Dimanche à 15h se jouera le remake de la demi-finale de la Coupe du monde 2018 entre l’Angleterre et la Croatie. Deux équipes qui ont fortement changé entre temps, avec l’intégration de nombreux jeunes dans leur rang. Ante Budimir, 29 ans, fait partie de cette Croatie nouvelle génération et joue sa première grande compétition internationale sous le maillot des Vatreni. Attaquant de pointe d’Osasuna, il est passé par de très nombreux clubs avant d’arriver en sélection : Inter Zapresic, Lokomotiv Zagreb, Sankt Pauli, Crotone, la Sampdoria, Mallorca, et maintenant Osasuna. Il nous a accordé 30 minutes de son temps, à deux jours de ce match d’ouverture de l’Euro pour son pays. Entretien.
Ultimo Diez – Comment ça va à quelques jours de cet Euro ? Est-ce que vous êtes prêts ?
Ante Budimir – Ça va, merci. On se prépare pour le début de cet Euro, on a de bonnes sensations, un bon feeling entre nous. Et je suis heureux que l’Euro 2020 commence en 2021 ! (Rires)
Dans une interview pour So Foot, Slaven Bilic a dit : «C’est une tâche difficile d’intégrer des jeunes dans une équipe qui a joué aussi longtemps ensemble.» C’est quelque chose qui se ressent dans le groupe ?
Je te remercie de me dire que je suis jeune (ndlr : il a 29 ans) ! Je suis jeune dans l’équipe, dans le sens où je n’ai fait que quelques matches avec le maillot croate. Mais il y a aussi des jeunes par l’âge c’est vrai. Je pense que oui, ça prend du temps, de comprendre la mentalité du groupe, la façon dont le groupe joue au football, les comportements de chacun : ce que certains aiment faire sur le terrain ou ce qu’ils n’aiment pas. Pour combler tout ça il faut des entraînements, des matches… Ce n’est pas un process où tu mets un joueur sur le terrain et voilà c’est fait. Ça nécessite du travail derrière. Ça prend du temps, mais on doit le faire rapidement, parce qu’on a besoin de performer. On doit le faire le plus rapidement possible.
Convainc-moi. Pourquoi cette Croatie nouvelle génération peut remporter l’Euro 2020 ?
Ouf… Je peux te convaincre qu’on peut passer la première étape, que l’on peut être l’équipe qui va aller jusqu’au tour suivant. C’est tout ce que je peux te promettre. On a les qualités pour ça, on a le groupe pour, on est prêt pour l’Euro. On a hâte de passer ces poules et après, tout est possible. Je ne veux pas aller trop loin et dire : «On va gagner !» Je pense que tu dois créer cela, tu ne peux pas le dire avant même de commencer, il faut voir ce que tu crées durant la compétition. On commence par ça déjà. On est un groupe avec des joueurs d’expérience, des jeunes qui ont faim, on fait de notre mieux pour passer cette étape.
«Personne ne s’attendait à voir la Croatie en finale de Coupe du monde 2018, mais on l’a fait !»
On ne vous cite pas parmi les favoris pour gagner l’Euro, ça vous énerve ?
Pour être honnête, je ne le savais pas. Je préfère faire mes entraînements, préparer le match de cette semaine contre l’Angleterre et on est très concentrés là-dessus. À la fin, ce que dise les journaux, ça ne m’importe pas vraiment, parce que personne ne s’attendait à voir la Croatie en finale de Coupe du monde 2018, mais on l’a fait ! Peut-être qu’il y a des favoris, mais ce qui est important c’est que nous soyons prêts, et nous le sommes. On fait de notre mieux dans les entrainements que l’on a… Ce serait génial de surprendre tout le monde dans cet Euro !
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Vous allez retrouver l’Angleterre pour votre premier match de poules, alors que vous les aviez éliminés en demi-finale lors de la Coupe du monde 2018, et aussi chez eux à Wembley à l’Euro 2008. Est-ce votre meilleur ennemi ?
Je pense que ces résultats, ça nous donne une sorte de confiance ou une prise de conscience de se dire, on l’a déjà fait dans le passé. Mais d’un autre côté le match de dimanche sera un match complètement nouveau, et une nouvelle histoire. C’est sympa de savoir qu’on a gagné contre eux dans des matches très importants, mais ça ne veut rien dire aujourd’hui. On est juste concentré sur dimanche.
Au sein du vestiaire, ceux qui étaient là en 2018 vous raconte ça comment ? Vous en parlez ?
Pour être honnête, on ne regarde pas trop dans le passé. On a regardé quelques vidéos, mais des vidéos générales des matches et dedans il y avait celle contre l’Angleterre en demi-finale. C’était cool de revoir ces buts, les highlights de ce match. Mais comme j’ai dit avant, c’est un nouveau match. Je pense que tout le monde sait que tu ne peux pas continuer de rêver de ce qu’il s’est passé avant. Il faut créer quelque chose de nouveau, c’est ça le football. C’est un nouveau match avec de nouvelles opportunités, mais aussi une nouvelle équipe d’Angleterre, parce que leur équipe est bien différente de 2018.
«Ce qui va le plus nous manquer, ça sera nos supporters de Croatie, qui ne pourront pas aller en Angleterre»
Le fait de les jouer à domicile avec du public est-il est un désavantage ?
Le seul truc qui va rendre ça différent, c’est que, particulièrement en Angleterre et en Écosse, on va avoir beaucoup de mal à amener les supporters ici (ndlr : il y a toujours une quatorzaine pour les étrangers au Royaume-Uni). Normalement c’était plus facile, tu avais une bonne part de tes supporters dans les stades. Là c’est impossible à cause des restrictions et ça va nous manquer. Les fans anglais seront là bien sûr, ils jouent chez eux. Mais ce qui va le plus nous manquer, ça sera nos supporters de Croatie, qui ne pourront pas aller en Angleterre. Si les choses étaient normales, on aurait eu beaucoup de nos supporters avec nous. Maintenant c’est comme ça, si on a déjà une centaine de supporters ce sera bien.
La Croatie est vice-championne du monde, et son jeu avait provoqué l’enthousiasme de beaucoup d’amateurs de football au Mondial. Est-ce que ça vous rajoute une pression supplémentaire ?
Les joueurs qu’on a dans l’équipe sont habitués à être performants toutes les semaines, dans des matches importants, dans des ligues importantes, pour gagner des trophées. Donc, tu joues toujours avec cette pression d’être performant, c’est quelque chose d’habituel pour nos joueurs mais aussi notre équipe nationale. On a l’expérience de jouer ces gros matches. Et je pense que nous, de nous-mêmes on a des attentes pour être bons sur le terrain, jouer du beau football et gagner les matches. Donc on va bien gérer ça.
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Cette expérience sert le groupe ?
Pour moi personnellement non, parce qu’en 2018 j’étais en vacances, je n’étais pas avec l’équipe. Pour le groupe évidemment oui. Je pense que les gars pendant la Coupe du monde étaient aussi concentrés d’abord sur la phase de poules, sur le premier match pour bien commencer la compétition, pour créer cet atmosphère, ce lien entre nous. On est bien, on travaille bien, comme une équipe.
Il y a aussi cette frustration de l’élimination en 1/8es de finale lors de l’Euro 2016 face au Portugal. Vous avez une revanche à prendre lors de cet Euro ?
Honnêtement, je ne me souviens même plus de ce qu’on a mangé hier ! Donc 3 ou 4 ans avant… Je pense que personne ne se rappelle de 2016. Maintenant 5 ans après… Bien sûr on était tout proche, en prolongations, et Perisic avait eu la meilleure occasion… S’il marquait ça, peut-être qu’on aurait gagné. Mais c’est le passé, on a été triste un moment pour ça, mais c’est fini. Entretemps on a été vice-champions du monde… Aujourd’hui c’est une nouvelle compétition, donc let’s go !
«Autrement j’aurais été en vacances, avec ma famille, à boire des coups sur la plage, donc c’est sympa»
Comment vois-tu ta place dans ce groupe ?
Je me sens très bien ! Je suis un joueur âgé, de 29 ans, qui a eu l’opportunité et le privilège d’être ici, et je suis ici. Autrement j’aurais été en vacances, avec ma famille, à boire des coups sur la plage, donc c’est sympa. Et à tout moment, j’ai l’occasion d’aider l’équipe, d’être performant sur le terrain, c’est incroyable… Après quand ? Je ne sais pas. Peut-être demain, peut-être aujourd’hui, je n’en sais rien. On verra bien, le coach va décider. Mais je me sens très bien ici, avec le désir et la chance de pouvoir être sur le terrain.
Certains voient dans ton jeu des similitudes avec celui de Mandzukic, notamment parce que tu es bon de la tête (7/12 de ses buts cette saison ont été inscrits de la tête). C’est plutôt sympa, non ?
Ouais ! Pour moi il fait partie des trois meilleurs buteurs de l’histoire de la Croatie, et je pense que ça en dit suffisamment sur lui. Quand tu vois où il a joué aussi, à la Juventus, l’Atlético de Madrid, le Bayern Munich… Quand tu vois ce qu’il a gagné avec eux aussi. C’est incroyable. Je l’admire beaucoup. Et que certaines personnes me mettent au même niveau que lui, ça me fait très très plaisir.
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On fait souvent les louanges de la formation croate, mais toi tu es un des rares de l’équipe nationale à ne pas être passé par le centre de formation du Dinamo. Comment apprend-on le football en Croatie ?
Dieu merci le football ne se joue pas qu’au Dinamo ! (Rires) Donc ouais j’étais dans une petite équipe, j’ai progressé là-bas, j’ai essayé tous les ans d’apprendre de ce que je faisais. Normalement on a deux grosses équipes, beaucoup de joueurs passent par ces équipes-là et jouent après pour l’équipe nationale. Mais dans la vie il y a toujours des exceptions, donc j’ai fait ça à ma façon et aujourd’hui je suis là. Je suis fier et heureux, pour moi mais aussi pour mon club où j’ai grandi, ça leur montre qu’ils peuvent aussi former des joueurs pour l’équipe nationale.
«Je suis un peu jaloux d’eux parce que je ne connais qu’un gars dans l’équipe avec qui j’ai joué !»
Avoir cette base de joueurs formés au Dinamo, est-ce que ça facilite les choses sur le terrain ? Un peu comme pouvaient l’être le Real et le Barça avec l’équipe d’Espagne ?
Bien sûr que ça aide ! Au football, quand tu as des joueurs qui se connaissent depuis les équipes de jeunes, de l’académie, des premières années chez les pro, quand ils avaient 20 ans et jouaient pour l’équipe première, ça facilite les choses. C’est sûr que nous avons ça, il y a des joueurs dans le vestiaire qui se connaissent depuis 10 ans… Et moi je suis un peu jaloux d’eux parce que je ne connais qu’un gars dans l’équipe avec qui j’ai joué ! Presque tous les joueurs de l’équipe nationale ont déjà joué avec au moins cinq joueurs à l’académie etc. Même au Real Madrid, avec Modric et Kovacic, à l’Inter Milan avec Brozovic et Perisic. Et c’est cool, ça nous aide.
Personnellement, tu as une carrière qui t’as envoyé aux quatre coins de l’Europe. Combien de langues parles-tu ?
Euh… croate ouais ! Certaines je peux les utiliser, d’autres je peux les parler. Je parle bien anglais je pense, je peux aussi parler espagnol, italien, le croate bien sûr. Ce sont les quatre langues que je peux bien parler. Je peux aussi comprendre l’allemand, je peux te répondre mais juste avec les basiques.
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On dit que le grand voyageur Marco Polo est né en Croatie, ça explique pourquoi les Croates réussissent si bien à l’étranger ?
Ouais bien sûr… Notre histoire montre qu’on était prêt à explorer le monde ! De voir de nouvelles choses, de tester de nouvelles choses, qu’on a un esprit ouvert. Et si l’histoire le montre, le présent le montre aussi. On a des Croates performants partout dans le monde : en sport, et dans d’autres spécialités. On est ouvert à ça, et je pense que c’est une bonne qualité de notre peuple.
«Si tu veux jouer au football au top niveau, tu as besoin de quitter la Croatie»
Et dans ta carrière, ça a été facile de s’intégrer à autant de pays différents ?
Oui ! Aussi parce que c’est un passage obligatoire. Si tu veux jouer au football au top niveau, tu as besoin de quitter la Croatie. En Croatie tu peux jouer à un certain niveau, mais il n’y a pas le Real Madrid ou le Barça, c’est pas un ligue du top 5 européen, c’est évident. Donc quand tu es jeune, tu es au courant que si un jour tu veux jouer avec les meilleurs, tu dois partir. Je savais que j’allais devoir le faire, que j’allais devoir quitter ma maison et ma famille. Ce n’était pas un problème parce que je le voulais, c’est pour le football. C’était plutôt facile, j’ai bien aimé et j’aime toujours faire ça.
Tu as découvert la sélection croate très tard, ça fait quoi de revêtir le maillot croate pour la première fois à 29 ans ?
C’est beau, c’est un sentiment spécial (il est ému). Comme tu l’as dit avant, ma carrière est un peu différente de si tu regardes les carrières des autres gars qui sont à mes côtés. Je viens de petites équipes, disons un chemin alternatif, et ça me rend fier, ça me fait sentir spécial. Et bien sûr, quand tu sais que ta famille te regarde jouer pour le pays, c’est incroyable. J’ai 29 ans, je suis plus mature, je peux voir les choses différemment.
(On est interrompu parce que lui et le reste de l’équipe doivent partir en Angleterre pour le premier match de l’Euro, donc il faut abréger)
Tu es né à Zenica en ex-Yougoslavie (actuelle Bosnie-Herzégovine), et j’ai lu dans The Guardian que tu étais un des nombreux réfugiés de la guerre. Tu peux nous raconter ton enfance ?
J’étais très jeune, j’ai quitté ma maison quand j’avais six mois. Donc je ne peux pas trop te raconter mes souvenirs, mais je sais que je suis parti à six mois à cause de la guerre, et que ça n’a pas été facile pour ma mère, elle pourrait mieux vous expliquer. C’était dur, elle était seule avec nous trois. Grandir en dehors de chez toi c’est dur, tu perds un peu le contrôle de ta vie. Mais à la fin, on a eu la chance de passer de notre maison à notre autre maison, parce la Croatie est aussi notre maison, on est Croates (ndlr : ils ont fuit à Zagreb). On n’est pas allé dans un pays différent, on est allé chez nous, on a eu la chance d’avoir deux maisons : la Croatie et la Bosnie. Ça a rendu les choses plus faciles. C’est derrière nous, aujourd’hui on est heureux. Et on a réussi à mettre notre famille à l’abri de grandes pertes que certaines familles ont connu.
«Je ne veux plus jouer seulement en bas de l’immeuble, je veux jouer là-bas !»
Comment on grandit en tant qu’enfant puis footballeur en Croatie ?
C’était sympa ! Presque tous les gamins commencent dans les rues, on jouait avec les autres. Quand j’avais sept ans, j’ai parlé avec ma mère et je lui ai demandé de passer à l’étape suivante. Parce qu’à 5 mètres de chez nous il y avait le stade de mon équipe, je pouvais le voir depuis mon immeuble, donc j’ai dit à ma mère : «Je ne veux plus jouer seulement en bas de l’immeuble, je veux jouer là-bas !» On est allé là-bas, et j’ai commencé. Depuis que j’ai 7 ans et jusqu’à maintenant je fais ça, je suis très heureux d’avoir eu l’opportunité de faire ce qui est peut-être le meilleur job du monde.
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La formation était bien en place ?
Ce n’était pas vraiment facile. Je me rappelle qu’on était 50 enfants, un coach et un seul terrain. J’ai cette photo avec tout le monde, et je crois qu’à la fin il n’y a que moi qui suis devenu joueur professionnel. Donc bien sûr c’était compliqué ! Mais c’était beau, on jouait ensemble comme un jeu d’enfants, et aujourd’hui je continue ce jeu. C’était un… «viaje», je ne sais pas comment on dit ça en anglais (le responsable de la com’ croate à ses côtés l’aide). C’était un parcours intéressant, avec beaucoup d’obstacles. Concernant les équipements, ce n’étaient pas les meilleurs. Ce n’est pas comparable à ce que les enfants peuvent avoir en Espagne, en Allemagne ou en Italie, pas de ce niveau. Mais c’est ainsi ! J’y ai appris à progresser, je ne savais pas qu’il y avait mieux ailleurs, donc aucun soucis.
Et tu pensais déjà que tu allais devenir footballeur professionnel ?
À ce niveau-là non. Mais à 16 ans quand j’ai rencontré un ex-footballeur professionnel, qui a joué en Allemagne, il m’a demandé de discuter avec lui. J’ai parlé avec lui cinq minutes, et il m’a dit des choses personnelles, et je me suis dit : «Okay c’est pour moi, je serai comme lui, je peux le faire, je peux jouer dans des grandes ligues !» C’était juste, toujours y croire, comme je t’ai dit mon parcours était long mais j’en ai toujours profité !
Un grand merci à Ante Budimir pour ses réponses et à la Fédération croate pour sa disponibilité.
Credit photo : IconSport