Le 19 janvier dernier, à la surprise de tous, la Fédération Française de Football a annoncé que la Coupe de France allait reprendre pour les clubs amateurs. Le protocole conçu avec le Ministre des Sports a été validé par le gouvernement, ce qui permet à ces clubs de retrouver les terrains d’entrainement pour préparer les matches de ce week-end. Le dernier tour de la coupe date du 18 octobre, et la majorité des compétitions amateurs se sont arrêtées au dernier confinement. Nous sommes allés à la rencontre des principaux concernés qui ne cachent pas leur inquiétude et leur frustration.
Les clubs amateurs ont pu reprendre les entrainements sans contacts depuis le 10 décembre. Puis changement de règles pour les clubs encore en lice en Coupe de France : ils sont autorisés à reprendre les entrainements «normaux». Enfin, presque normaux. Avec tests PCR et couvre-feu. Au moment de l’annonce, encore 254 clubs sont en lice pour ce 6e tour un peu particulier.
En effet, pour faire face aux obligations de calendrier mais également à la suspension de 3 mois sans matches de Coupe, la FFF avait décidé de former 2 tableaux distincts pour la suite de la compétition. D’un côté : les clubs pros, à savoir Ligue 1 et Ligue 2. De l’autre : les clubs de National jusqu’en… Départementale 2 (10e échelon du foot français). Les deux voies doivent se rejoindre en 16es de finale début mars, avec 15 clubs professionnels et 17 clubs amateurs. Il reste donc 4 tours à jouer dans cette voie des amateurs avant de retrouver les pros.
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La joie de retrouver les terrains
Les premières réactions des clubs en lice étaient évidemment positives. La majorité des amateurs ont joué leur dernier match le week-end du 25 octobre 2020 et beaucoup avaient hâte de reprendre la compétition. «Les joueurs étaient contents parce que ça manque de jouer, c’est un petit passe-droit par rapport à d’autres clubs, témoigne Fabien Grignon, entraineur de l’OC Cesson (Ille-et-Vilaine) en Régional 1. Même si par rapport à la situation sanitaire, on peut se poser des questions.» Même son de cloche chez le petit Poucet de ce tour, l’US Crèvecœur-le-Grand, en Départemental 2. «On est tous satisfaits, mais le temps de préparation est assez court, confie Kevin Journier, défenseur central de ce club dans l’Oise. On est tous contents de faire le match, mais on aurait bien aimé le préparer.»
«C’est un petit passe-droit par rapport à d’autres clubs de pouvoir jouer»
Ce sentiment mitigé entre joie et retenue est partagé par beaucoup. «Dans un premier temps on est content, on va rejouer. C’est cool parce que ça fait des mois qu’on s’entraine sans compétition derrière et c’est dur, explique Manu Imorou, joueur de Thonon Évian Grand Genève FC (Haute-Savoie) en National 3. Mais aussi, on a que 10 jours pour s’entrainer. C’est court…» Pour lui, cette édition à deux tableaux aurait même des avantages : «C’est un format qui permet d’aller un peu plus loin. Ça met la lumière sur notre club, et même sur nous les joueurs.»
Les séniors Hommes et Femmes ainsi que les arbitres du club ont profité de bonnes conditions ce dimanche, pour participer activement aux entraînements à La Valette et préparer les prochaines échéances (notamment la Coupe de France) tout en respectant les gestes barrière. pic.twitter.com/ClFMiGCwO4
— OC Cesson Football (@OCCessonFoot) January 24, 2021
«7.500 euros, c’est pas rien pour un petit club»
À l’ES Falaise en Régional 2, et comme dans beaucoup de clubs, on reste motivés pour les matches de ce week-end. «C’est sans doute l’un des derniers matches parce que le championnat devrait être arrêté, souligne Arnaud Aubert, référent communication dans ce club du Calvados. Ça reste la Coupe de France donc ça se joue, et les gars étaient partants.» Il faut dire qu’au-delà de l’enjeu sportif, la Coupe de France a ses avantages : la dotation pour ce tour est de 7.500 euros et 20.000 au prochain. «C’est pas rien pour un ptit club», appuie Rozenn Henry, présidente du CS Bégard (Côtes-D’Armor) en R1.
Rudy Leverd, joueur de Liffré (Ille-et-Vilaine) en R1 aussi, ajoute que cet aspect est d’autant plus important dans la période actuelle : «On a perdu pas mal de sponsors, les artisans de la commune etc. Une rentrée d’argent serait bienvenue.»
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Une préparation plus que compliquée
Si la joie est modérée, la gestion de la préparation pour ces clubs amateurs est quelque peu chaotique. Pour Thierry Steimetz, entraineur de Hombourg-Haut (Moselle) en R2 : «On a le cul entre deux chaises, dans la manière et dans la façon c’est compliqué d’organiser le match.» Entre l’annonce de la reprise et la date des matches, les amateurs ont eu 11 à 12 jours pour rejouer au football et être en forme pour leur match de Coupe de France. «La plupart, vu qu’il n’y avait plus d’objectifs, ont coupé, ajoute Steimetz. Au début on fixait des entrainements à la maison, mais à force certains ont lâché, et c’est normal.»
«On leur a préparé le petit déj»
Alors que certains clubs ne s’étaient quasiment pas entraînés depuis novembre, il a fallu accélérer la cadence pour réathlétiser leur effectif. Avec la contrainte du couvre-feu. Là où des clubs faisaient jusque-là des entrainements en sortant du boulot vers 18h, il fallait que tout le monde soit à la maison pour cette heure-ci. De nombreux clubs ne s’entraînent donc que le week-end. Mais certains valeureux se lèvent aux aurores pour caresser le cuir dans la brume matinale. Au CS Bégard, les joueurs s’entrainent dès 6h15, détaille leur président Rozenn Henry : «Ils seront 20 présents demain matin, et on leur a préparé le petit déj.» Il en va de même pour l’Olympique Pavillais (Seine-Maritime) et l’OC Cesson en R1, imités par bon nombre d’autres clubs à travers la France. Mais ce ne peut être le cas de tous.
«On envoie les joueurs à l’abattoir»
«Y a des clubs qui ne pouvaient pas s’entrainer avant et qui ne peuvent toujours pas s’entrainer, alerte Manu Imorou, ancien pensionnaire du SM Caen en Ligue 1. Quand ça fait des semaines, des mois que tu ne t’entraines pas, tu ne peux pas préparer une compétition en 10 jours.» Et certains entraineurs ont peur pour leurs joueurs. «On a peur même pendant l’entrainement. On peut avoir des joueurs qui nous disent qu’ils n’ont pas mal pour pouvoir jouer, confie Arnaud Aubert de l’ES Falaise. On ne peut pas être sûr de leur forme, les terrains sont gras, les appuis fuyants, le physique et le cardiaque ne sont pas au top.» Grégory Meunier, coordinateur sportif de l’Olympique Pavillais, est lui plus catégorique. «On envoie les joueurs à l’abattoir. Physiquement ils ne sont pas prêts et encore moins pour jouer Quevilly.» Alors que son club de R1 affronte QRM, 2e de National.
Une situation sanitaire contraignante
Avant la reprise des entrainements avec contacts, les joueurs devaient effectuer un test PCR. À 2 ou 3 jours du match, ils doivent à nouveau se faire tester et feront un dernier test antigénique le jour du match. Des contraintes pour des clubs amateurs, où les joueurs doivent trouver du temps entre entrainements et boulot pour passer au labo. Un problème moindre pour James Le Marer, capitaine du Stade Briochin en National, où la compétition ne s’est jamais arrêtée : «On se fait tester toutes les semaines, on doit être au 23e ou 24e test PCR. Pour nous c’est juste un rituel.»
«En ce moment, ce n’est pas facile de trouver des professionnels de santé»
Ces tests sont également un aspect à anticiper pour les coaches : «On part avec un groupe élargi de 18/19 joueurs au lieu de 16 en cas de problèmes avec les tests», explique Grégory Meunier. Les clubs doivent désigner un référent Covid dans leurs rangs et avoir sur place, le jour du match, un médecin pour contrôler les tests négatifs. «On a la chance d’avoir un maire qui est très sport, et un pharmacien viendra faire les tests directement le dimanche. C’est pratique parce qu’en ce moment, ce n’est pas facile de trouver des professionnels de santé pour nous aider.»
«On a 3h de route, on joue à 13h et faut qu’on rentre avant 18h»
Comme lors de la reprise en juillet, les amateurs n’ont toujours pas accès aux vestiaires : «On n’a plus de vestiaire, on lave nos affaires tous seuls, on doit arriver déjà habillés», rappelle Manu Imorou. Des contraintes qui s’accumulent, notamment pour ceux qui s’entraînent tôt le matin avant de filer au travail. Puis il y a la contrainte du couvre-feu, qui perturbe les entrainements mais aussi les matches. «On a 3h de route, on joue à 13h et faut qu’on rentre avant 18h, explique Thierry Steimetz. Mais il faut prendre en compte le temps de manger, d’échanger avec les autres en fin de match…» La FFF a depuis précisé qu’une simple photo de la feuille de match ajoutée à l’attestation pour couvre-feu seront suffisants pour rentrer hors délais.
Des instances qui réagissent
Face à cette situation rocambolesque, les différentes instances du football amateur n’ont pas manqué de réagir. À commencer par la Ligue des Hauts-de-France, qui, dans un communiqué s’insurge de ne pas avoir été prise en compte au moment de la décision. Elle critique aussi vivement des conditions qui ne peuvent être considérées comme «une bonne nouvelle pour le Football amateur». «Si nous nous accordons tous sur l’envie de renouer avec la pratique, cela doit se faire dans des conditions sereines et raisonnées, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.»
«On a réinventé la Coupe de la Ligue»
À l’annonce de la reprise de la Coupe de France pour les amateurs, Eric Thomas, président de l’Association française des clubs amateurs, s’est dit «extrêmement surpris, mais pas par la méthode parce qu’il n’y a jamais aucune concertation». Il semblerait que la décision ait été prise par le gouvernement avec la Fédération Française de Football. Les ligues et les clubs amateurs avaient été mis au courant des différents scenarii pour la reprise de la Coupe, sans pour autant avoir de pouvoir sur la décision finale. Les discussions se sont principalement tenues entre le Ministère de la Santé et celui des Sports (et la FFF) pour trouver un terrain d’entente sur le protocole sanitaire. Le nouveau format fait aussi débat pour Eric Thomas : «Pour faire semblant de garder l’esprit de la Coupe de France, on a réinventé la Coupe de la Ligue. C’est marche ou crève. (…) L’esprit, c’est qu’on laisse la même chance aux deux adversaires, et là ça n’est pas l’éthique sportive.»
Pierre Samsonoff éclaircit la situation pour les clubs amateurs : « Il n'y a pas d'incertitude » sur le sixième tour de la Coupe de France https://t.co/jeIFpOL8N5 pic.twitter.com/Q6dXxSL985
— L'ÉQUIPE (@lequipe) January 26, 2021
«La compétition est considérée comme événement protégé par l’État»
La Fédération Française de Football se défend, par l’intermédiaire de Pierre Samsonoff, directeur de la Ligue du football amateur à la FFF dans le journal L’Équipe. Pour lui, «l’idée est bien de mener la formule présente à son terme». Il n’y avait pas vraiment de bonnes solutions et celle-ci apparaissait comme la moins mauvaise. D’autant plus que symboliquement, il était difficile d’annuler «la compétition emblématique de l’unité du foot français.» «Elle a toujours eu lieu, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale. Les valeurs symboliques et sportives sont très fortes. Le gouvernement y est attaché, aussi.»
Garder «l’esprit Coupe de France» avec les clubs amateurs paraissait aussi essentiel pour Pierre Samsonoff : «On aurait pu la réserver aux clubs dont les Championnats étaient maintenus, mais l’hypothèse a été très vite écartée car on perdait sa philosophie et sa raison d’être.» Quant à la question de savoir si la Coupe de France sera maintenue même en cas de reconfinement, il tient à rassurer : la compétition est «considérée comme événement protégé par l’État».
On l’a compris, la joie de retour sur les terrains s’entremêle aux difficultés rencontrées. Mais comment ces clubs envisagent-ils des rencontres de Coupe de France à huis clos au parfum de gel hydroalcoolique ? Spoiler : certains en ont gros sur le cœur, et d’autres jettent tout simplement l’éponge. Suite et fin de notre enquête à retrouver sur notre site demain.
Crédit photo : Icon Sport