En Avant Guingamp : c’est grave docteur ?

L’En Avant Guingamp a fini sa saison de Ligue 2 à une quasi-miraculeuse 9e place, alors que le club breton luttait dans la zone rouge quelques semaines plus tôt. Le club est en Ligue 2 depuis deux saisons et en connaîtra donc une troisième. Bien loin de l’objectif de remontée immédiate, fixé en 2018. 

Comment expliquer qu’un club bien installé en Ligue 1 ces dernières années, récent double vainqueur de la Coupe de France (2009 et 2014), tombe aussi bas ? Enfin, aussi bas dans son histoire récente. Si le miracle guingampais existe toujours puisque la ville d’à peine 7 000 habitants a un club de Ligue 2, comment ne pas y voir un certain gâchis, vu les sommes investies de toute part ? On en a discuté avec les Roud Boys, groupe de supporters guingampais, et Pierre Henry-Dufeil, journaliste qui commente notamment les matches de Guingamp pour Radio Bonheur.

Un début de saison qui s’annonçait mal

Pour beaucoup de clubs cette saison, c’est la fin qui a été la plus compliquée. En cause,  la fatigue des matchs à répétition, les blessures ou les indisponibilités à cause du Covid. À Guingamp, on a décidé de prendre le sort à contre-pied et de partir avec des bases fragiles dès le début de saison, alors que le club vise la remontée en Ligue 1. Brève explication par un membre des Roud Boys : «Quand ta saison commence par le renvoi de l’entraîneur au bout de deux journées puis du départ forcé du président et du directeur sportif dans la semaine qui suit, tu comprends très vite qu’il va falloir mettre les ambitions au placard et s’accrocher jusqu’au bout.» En effet, Didot père, déjà entraîneur au moment de l’arrêt des championnats, repart sur le banc au début de saison 2020-21. Son travail semble apprécié au sein du club, même si en l’absence de diplôme, l’entité guingampaise est obligée de payer une amende à chacun de ses matches passés sur le banc. Des frais économiques vite réglés : une défaite face à Niort en première journée (0-1), un match nul face à Nancy (2-2) et le natif de Lannion doit plier bagages. 

«On a été très vite très loin de la montée. Il y a eu beaucoup d’inquiétude au cœur de la saison, nous explique Pierre Henry-Dufeil, qui suit le club depuis de très nombreuses années. Sur l’éventuel maintien, parce que les résultats n’étaient pas bons du tout, le contenu encore moins et on ne voyait pas quels pouvaient être les ressorts dans les moyens, dans le jeu ou dans l’effectif.» Un ressenti que partagent les supporters, privés de stade comme tous les autres et contraints de suivre le naufrage de leur équipe sur Telefoot puis beIN Sports. «La saison a été incroyablement longue et compliquée. (…) On est passés d’un club ambitieux à un cirque instable en l’espace de quelques mauvaises décisions, se désole un supporter guingampais. Au final, on échappe de peu à une catastrophe en tous points pour le club.» Pourtant la suite de la saison n’a guère été plus sympathique. 

Un long calvaire des supporters

Dans une saison où l’En Avant aura connu trois entraîneurs, il aura fallu attendre que le dernier arrive pour voir une lueur d’espoir. Sylvain Didot, limogé après deux journées de championnat, est remplacé par Mécha Baždarević, ancien entraîneur du Paris FC notamment. Avec seulement deux victoires en 18 matches, il n’est donc pas l’homme de la situation et décide d’un commun accord avec le club de quitter le banc breton. Guingamp vire son deuxième entraîneur de la saison, est 17e de Ligue 2 et vient de perdre contre Pau, bon dernier. S’il n’y avait plus personne sur le banc, il manquait surtout du public. Son public.

Dans une ville de 7 000 habitants, le Roudourou et ses 19 000 places est souvent le dernier rempart de l’En Avant, quand tout le reste s’écroule. Si le reste s’est bien écroulé cette saison, les joueurs n’ont pas pu compter sur les précieuses voix des supporters. 

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«On a eu une pelletée de matches moisis ! des 0-0 contre Dunkerque, Sochaux, Nancy etc. Je pense que s’il y avait eu le public, ne serait-ce qu’une broncha à la mi-temps aurait pu les secouer, explique celui qui commente aussi des matches sur Canal+. Parce que là tu étais dans une sorte de léthargie générale et tu n’avais personne pour appuyer sur le curseur pour que les fils se touchent.»

Un des autres problèmes de Guingamp cette saison : le jeu. Avec des joueurs pourtant suffisamment au niveau, sur le papier, pour se placer en haut de tableau de Ligue 2, le spectacle offert était souvent… triste. «Certains joueurs peuvent s’estimer heureux qu’il n’y ait pas eu de public, lance notre supporter des Roud Boys. Ils ont souvent utilisé l’excuse de l’absence de monde en tribunes pour expliquer des résultats compliqués, mais la vérité est que pour certains, c’était une bénédiction. Plus d’une fois, ils seraient sortis sous les huées du stade entier.» Le lien avec l’ensemble de l’équipe est rompu et les supporters aimeraient pouvoir changer les choses : «Même si le Kop Rouge a fait une ou deux actions après des mauvais résultats, c’était par moment impossible, ou irresponsable, de se réunir pour leur dire ce qu’on avait à dire, positif ou négatif.»

Des problèmes au-delà du jeu

Si le jeu est particulièrement ennuyant, c’est d’abord la faute des acteurs sur le carré vert. Et chez les Roud Boys, on en visent certains en particulier : «Il reste encore des joueurs dans l’effectif qui étaient là en Ligue 1, qui se pensent certainement trop « forts » pour la Ligue 2 et qui jouent bien que quand ils en ont envie.» Mais ils n’oublient pas de préciser qu’ils ne sont pas les seuls fautifs : «Si on ajoute à ça l’instabilité interne, la valse des entraineurs et des histoires privées qui ont eu un impact sur le vestiaire pendant un bon moment, ça donne ce cocktail explosif de médiocrité.» Même ressenti pour Pierre Henry-Dufeil, bien seul à célébrer les buts de Guingamp à Roudourou cette saison : «Tout le monde est responsable, mais je pense que c’est d’abord l’instabilité du club qui nous a mené là. Et tout découle du sommet de la pyramide. Les joueurs, je ne dis pas qu’ils sont tout en bas de la pyramide, mais ils ne font pas tout en haut.» 

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Lorsque l’on interroge les supporters de Guingamp, ils semblent moins en colère contre les joueurs pour leur spectacle affligeant que contre leurs dirigeants, qui sont toujours les mêmes après la descente en Ligue 2. «On en en serait probablement pas là si le ménage qui aurait dû être fait après la descente avait été fait correctement», s’insurge le membre du kop guingampais. Un discours que l’on retrouve dans la bouche de beaucoup de monde à Guingamp, y compris dans celle du commentateur de Radio Boheur : «Souvent, pour se sortir d’une mauvaise spirale qui t’amène à une relégation, il faut faire le ménage, repartir sur une base saine et sur une autre organisation, ce qu’a fait Toulouse par exemple. Mais là, il ne s’est rien passé.» Guingamp a donc fini sa saison en se sauvant d’une relégation en National, grâce à l’arrivée de Frédéric Bompard sur le banc, ancien adjoint de Baždarević. Sans diplôme lui non plus, il arrive à raviver l’esprit guingampais, au pied du mur. En 16 matches, l’équipe n’en perd que 3, fait 7 matches nuls et empoche 6 victoires, là où avant son arrivée, Guingamp n’en avait gagné que 4. Et surtout, l’En Avant fait un finish incroyable avec 5 victoires en 6 matches, dont 3 d’affilées pour finir la saison. Guingamp accroche une neuvième place de Ligue 2, avec Bompard en héros local. Mieux encore : Ronny Rodelin a marqué deux buts décisifs contre Valenciennes et Chambly.

Et la suite ?

À l’heure du bilan, les Roud Boys sont rassurés : «On est satisfaits du maintien, parce qu’on échappe vraiment au pire. Une descente en National aurait été vraiment mauvais en tous points pour le club, surtout en pleine pandémie qui va indéniablement avoir un impact financier pour tout le monde. En plus, avec le passage imminent des championnats à 18 clubs, ça aurait été bien plus dur de remonter.» Mais ils n’oublient pas les horribles 90 minutes passées chaque semaine, ni la dégringolade continuelle au classement : «On était totalement en droit d’attendre beaucoup mieux que ce que l’on a vu de la part de cette équipe. Sur le papier, c’est l’un des, si ce n’est le, meilleur effectif du championnat.» Pierre Henry-Dufeil est moins enthousiaste : «Le minimum syndical a été assuré, parce qu’en début de saison l’objectif était évidemment de monter.» Pour lui, le club doit avant tout penser à la suite et tirer un trait sur les trois ans de galère que traverse l’EAG : «Je ne vois pas comment tout ce qui nous a emmené du milieu de tableau de Ligue 1 au bas de tableau de Ligue 2 pourrait nous permettre de s’en sortir, ou en tout cas jouer les premiers. Il y a un petit peu plus de pessimisme que d’optimisme. Il n’y a pas eu de rupture nette avec tout ce qui nous a amené vers le bas.»

Un projet avorté devait voir Jocelyn Gourvennec revenir sur le banc guingampais, avec de nombreuses garanties à tous les étages de la pyramide, dans le staff, dans l’organigramme, dans l’organisation de l’académie et du sportif. Un projet mort-né, invalidé par le Conseil d’Administration qui évoque des problèmes de finance. Un énième revers pour le club, que les supporters ne veulent plus entendre. Le KOP Rouge, dans un communiqué, tire sur la direction : «Les guerres de position au sein du club et de son conseil d’administration apparaissent toujours comme le frein au commencement d’une nouvelle ère.» Et ils ne souhaitent qu’une chose : «Un nouveau projet sportif clairement défini et le départ de ceux qui, au sein du club et de son conseil d’administration, nuisent au club.»

Pierre Henry-Dufeil, que l’on retrouvera de toute façon dans les travées de Roudourou la saison prochaine, donne aussi ses clés pour un nouveau Guingamp, qui ressemble davantage au club réputé familial : «On peut souhaiter au club de se montrer à la hauteur de ses ambitions, c’est-à-dire de retrouver un projet clair net et de jouer les premiers rôles en Ligue 2, ce qui serait plus fidèle aux installations et au public.»

Merci à Pierre Henry-Dufeil (@PierreHD) et aux Roud Boys (@RoudBoys) pour leur disponibilité.

Contacté, le club n’a pas répondu.

Crédit photo : Icon Sport

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