[Retro] Metz et Lens, un coude à coude vintage

La vie nous offre des cadeaux dont il faut savoir profiter. La saison finale de SNK, le dernier son de SCH, une course au titre indécise au matin de la 25ème journée de Ligue 1. Dans l’ombre des cadors de ce championnat, deux équipes font leur petit bonhomme de chemin. Metz et Lens sont au coude à coude, respectivement sixième et septième. Une égalité de points et seulement séparés par la différence de buts. Toutes proportions gardées, cette situation n’est pas sans rappeler celle d’un soir de mai 1998.

Montez dans la Delorean de Doc Brown et revenons près de 23 ans en arrière. A cette époque la Ligue 1 se jouait à 18, la France n’était pas encore championne du monde, Kylian Mbappé n’était pas encore né, Vitorino Hilton n’était pas encore professionnel, «l’OM des magouilles» disputait sa deuxième saison dans l’élite après sa relégation, Pascal Praud présentait Téléfoot et Metz et Lens se disputaient le titre. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la chaîne qui diffusait les multis payait les droits TV. En revanche, certaines choses n’ont pas changé. Pour nous faire vivre cette dernière journée, on retrouvait déjà certaines têtes bien connues sur Canal Plus. Paga au bord du terrain, David Berger, Eric Besnard, Jean-Charles Sabattier ou encore Denis Balbir et Christophe Josse. Une équipe étonnante, presque autant que celles qui allaient faire le spectacle ce soir-là.

Leicester avant l’heure

En ces temps-là, le FC Metz ne pratique pas l’ascenseur entre les deux premières divisions. Présents dans l’élite du football français depuis 1967, les années 90 sont fructueuses en Lorraine. Vainqueurs de la seconde édition de la Coupe de la Ligue en 1996, les Messins restent sur deux saisons terminées dans les cinq premières places en championnat. Les Grenats peuvent compter dans leur effectif sur Bruno Rodriguez et Robert Pirès, respectivement 13 et 11 buts sur la saison 97/98, mais aussi sur des joueurs comme Sylvain Kastendeuch, Rigobert Song ou Lionel Letizi.

A Lens, les années 90 sont symboles de renouveau. Dans un club relégué en 1988, Gervais Martel devient président à seulement 33 ans. L’équipe regagne l’élite deux ans plus tard et se hisse à la cinquième place en 1995 et 1996. L’année qui suit est décevante, les Lensois chutent à la treizième place et luttent longuement pour éviter le maintien. A l’issue de cette saison, un Druide débarque dans le Nord. Daniel Leclerq devient entraîneur du RCL après y avoir joué entre 1974 et 1983. La magie opère immédiatement. Les leaders de l’équipes sont par exemple Anto Drobnjak, Stéphane Ziani ou encore Tony Vairelles et son joli mulet. Dans un stade Bollaert rénové en vue de la Coupe du monde, Lens retrouve les premières places du classement. Ils s’inclinent également en finale de Coupe de France face au PSG quelques jours plus tôt.

La saison est même historique pour ces deux clubs. Monaco ou l’OM ont mené le championnat avant de craquer. Ce sont donc le FC Metz et le RC Lens qui vont se disputer le titre lors de la dernière journée. C’est après un match entre les deux équipes et une victoire de Lens (2-0) que les Sang et Or prennent la tête du championnat, quatre rencontres avant la fin. Un verdict indécis et imprévisible quelques mois plus tôt. Quelle que soit l’issue finale, ce sera un champion surprise, une première historique pour l’un de ces deux dinosaures du football français.

Le calcul est simple, Lens possède deux points d’avance sur Metz, et ne doit pas perdre pour être sacré champion. Les Lorrains doivent s’imposer et espérer une défaite lensoise. Ils restent d’ailleurs sur trois victoires de suite avant cette dernière journée. Une série qui n’a plus été reproduite avant cette année et qui s’est stoppée il y a quelques jours face à Montpellier.  Dans cette lutte à distance, les Messins peuvent compter sur un allié de poids. L’AJ Auxerre de Guy Roux accueille Lens. Si Metz est champion, alors Auxerre aura battu le RCL et se qualifiera pour la Coupe UEFA. Les Grenats, eux, reçoivent l’OL, qui peut perdre sa place européenne aux dépens de l’AJA. Les enjeux sont multiples avant ce multiplex qui sera quoi qu’il arrive historique.

09 mai 1998, 20h00

Avant les coups d’envoi, les deux villes sont en fête. A Metz, on a décidé de remercier certains joueurs en renommant des rues à leur nom. A Lens, le Stade Bollaert ouvre alors que le match ne se jouait pas à domicile. L’ambiance est à la hauteur de l’événement dans chacune de ces villes de football. Tout le monde retient son souffle quand démarrent les rencontres. Tous ont un œil ou une oreille sur le résultat de l’autre match.

Le FC Metz démarre fort. Dès la quatrième minute, Bruno Rodriguez profite d’une erreur lyonnaise pour ouvrir le score d’une volée à bout portant. Dans la foulée, le Racing ouvre à son tour le score mais le but sera refusé pour hors-jeu. Moins de dix minutes plus tard, Sabri Lamouchi décoche une puissante frappe lointaine suite à une remise de Guivarc’h, meilleur buteur du championnat cette année-là. Guillaume Warmuz, le gardien lensois, ne peut rien, Lens est mené 1-0. En moins d’un quart d’heure la tendance est inversée et les Grenats sont virtuellement champions. Le bruit se répand ensuite très vite à Saint-Symphorien. Les regards se tournent alors vers l’Abbé Deschamps. Lens pousse et tombe sur deux très bons gardiens auxerrois, le titulaire Charbonnier a rapidement dû sortir sur blessure.

A la pause, Metz est toujours champion et les supporters croient au titre de plus en plus. Les Nordistes qui ont fait le déplacement en Bourgogne sont eux convaincus que leur équipe va faire le travail. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour leur donner raison. 53ème minute de jeu, Frédéric Déhu lance magnifiquement dans la profondeur Yoann Lachor. Le défenseur égalise et marque alors peut-être le but le plus important de l’histoire de Lens.

Les Grenats s’imposent 1-0 et doivent attendre quelques minutes pour connaître le résultat définitif dans l’autre rencontre. Peu importe. Bien que virtuellement seconds, les supporters lorrains craquent les fumigènes et envahissent la pelouse de Saint-Symphorien. La chanson de Queen «We are the champions» résonne même dans le stade. On célèbre une saison qui reste jusqu’à aujourd’hui la meilleure de l’histoire du FC Metz ainsi qu’une probable qualification en Ligue des champions. A Auxerre et malgré une dernière occasion des locaux, le score ne bouge pas, un partout score final.

Gervais Martel : «Personne ne nous attendait»

Pour la première et unique fois, Lens est officiellement champion à la différence de buts. Plus 25 d’un côté, plus 20 de l’autre et 68 points pour les deux équipes. Depuis la création du Championnat de France de football en 1932, cette situation ne s’est produite que cinq fois et ne s’est pas reproduite depuis. Les Messins préfère utiliser le terme de premier ex-aequo plutôt que second en réaction d’après match, voire même «co champion, puisqu’on a le même nombre de points» selon les mots du président de l’époque Carlo Molinari. A Lens en revanche, on est champions, qu’importe que le second termine termine à égalité de points. Le championnat se sera joué à rien, cinq buts, cinq petits buts qui plongent l’ancienne ville minière dans l’ivresse.

Alors que les joueurs Sang et Or commencent la fête devant les supporters ayant fait le déplacement à Auxerre, leur ville, leur stade, sont déjà en folie. Les joueurs sont accueillis comme des héros à leur retour dans le Nord dans la nuit. Et le plus étonnant, c’est que l’ambiance dans l’Est est la même. Sur les coups de 23 heures, une foule innombrable s’est réunie pour fêter ses malheureux héros dans les rues de Metz. Ils sont encore plus nombreux sur la place d’armes pour les écouter, à l’image de la Belgique en 2018.

De Lens à Metz la fête est belle, mais c’est à Lens qu’elle dure le plus longtemps. Bollaert est encore plein à trois heures du matin quand les joueurs arrivent enfin. La fête continuera toute la nuit dans la ville. Le lendemain, le stade ouvre de nouveau avant que les joueurs ne partent défiler en bus au milieu de la ferveur de tout un peuple. Des scènes de liesse auxquelles pourra goûter la France entière deux mois plus tard. L’année 1998 restera à jamais comme une des plus spéciales dans l’histoire du football français.

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Pourtant, aucun Lensois champion de France ne sera retenu par Aimé Jacquet pour disputer la Coupe du monde. Les trajectoires des deux clubs changent radicalement par la suite. Le marché du football étant déjà cruel, le FC Metz est dépouillé pendant l’été. Pirès file à Marseille, Rodriguez au PSG, Jocelyn Blanchard à la Juventus et Rigobert Song en Italie également. Les Messins ne passeront pas le tour préliminaire de la LDC, éliminés par Helsinki, et finiront dixièmes en championnat.

Lens de son côté termine deuxième de son groupe européen, réussissant l’exploit d’aller battre Arsenal à Wembley, mais ne sera pas qualifié pour la suite de la compétition. Cette saison-là, le RCL remporte la Coupe de la Ligue dans une finale face au… FC Metz. Une revanche presque un an jour pour jour après le titre lensois qui se soldera par une victoire un à zéro des Sang et Or. Ces derniers resteront compétitifs en Ligue 1 encore quelques années, terminant à la deuxième place en 2002. Metz a plus de mal et est relégué dès 2002, après 35 ans en première division, rejoint par le Racing en 2008. Les clubs entament alors des années galères, bien loin des sommets côtoyés dans les années 90.

Pas facile d’expliquer à des jeunes aujourd’hui qu’il fût un temps pas si lointain où Messins et Lensois se disputaient le titre. Rien ne garantit non plus que la forme actuelle des deux équipes durera après la fin de la saison. Mais voir ces deux concurrents côte à côte dans la première partie de tableau capable de développer au même moment un jeu enthousiasmant appelle aux bons souvenirs de leurs supporters. Un vent de fraîcheur bienvenu dans notre chère Ligue 1.

Crédits photo : Renard / Icon Sport.

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