Par son statut, son histoire depuis le début des années 2000, le prestige de son championnat, ses joueurs et entraîneurs, difficile encore aujourd’hui de ne pas inclure l’Espagne dans une liste élargie de favoris au moment d’aborder une compétition internationale. Coincée depuis quelques années entre la fin d’un cycle et le début d’un nouveau, que peut espérer cet été la Roja pourtant montée si haut ?
Le 29 juin 2008, Fernando Torres apporte à l’Espagne son premier trophée depuis 1964. Dans la continuité de ce qu’il faisait avec Liverpool, l’Euro 2008 est pour El Nino le tournoi le plus marquant, la consécration d’un joueur magique qui n’a sans doute pas eu la suite qu’on lui prédisait. Malgré tout, ce but restera symbolique. Celui qui lance l’Espagne dans une période riche en titres. Une période d’une domination incontestée que n’avait jamais connu le football international auparavant. Après être monté aussi haut, la chute ne peut être que plus grande. Comment expliquer ce phénomène qui dure depuis 2012 pour la Roja ? Elton Mokolo, journaliste pour Le Club des 5 et Winamax Fc, nous aide à y voir plus clair.
La génération dorée…
Le succès espagnol restera le fruit d’une domination collective sans égal entre 2008 et 2012. Un fruit récolté par Luis Aragones puis Vicente Del Bosque. Pas assez mûrs en 2006, des Espagnols rajeunis mais favoris dominent l’Euro 2008 et impressionnent par la qualité de leur jeu. «Luis Aragones a été très courageux», se rappelle Elton Mokolo. «Certains des ses choix avant 2008 ont été très contestés. Notamment la mise au ban de Raul après la Coupe du monde 2006. Xavi par exemple arrive à maturité alors qu’il ne faisait pas l’unanimité.» Avec l’explosion d’Andres Iniesta ou la révélation d’éléments comme Sergio Ramos, la compétition de 2008 permet réellement à l’équipe d’émerger et de se construire. La Coupe du monde 2010 et l’Euro 2012 vont dans le même sens, avec une équipe toujours plus imposante.
«C’est la consécration d’un projet de jeu. C’est la volonté de garder le ballon et de dominer avec la possession, la volonté de faire mal et d’aller chercher haut l’adversaire. Finalement, c’est la volonté de mettre son coéquipier dans les meilleures dispositions avec la dernière passe qui fait la différence au moment de marquer. Je trouve le terme de tiki-taka trop réducteur» nous dit Elton Mokolo. Ce total contrôle repose aussi sur une défense très solide qui n’encaisse par exemple aucun but lors des phases à élimination directe en 2010. L’Euro 2012 suit la même logique, et l’équipe garde sa cage inviolée après la phase de poule. Quelques éléments sont progressivement intégrés à l’équipe qui garde une colonne vertébrale toujours aussi souveraine.
Ces quatre années de pouvoir s’expliquent aussi par la domination et la productivité de Barcelone et du Real Madrid. Les deux clubs se partagent les titres de champion sur la période. Le Barça remporte même deux Ligue des champions en 2009 et 2011. Le onze type de la sélection est alors quasi exclusivement composé de joueurs des deux équipes. Ces derniers se connaissent parfaitement et utilisent les automatismes travaillés en club malgré certaines rivalités existantes. Xabi Alonso s’incorporent sans soucis au trio barcelonais Xavi – Iniesta – Busquets, offrant dès lors une des clés de la domination espagnole sur le jeu.
…Rapidement fatiguée
La déroute brésilienne en 2014 intervient comme un véritable choc. L’équipe restait pourtant favorite avec un effectif semblable dans les grandes lignes à celui de 2012. Elton Mokolo voyait avant cet échec certains signes annonciateurs. «Après avoir gagné autant, tu n’arrives plus à capitaliser sur ces succès pour aller en chercher d’autres. Certains s’interrogaient déjà sur leur futur avec la sélection. Le groupe avait moins faim et c’est quelque chose de normal dans la mesure où il doit toujours y avoir une fin après une telle série de victoires.» Ce qui pouvait alors relever de l’accident virera finalement à la fin de cycle lorsque les Espagnols sont éliminés par l’Italie dès les huitièmes de finale lors de l’Euro 2016.
La thèse de la compétition de trop est évoquée pour Vicente del Bosque. Conservé à la tête de la sélection après le mondial 2014, il annonce sa démission après ce second échec. «Ce n’est pas facile de virer celui qui te fait gagner un mondial et un Euro. Il n’y avait pas de véritable successeur après 2014, le casting n’était pas extraordinaire. Le football de sélections attire moins et prolonger Del Bosque c’était choisir une sorte de situation de confort. Cela arrangeait beaucoup de monde» justifie Elton Mokolo. Ces deux années supplémentaires avec l’ancienne gloire du Real Madrid retardent sans doute le début du renouveau. De nombreux cadres sont conservés. Les nouveaux arrivants n’ont eux pas toujours le niveau attendu dans une Espagne en quête de rachat. La réalité de 2016 est frappante, il faut se réinventer.
Une transition qui tarde
Passé par les équipes de jeunes de la Roja, Julen Lopetegui est chargé de redresser la barre du navire espagnol en vue de la Coupe du monde 2018. Plus que l’élimination prématurée face à la Russie en huitièmes de finale, c’est surtout le limogeage du sélectionneur à l’aube de la compétition qui marque les esprits. «Son limogeage avant le mondial a vraiment tué l’équipe qui travaillait sur un projet depuis deux ans. Elle se retrouve avec un entraîneur intérimaire à un moment fatidique, avec toutes les polémiques qui vont avec. Mais il y avait autre chose. Même si on garde globalement un bonne impression de l’équipe avec Lopetegui, notamment grâce à une victoire 3-0 contre l’Italie en 2017, les problèmes sportifs existaient déjà» explique Elton Mokolo. Adepte d’un style de jeu globalement similaire à celui de son prédécesseur, l’actuel entraîneur de Séville ne transforme pas la sélection.
Dans le même temps, alors que Barcelone et le Real Madrid se partagent les Ligues des champions entre 2014 et 2018, leur influence dans l’effectif de la Roja diminue paradoxalement. Alors que les joueurs espagnols avaient une vraie importance dans les deux équipes au tournant des années 2010, les politiques sportives visent désormais un recrutement à l’étranger. Aucun joueur de la Casa Blanca ne sera présent à l’Euro, une première dans l’histoire de la Roja. Ce problème de renouvellement ne bénéficie pas à la sélection nationale. La méforme du Real et surtout du Barça en Europe depuis 2018 influence d’ailleurs négativement la qualité du championnat espagnol. «La Liga est en retard sur le volet économique. Beaucoup ne travaillent pas assez bien pour maintenir leur club dans le haut du classement. Ce contexte les pousse à exporter leurs joueurs à l’étranger, en Angleterre notamment, tandis que le Barça et le Real ne vont pas piocher en Espagne» développe Elton Mokolo.
Impossible alors de former une ossature sur la durée si les joueurs ne partagent pas de temps de jeu en club. D’autant plus que depuis 2016 le travail des sélectionneurs ne bénéficie pas de continuité. Le championnat d’Europe de cet été sera plus que jamais un marqueur important pour savoir si l’Espagne est toujours dans une période de transition ou si elle a véritablement entamé ce nouveau cycle tant attendu. Selon Elton Mokolo «il sera possible de parler de nouveau cycle si la Roja peut capitaliser sur un bon tournoi et s’appuyer dessus pour continuer de se construire dans le futur.»
Sergio Ramos n’est plus là. Sergio Busquets et Jordi Alba sont les derniers vestiges d’un passé glorieux alors que le premier est désormais fortement incertain. Luis Enrique veut se servir de la compétition pour construire un groupe. Des éléments jeunes comme Pedri ou Pau Torres doivent se révéler. D’autres doivent endosser un nouveau rôle de leader.
Un été pour décoller ?
Tandis que la Roja n’a plus passé un tour à élimination directe depuis l’Euro 2012, l’objectif sera d’atteindre à minima les quarts de finale. Dans un groupe homogène composé de la Suède, la Pologne et la Slovaquie, l’Espagne en est incontestablement la tête d’affiche. Elle pourrait retrouver un troisième de groupe en s’assurant la première place. «L’Espagne a un statut, et elle ne peut pas revoir ses ambitions à la baisse. Mais ses adversaires en groupe à priori modestes ont le profil pour l’embêter. L’équipe n’a pas encore de vraies références et attend encore que certains cadres s’affirment réellement. Il y aura tout de même un vrai avantage en disputant ses trois matchs de poule en Espagne. Dans ce genre de compétitions, une bonne phase de groupes avec deux ou trois victoires permet de faire le plein de confiance et de créer une dynamique pour la suite» nous dit Elton Mokolo.
En revanche, certains doutes persistent quant à la capacité de la Roja à être prête d’entrée. Malgré un collectif équilibré avec beaucoup de qualités, l’équipe ne dispose pas de talent individuel de classe mondiale capable de faire la différence. Luis Enrique l’affirme, dans sa tête les 24 joueurs convoqués peuvent avoir une place de titulaire. Cela a le mérite de garder tous les joueurs sous pression. C’est également une preuve que le sélectionneur se cherche encore un onze titulaire à quelques jours du début de la compétition. L’Espagne avait pourtant basé son succès sur une équipe à l’ossature clairement définie. L’équipe ne pourra d’ailleurs pas bénéficier de son second match de préparation face à la Lituanie. Sergio Busquets a été testé positif à la Covid et l’équipe placée en isolement. Bien malin celui qui pourrait affirmer avec certitude la tête de l’équipe pour le premier match face à la Suède.
Opposés au Portugal vendredi dernier pour préparer l’Euro, les Espagnols n’ont pas rassuré. Cohérents dans l’utilisation du ballon, la Roja a souffert de ce manque de talent offensif. Elton Mokolo est revenu sur la rencontre. «Beaucoup sont satisfaits de la performance de l’Espagne. A nouveau, c’est revoir les attentes de cette équipe à la baisse. Le contenu avec le ballon n’a pas été mauvais mais reste globalement fragile. Surtout dans la finition, c’est un phénomène récurrent. Si l’équipe doit faire la différence avant tout grâce à son collectif pendant l’Euro, il y a obligation d’être plus décisif dans le dernier geste.»
Le décor est planté. Malgré sa tête d’éternel favori, la marge de manœuvre de la Roja n’est pas immense. L’Espagne veut retrouver les sommets, en sera-t-elle capable dès cet été ?
Un grand merci à Elton Mokolo pour son aide précieuse.
Crédit photo : Icon Sport