une compétition où il ne devrait pas être si difficile pour un tel club d’atteindre le dernier carré.

Ensuite vient la Ligue des champions. Dans cette compétition mythique, qui avait fait briller cette équipe il n’y a pas si longtemps, le parcours s’est, là aussi, arrêté rapidement. La première fois, on pouvait même dire que c’était sans appel, tant ils avaient été dominés par le futur finaliste de l’épreuve, Tottenham. La deuxième, par contre, fait certainement un peu plus mal, malgré le contexte que l’on connaît. Cette élimination face au PSG a été prise comme un petit coup derrière la tête, tant les ambitions annoncées étaient différentes.

Enfin, parlons de cette saison. Le bilan en ligue des champions est positif, malgré la défaite à Rome, puisque les jaunes et noirs terminent à la première place de leur groupe, qu’on ne pouvait que juger abordable pour eux. En Bundesliga, le bilan, surtout récent, est plus mitigé. L’exercice avait très bien commencé avec une victoire éclatante face à l’autre Borussia (3-0), avant de rapidement redescendre sur terre la journée qui a suivi, à Augsburg (défaite 2-0). Quelques résultats positifs plus tard, la machine s’est à nouveau enrayée avec deux défaites à domicile, face à Cologne (2-1) et Stuttgart (5-1), pour le dernier match de Lucien Favre.

Ces deux résultats, alarmants certes, justifiaient-ils un départ de l’entraîneur suisse, à 3 matches de la fin de l’année 2020 ? Cela semble, à ce stade de l’analyse, encore trop difficile à déterminer.

Et sur le terrain, cela donnait quoi ?

Depuis son passage fructueux dans l’ensemble au Borussia Mönchengladbach, Lucien Favre semble jouir d’une certaine réputation. Celle d’un intellect du football, qui inculque des principes de jeu à ses équipes qui deviennent alors, pour le spectateur, «belles» à regarder. Pourtant, quand on s’y intéresse de plus près, les reproches les plus importants qui lui ont été faits par les supporters du club allemand concernent bien souvent le fond de jeu de son équipe. Jugée trop passive, pas assez séduisante, voire pas assez dominatrice face à plus faible qu’elle-même, cette équipe semble, depuis trop longtemps manquer d’une identité footballistique qui a autrefois fait sa gloire. Car sans ballon, les chiffres du Borussia restaient, malgré la récente humiliation, bons dans l’ensemble. Le problème se posait surtouCrédt pour les phases avec ballon, comme Mats Hummels l’a signalé il y a quelques jours :

«Malheureusement, nous ne prenons des risques que dans les endroits où l’apport est assez limité, contrairement aux conséquences défensives qui peuvent, elles, être lourdes.»

En observant leur jeu de plus près, il paraît évident qu’ils avaient du mal à faire parvenir le ballon dans les zones clés du terrain, à savoir le fameux «half-space», dont la maîtrise et l’exploitation sont absolument vitales pour toute équipe ayant de réelles ambitions dans le jeu. Or, dans ce cas précis, nous avions souvent droit à un schéma assez caricatural de circulation en U, d’un côté à l’autre du terrain, presque forcée par le système préférentiel de Favre, le 3-4-2-1. Cela a notamment été causé par la mauvaise utilisation des deux milieux centraux, qui peinaient à créer des solutions de passe viables entre les lignes, et a donc déporté le jeu sur les côtés où, là aussi, il était difficile de trouver un relai ou une ligne de passe dans le cœur du jeu.

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Ce système dépendait, par conséquence, davantage de certains profils (Hakimi, Sancho) ou tout simplement de la qualité bien au-dessus de la moyenne de ses joueurs (Hummels, Guerreiro, Dahoud, Haaland). L’entêtement du technicien avec son 3-4-2-1 pourrait donc bel et bien avoir participé à sa chute.

Mais ce n’était pas l’unique système utilisé, puisqu’on a aussi souvent pu voir cette équipe évoluer dans un 4-2-3-1, plus classique certes, mais qui apparaissait comme faisant meilleure utilisation des forces principales de cet effectif, en plus de mieux convenir à des profils très système-dépendants (Brandt, Reus).

Ce dispositif a connu deux cycles notables. Il était d’abord le système principal lors de la première saison, en grande partie réussie, de Lucien Favre et a été maintenu en début de saison 2019/2020, avant d’être abandonné suite à une claque face au Bayern (4-0) et un nul rocambolesque face à Paderborn (3-3). Ensuite, il a fait son retour cette saison suite à la défaite à Rome en Ligue des champions, avant de disparaître à nouveau après une défaite à domicile face à Cologne.

Ce que l’on peut en retenir, c’est que ce 4-2-3-1 a connu de meilleures périodes que le 3-4-2-1, mais qu’il a, à chaque fois, très vite été mis de côté après de premiers accrochages embêtants.

Était-ce la bonne chose à faire ? Il est en tout cas plus facile d’avoir un regard critique sur cette situation une fois celle-ci terminée. Favre n’était peut-être pas le seul problème du Borussia Dortmund.

Le projet au cœur du problème ?

Qui se souvient du «projet Dortmund» de l’Olympique de Marseille de Vincent Labrune ? Autrefois, ces mots suffisaient pour donner à la fois un exemple à suivre et une ligne directrice claire pour la politique sportive d’un club. Que ce projet ait ensuite porté ses fruits ou non, là n’est pas la question. Tout le monde comprenait, au moins sur le papier, ce «projet Dortmund».

Mais aujourd’hui, un club pourrait-il s’inspirer de ce Borussia Dortmund actuel ? Serait-ce alors une solution viable ?

Financièrement, il n’en fait aucun doute. Il s’agit de l’un des clubs les plus sains en Europe, notamment grâce à la relation entre recrutement et réussite sportive qui a bien fonctionné pendant de longues années. Cependant, serait-il possible d’imaginer qu’une fois le premier cap passé, cette politique limiterait la réussite sportive ? En tout cas, quand elle est poussée à un tel extrême, cela doit être le cas.

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Quand on analyse l’effectif 2020/2021 du BVB, quelque chose saute aux yeux. Quatre joueurs clés de cette équipes ont 20 ans ou moins : celui qui est impliqué dans plus de la moitié des buts de son équipe en championnat, Erling Haaland (20 ans) ; le principal créateur de danger, Jadon Sancho (20 ans) ; Giovanni Reyna (18 ans), qui s’impose cette saison comme l’un des éléments offensifs les plus forts ; et Jude Bellingham (17 ans), qui ne s’attendait sûrement pas à jouer un rôle si important dès son arrivée.

À ces joueurs déjà installés, on peut aussi ajouter Mateu Morey (20 ans) qui, récemment, convainc plus que Thomas Meunier aux postes de latéral droit et de piston droit, et Youssoufa Moukoko qui, à 16 ans, écrit l’histoire grâce à son génie certes, mais sur lequel on met déjà énormément de pression.

Hans-Joachim Watzke, le directeur exécutif du club, a fait de ce club ce qu’il est aujourd’hui et l’a conduit vers les sommets. C’est un véritable génie sur l’aspect financier, tant il a su, année après année, faire grandir son club sur le plan économique et sur le plan sportif. Cependant, ses dernières actions semblent indiquer où sa priorité se situe. Mais peut-on réellement lui en vouloir ?

Il faut, toutefois, s’interroger sur le futur pour le club de cet homme, qui déclarait suite au licenciement du Lucien Favre :

«Nous avons du mal à franchir un cap. Nous pensons que la réalisation de nos objectifs pour la saison actuelle est très menacée en raison de la récente mauvaise dynamique de l’équipe et c’est pourquoi nous devons agir.»

Selon lui, l’entraîneur était donc au minimum l’une des causes de cette «saison menacée». Ce qui apparaît comme évident, c’est que Lucien Favre n’était pas réellement Dortmund-compatible. Cela s’est traduit par deux éléments liés, le jeu produit, qui était assez loin de ce que l’on avait l’habitude de voir, et l’absence d’un lien identitaire à ce club, à sa culture et à son histoire.

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Pour remédier à cela, et pour assurer l’intérim jusqu’à la fin de la saison, les dirigeants ont donc fait appel à Edin Terzic, enfant du club et de la région. Né à une trentaine de kilomètres de Dortmund, il a d’abord enchaîné les clubs de la région en tant que joueur (Wattenscheid, Herne, Dröschede, pour ne citer qu’eux), avant d’intégrer, en 2010, les rangs du Borussia Dortmund en tant que recruteur. Puis, il a fait ses gammes au sein des différentes catégories de jeunes, en tant qu’assistant. Il a même connu deux postes d’assistant à l’étranger, à Besiktas et à West Ham, accompagnant à chaque fois Slaven Bilic, avant de retourner dans son club de cœur, cette fois en travaillant avec Lucien Favre.

À partir de là, tout n’est encore que théories et imaginations, mais avec cette décision, les dirigeants jaunes et noirs font un pari risqué certes, mais qui devrait ravir les fans. Ils font le choix de se rapprocher d’eux, et de tenter de lui redonner ce qui le distinguait, son identité.
Il est difficile de savoir ce que vaut réellement Edin Terzic, surtout à ce poste, mais ce qui est absolument certain, c’est qu’il est, lui, Dortmund-compatible.

«Il y a deux moyens de gagner un match : encaisser un but de moins que ton adversaire, ou marquer un but de plus que ton adversaire. Je suis plus en faveur du second.»

Crédit photo : Picture Alliance / Icon Sport

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