À l’arrivée aux 16es de finale, 17 clubs amateurs auront la chance d’affronter les 15 clubs pro restants. Avoir autant de clubs amateurs à ce stade de la compétition sera une première dans l’histoire de la Coupe de France. Mais l’impression plane tout de même d’avoir un «esprit Coupe de France» au rabais. Suite et fin de notre enquête sur cette édition pas comme les autres.
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La magie de la Coupe de France, c’est l’occasion de voir des pros affronter des amateurs, avec pour seul écart leur tableau de championnat. La magie de la Coupe de France, c’est aussi d’avoir, le long des coursives et dans les tribunes en béton, toute une ville qui se réunit autour de son équipe. C’est ces stades pleins, la buvette, les surprises à chaque tour… Cette saison, le Covid-19 est venu chambouler «la reine des compétitions» au grand dam des clubs amateurs, dont certains finissent par jeter l’éponge.
Pas la même Coupe de France pour tout le monde
«Entre amateurs y a pas d’équité, on risque de tomber contre des National 1 ou National 2 qui eux ont continué à s’entrainer ou même à jouer, déplore Thierry Steimetz, entraineur de Hombourg-Haut en Régional 2. Alors que toi t’es en début de préparation.» Dans cette Coupe de France nouvelle version, on retrouve du côté des «amateurs» des clubs allant de National à District. Le problème : les clubs de National n’ont jamais arrêté le championnat, là où les clubs de National 2 et moins n’ont pas joué un match depuis fin octobre. Une première inéquité de préparation du match.
Premier entrainement depuis fin octobre pour Hombourg-Haut. Crédits : SSEP Hombourg-Haut
«Entre amateurs y a pas d’équité»
L’autre problème tient dans la possibilité de s’entrainer. Les amateurs, comme leur nom l’indique, travaillent en dehors et jouent au football par passion, le soir en sortant du travail. Mais depuis le couvre-feu à 18h, cette notion de «soir» n’existe plus. Et tous les clubs ne subissent pas cette contrainte de la même manière. À l’OC Cesson (Ille-et-Vilaine) , où l’on ne s’entraine que le week-end depuis le couvre-feu de 18h, on s’estime pourtant chanceux : «La National 3 que l’on joue (ndlr : Dinan Léhon) a eu plus de mal que nous à s’entrainer, explique l’entraineur Fabien Grignon. Parce qu’ils avaient beaucoup de joueurs qui sont sur le bassin rennais et ne pouvaient pas faire le déplacement jusqu’à Dinan pour les entrainements.» (ndlr : 45 minutes de route entre les deux villes)
«On a conscience d’être chanceux»
Chez les clubs avec des joueurs en contrats fédéraux en revanche, la préparation de ce match s’est déroulé normalement. À Evian Thonon (Haute-Savoie) en National 3, les joueurs sont tous sous contrat, et ont simplement augmenté leur dose de travail, de 3 entrainements par semaine aux sessions quotidiennes. «On a conscience d’être chanceux, ajoute Manu Imorou. Nous ça va on s’en sort bien, on est payés pour ça.» Il en va de même pour le Stade Briochin (Côtes d’Armor), pensionnaire de National, comme nous raconte James le Marer : «On a une séance tous les matins, tout le monde ne fait que ça, donc le coach peut s’adapter.» Et le joueur dit comprendre le mécontentement des clubs qui dénoncent ces écarts de préparation : «Moi je les comprends dans la frustration, ce sont des clubs qui n’ont plus de matches depuis 3-4 mois. Je comprends qu’ils se sentent lésés et qu’ils soient énervés.»
https://twitter.com/StadeBriochin/status/1353606764076404740?s=20
«Avant le confinement, on aurait eu plus de chance de gagner»
Puis face à ces contradictions d’une reprise précipitée avec une préparation compliquée, certains préfets ont donné l’autorisation aux clubs de leur département de s’entrainer au-delà de 18h. Dans le Maine-et-Loire, l’Aisne et… le Calvados. Une nouvelle bien accueillie par Arnaud Aubert, responsable de la communication des séniors de l’ES Falaise (Calvados) en R2, qui fait partie de ces chanceux : «Avec l’accord du préfet pour s’entrainer après 18h, on va pouvoir avoir 2-3 entrainements. Mais avant, on ne s’entrainait pas.» Une décision départementale qui rajoute une inéquité pour le club qui devra les affronter. Kevin Journier, joueur de l’US Crèvecœur-le-Grand (Oise) en Départemental 2, qui affronte le club de Laon (Aisne) en R1, désespère : «On a vu que le préfet de l’Aisne a donné le droit de s’entrainer après 20h, mais nous dans l’Oise non, donc c’est un peu injuste. Je trouve ça illogique.» Puis il ajoute : «Avant le confinement, on aurait eu plus de chance de gagner.» Un sentiment partagé par la majorité des clubs.
Une magie de la Coupe de France envolée
«Pour moi c’est pas du tout l’esprit Coupe. Normalement un match de Coupe c’est avoir du monde autour du terrain, c’est une fête.» Le Marer, capitaine du Stade Briochin en National, doit jouer Bourg-Blanc (Finistère), club de Régional 2, dont le président Patrice Arhan s’agace : «Jouer un match à huis clos avec des joueurs qui peuvent se blesser et des partenaires fermés, je ne vois pas l’intérêt.» Un point de vue parfaitement compris par celui qui aurait dû être leur futur adversaire, James le Marer : «Ils auraient dû garder la même chose que pour les championnats, donc garder que National, Ligue 2 et Ligue 1. Avec ce modèle, ça va plus desservir les clubs amateurs qu’autre chose. Là il n’y a plus d’intérêts pour eux, parce qu’ils n’ont pas de revenus, pas de buvette.»
«Pour moi, c’est pas du tout l’esprit Coupe»
Un sentiment plus que partagé par Manu Imorou, qui avait alerté sur Twitter des difficultés rencontrées pour préparer le match : «On a toujours dit que la Coupe de France, c’était la coupe qui réunissait les clubs sur un pied d’égalité, mais là ce n’est pas ça. Parce qu’on essaie juste que la Coupe se finisse et qu’il y a des enjeux financiers.»
https://twitter.com/Manuimorou/status/1352640290562183172?s=20
«Les quelques bénévoles qui sont là vont tout donner pour les encourager»
«Ça perd totalement son charme, pour avoir joué plusieurs tours, même un 32e de finale, l’engouement pour un joueur amateur c’est exceptionnel, commente Rudy Leverd, joueur de Liffré (Ille-et-Vilaine). Et là on a un stade vide. Ça ressemblera plus à un match amical.» Rozenn Henry, présidente du CS Bégard (Côtes d’Armor) en R1, se désole aussi : «Ça va être très triste. Quand on recevait à domicile, le public c’est le 12e homme normalement. On se dit que les quelques bénévoles qui sont là vont tout donner pour les encourager.»
Pour le petit Poucet de l’US Crèvecœur-le-Grand en Départementale 2, la déception est énorme : «Notre 6e tour est déjà historique, notre meilleur parcours c’était le 4e tour. Mais sans supporters, c’est moins motivant. Nos tours précédents, ils étaient au moins 300 à venir…»
Des clubs qui déclarent forfait
Face à ces matches sans réels intérêts, des clubs ont tout simplement déclaré forfait. Le FC Flers a lancé le mouvement, suivi par Illkirch puis Tourcoing puis Dompierre. À l’heure où nous écrivons ces lignes, ils sont 8 à avoir jeté l’éponge, et d’autres clubs devraient suivre avec l’arrivée des résultats des tests PCR d’avant-match.
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Le FC Flers, dans l’Orne, en R1, a été le premier à capituler alors qu’ils devaient affronter le FC Rouen, club de N2. «Je pense vraiment que la Fédé voulait bien faire, mais on est trop dans la précipitation», commence David Lottin, co-président du club. L’origine de cette décision vient surtout de l’écart entre les deux clubs, qui n’ont pas suivi le même rythme. «À la base on était contents, on avait sorti une N2 avant (ndlr : une première historique pour le club), et là on avait encore une N2. Mais on a face à nous un club qui s’est entrainé normalement avec des contacts, et le défi est déraisonnable. Reprendre après 3 mois d’arrêt, se préparer en 2 semaines avec le couvre-feu, c’est déraisonnable. On a préféré déclarer forfait, pour la santé de nos joueurs.» Et il précise : «Si on avait joué contre un club de notre niveau, on l’aurait fait !»
Le dirigeant du club normand soulève un autre problème : la mobilisation de médecins et de pharmaciens pour maintenir le protocole. «Je pense que le corps sanitaire a autre chose à faire que de tester des flopées de joueurs. Il n’est pas l’heure de jouer au foot», conclue-t-il.
«Pourquoi nous, on irait jouer au foot dans des conditions très précaires ?»
Ses propos trouvent très vite écho de l’autre côté de la France, dans le Bas-Rhin. Guy Massalou est président du F.A. Illkirch-Graffenstaden en N3, mais aussi médecin dans la vie de tous les jours. Deux casquettes dont l’une n’est pas sans influer sur l’autre : «On parle de reconfinement, et moi en tant que médecin, je me demande pourquoi nous on irait jouer au foot dans des conditions très précaires alors que les restos sont toujours fermés, les théâtres aussi et que les étudiants n’ont pas le droit d’aller à la fac.»
Il s’interroge aussi sur l’intérêt d’aller jouer, vu le risque sanitaire encouru. «Normalement pour les clubs amateurs, c’est une fête. Dans les conditions à huis clos, ça n’apporte rien. Quand je vois ce qu’il se passe chez les pros et qu’il y a des clusters quand même…, soupire-t-il. Nous, on n’est seulement amateurs!» Le président/médecin a aussi un petit mot pour les institutions, dont il trouve la décision «déplacée» : «Je pense que la Fédé et le Ministère des Sports, qui sont sous le Ministère de la Santé, imposent ça en se disant “comme ça on l’aura terminé”.» Avant d’ajouter : «Tout le monde me félicite du courage de ma décision alors que c’est juste logique.»
«C’est perdu d’avance pour les amateurs»
«L’écart était trop grand donc on avait perdu d’avance, fait savoir Fabien Desmet, le président de l’US Tourcoing (Nord) en R1. Jeter des joueurs en pâture face à des pros, c’était pas possible. Avec le coach, on a considéré qu’ils n’étaient pas prêts à affronter des pros.» Son club a déclaré forfait alors qu’ils devaient affronter Boulogne, pensionnaire de National. Il dénonce un modèle inéquitable : «À Boulogne, ils sont considérés comme des amateurs alors qu’ils sont pros, ils vont tomber que contre des amateurs donc ils ont le chemin tout tracé, dénonce-t-il. C’est perdu d’avance pour les amateurs. Les pros, ils ont fait 30 matches alors que les amateurs on fait 3 matches. (…) C’est forcément dégueulasse pour les clubs amateurs.»
«L’image du foot c’est pas ça, l’image de ma commune c’est pas ça»
«Je n’en dors plus depuis 4-5 jours, ça m’a donné envie d’arrêter le foot. Je ne suis pas bénévole pour ça.» À Bourg-Blanc dans le Finistère, cette annonce de la reprise de la Coupe de France a retourné Patrice Arhan, le président du club. Il n’arrive pas à comprendre comment la Coupe de France peut reprendre dans ces conditions : «J’estime que reprendre une Coupe de France dans l’état actuel de notre pays, avec des hôpitaux surchargés, des morts, des partenaires qui sont mal en point, ce n’est pas raisonnable. Et même vis-à-vis d’autres sports qui eux ne peuvent pas jouer.»
«L’image du foot c’est pas ça, l’image de ma commune c’est pas ça, et je veux pas qu’on dise que ce soit l’image de mon équipe, s’insurge Arhan. Qu’est-ce que je fais pour des cas de blessures ? Des cas de blessures très graves ?» Au-delà de penser à son club, il est aussi passionné de football et se questionne sur l’avenir du sport : «On souffre encore de Knysna, on a des polémiques, une mauvaise image. Mais les joueurs de foot iraient jouer au foot en pleine pandémie…»
Le dirigeant blanc-bourgeois s’inquiète aussi pour la santé de ses joueurs : «Nos médecins fédéraux nous disent : “attention vous mettez en danger vos gars”.» Son club de R2, qui devait affronter le Stade Briochin, club de National, a finalement déclaré forfait. Et Patrice Arhan voulait de toute façon quitter ses fonctions, si son club décidait de jouer. Pour imager l’absurdité qu’il dénonce, il avait une idée derrière la tête : «J’aurais mis mes U11 ou mes U13 sur le terrain contre St Brieuc, parce que eux ils ont deux entrainements par semaine. Mais on n’a pas le droit parce qu’il faut des seniors…»
«La FFF s’est un peu foutue de la gueule des amateurs»
Mêmes s’ils ne sont pour l’instant que 8 sur 254 a avoir capitulé, la majorité des clubs impliqués comprennent cette décision. Bien qu’ils aient choisi eux de continuer la compétition. À l’Olympique Pavillais (Seine-Maritime) aussi on s’est posé la question : «Avec le coach, on était parti pour déclarer forfait. Mais les joueurs demandaient à jouer le match, ils se sont entrainés deux fois par semaine donc on respecte leur choix», explique Grégory Meunier, le coordinateur sportif du club. Thierry Steimetz, entraineur de Hombourg-Haut en R2 émet également des doutes : «Plus on avance, plus on voit les forfaits des autres équipes, plus je me dis qu’on pourrait les appuyer. La FFF s’est un peu foutue de la gueule des amateurs, ils ont voulu maintenir la Coupe de France mais sur la manière, il y avait mieux à faire.»
Un moment de football éphémère pour beaucoup
Au-delà d’une victoire, les clubs jouent ce week-end pour gagner le droit de continuer le football. «On l’a déjà évoqué entre nous, on se dit “si on perd là, on ne joue plus”, et si on gagne on enchaine, on rejoue la semaine d’après et ça nous motive», explique Manu Imorou. Au CS Bégard, la présidente Rozenn Henry sait très bien que ceux qui sont éliminés devront retourner aux entrainements sans contact et toujours sans matches de championnat : «Les équipes qui sont sorties dimanche, c’est arrêt comme pour tous les autres. Et on redevient le club lambda.»
«Si on passe, on a le droit à une semaine de bonus»
Pour beaucoup, cette Coupe de France n’est qu’une parenthèse, un passe-droit temporaire : «On le prend un peu comme le dernier match de la saison, s’attriste Arnaud Aubert de l’ES Falaise. On prépare sans savoir.» « On ne se fixe pas d’objectifs, on va jouer au loto, conclue Thierry Steimetz de Hombourg-Haut. Si on passe c’est bien, sinon on est encore confinés. Mais juste retrouver le chemin des terrains, ça fait plaisir. Si on passe, on a le droit à une semaine de bonus.»
Crédit photo : Olivier Bouissou / Icon Sport
