Nous avons eu l’opportunité de discuter avec Kevin Hatchard, commentateur et journaliste anglais spécialiste de la Bundesliga. On a notamment pu évoquer le championnat allemand, le passage de Pep Guardiola, et Julian Nagelsmann. Bonne lecture !
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la Bundesliga ? Sachant que vous êtes anglais et que ce n’est pas forcément le championnat vers lequel on se tourne naturellement, parce que la Premier League est bien plus attractive.
J’ai toujours été intéressé par le football européen, j’apprécie évidemment le football anglais comme je supporte Liverpool, mais j’ai toujours été attentif aux autres formations européennes. Notamment l’équipe du Borussia Dortmund qui a remporté la Ligue des champions en 1997 avec Lars Ricken, Andreas Möller, Karl-Heinz Riedle et d’autres joueurs fantastiques que j’ai beaucoup aimés. Et puis, les équipes allemandes m’ont toujours impressionné avec leurs équipes incroyables. Donc, je dirais que le football européen m’a toujours attiré, et surtout la Bundesliga. Et lorsque j’ai eu l’opportunité de travailler avec ce championnat, je l’ai saisie sans hésiter.
En tant qu’amoureux de football européen, que pensez-vous du championnat français : la révélation de Monaco qui a été l’une des meilleures équipes en Europe cette saison, et la domination du PSG depuis le début des années 2010 ?
Cette année, la Ligue 1 a vraiment été excellente. Si l’on regarde ce qu’a fait Lucien Favre à Nice par exemple, c’est absolument impressionnant. Ils ont poussé le PSG et Monaco dans leurs retranchements depuis le mois d’août. Récemment, ils ont commencé à laisser quelques points en route mais avoir installé cette équipe dans le top trois et lui avoir permis d’y rester est époustouflant, surtout après avoir perdu Wylan Cyprien et Alassane Pléa à la mi-saison. Franchement, perdre deux joueurs clés de cette manière mais quand même parvenir à avoir de bons résultats, c’est saisissant.
Le PSG a eu quelques soucis avec Unai Emery, mais je pense que ceux-ci sont apparus au tout début de la saison lorsqu’il a essayé d’implanter ses idées, les joueurs ne s’attendaient sûrement pas à ça. Du coup, dès le début il a perdu des points importants. Je pense aussi qu’il a perdu un peu de crédit après s’être plié au désir des joueurs de revenir à l’ancien système avec lequel ils jouaient. Ce qui a été problématique. Enfin, le résultat en Ligue des champions contre Barcelone a été un vrai désastre… Emery a été introduit au poste d’entraîneur afin d’apporter le succès qu’il a eu avec Séville sur la scène européenne, mais cela n’a pas fonctionné cette fois-ci et ça a peut-être créé un fossé au sein du groupe. Cela a en quelque sorte porté atteinte à son autorité et finalement, les mêmes problèmes sont encore là aujourd’hui.
Enfin Monaco a été incroyable. Leonardo Jardim sait de quelle manière il doit travailler avec son équipe, il sait que son club désire pousser les jeunes joueurs à s’élever à un niveau supérieur. Et on peut voir que la sauce a pris, ils sont extrêmement forts. Danijel Subasic est légèrement plus faible que ses coéquipiers mais ils ont tellement d’autres atouts ailleurs… Bakayoko a fait du très bon travail au milieu par exemple. Offensivement, c’est peut-être l’une des équipes les plus excitantes du monde, même si Thomas Lemar ou Bernardo Silva ne sont pas là, ils ont Radamel Falcao et Kylian Mbappé. D’autres joueurs se sont mis au niveau aussi comme Valère Germain. S’ils remportent le championnat, ce sera totalement mérité. Ils ont battu de grosses équipes malgré la pression. Ils auront vécu une saison extraordinaire.
Le fait de travailler en tant que commentateur vous-a-t-il toujours attiré ? Avez-vous eu l’envie de faire cela depuis petit ?
Effectivement oui, j’ai décidé cela très tôt, lorsque j’avais 14 ans. Chez moi il y avait un gros magnétophone alors quand il y avait un match à la télévision, je m’entraînais comme si je passais à la radio à ce moment-là. Puis avec le temps, j’ai commencé à le faire de manière professionnelle, je regardais énormément de rencontres à la suite desquelles je faisais des rapports par exemple. J’ai commencé à écrire très tôt. Puis à 17 ans, j’ai débuté mon travail pour la radio pour laquelle je faisais de petites choses, et si éventuellement on avait besoin de quelqu’un pour des résumés de matchs ou des commentaires, je leur venais en aide. C’est comme ça que tout a commencé finalement.
Quel match que vous avez l’opportunité de commenter peut être perçu comme une consécration pour vous depuis que vous avez commencé ce travail ?
Commenter le match entre le Bayern Munich et le Borussia Dortmund en avril a été une grande fierté oui. C’était un moment incroyable. J’ai aussi eu la chance de faire le rapport d’un match se jouant à Wembley ainsi que de travailler sur le tournoi des Six Nations. Après pour être honnête, j’apprécie chaque match, à chaque fois on peut trouver des anecdotes ! Je dirais que je suis aussi impatient de commenter les play-offs en Bundesliga à la fin de la saison que de commenter un match du Borussia Dortmund.
Plus tôt cette saison, vous avez eu l’opportunité de commenter la Youth League, un trophée remporté par le RB Salzbourg où Marco Rose a déjà eu beaucoup de succès, qu’est-ce qui vous a le plus impressionné avec cette équipe ? Est-ce que le RB Leipzig devrait suivre leur exemple dans le futur ?
Cette équipe a un grand sang-froid. Marco Rose [arrivé à Salzbourg en 2013] a réalisé un travail impressionnant là-bas depuis qu’il a été débauché du Lokomotive Leipzig [club de 5e division allemande]. Il a passé énormément de temps à développer ses joueurs, ils pratiquent un style unique qui se rapproche de Leipzig sur plusieurs points. Mais ce n’est pas surprenant étant donné qu’il y a une affiliation entre les deux clubs. Ils effectuent un très gros pressing, ils ont aussi une certaine aisance à casser les lignes, qui plus est ils ont de vraies pépites comme Hannes Wolf. Ils ont des joueurs talentueux à chaque position.
J’ai commenté la demi-finale contre Barcelone et ils ont eu cette capacité à changer légèrement leur façon de jouer afin de s’adapter à ce que faisait leur adversaire. Tandis ce que les Catalans sont restés collés à leur système, une manière de jouer qui ne fonctionnait plus durant ce match, Salzbourg a parfaitement su ajuster son jeu. Cela prouve que l’équipe est très bien coachée, et le résultat ne peut être que bon quand on y ajoute des joueurs talentueux. Toutefois, Salzbourg a toujours eu une bonne académie, même avant que Red Bull n’arrive. Comme les équipes allemandes, le club donnait leur chance à de très jeunes joueurs et c’était très intéressant. Sinon, le succès en Youth League a prouvé que leur centre de formation était vraiment compétant.
Du côté de Leipzig, le plan devrait être celui de développer leur propre centre de formation. Mais actuellement, ils s’appuient sur l’achat de jeunes talents provenant d’autres équipes allemandes afin de les développer chez eux. Ca ne les aide pas vraiment à être plus populaires je dirais, bien qu’ils offrent de bonnes infrastructures et de bons salaires ce qui les rend attractifs. Cependant je pense que sur le long terme, ils devraient songer à développer leur propre système, mais cela prend du temps et ils n’en ont pas vraiment. Ainsi, dans les prochaines années ils vont sûrement continuer à se fournir chez les autres clubs.
Lorsque vous commentez un match, est-ce que vous suivez votre instinct, vos sentiments afin de transmettre des émotions aux personnes qui vous écoutent ou vous vous cantonnez plus à suivre un plan préétabli ?
C’est un mélange entre les deux ! Il faut faire beaucoup de préparation avant le match, nous devons avoir des statistiques, des informations sur chaque joueur, ce qu’il a pu se passer durant la semaine dans les deux clubs etc. Tu dois avoir une idée de ce que tu devras dire, après certains commentateurs vont simplement suivre leurs notes mais nous avons tous une façon différente de le faire. Certaines fois tu te dois de suivre ton instinct afin de dire les bonnes choses au bon moment mais tu as des dizaines d’informations que tu as relu pendant la journée afin d’être certain de réagir à chaque situation. Finalement c’est la combinaison entre le fait de suivre son instinct afin de donner des informations juste dans le bon timing et le fait de suivre tes notes qui sont toujours là si besoin.
Etant donné que tu visionnes beaucoup de matchs de Bundesliga, as-tu le sentiment que le niveau du championnat s’est amélioré au cours des dernières années ?
La Bundesliga a un bon niveau. Je pense que la progression de Dortmund a été très importante puisqu’elle a permis au Bayern d’avoir un rival. Toutefois avant 2010, on a pu voir Wolfsburg être sacré champion [2009], et Stuttgart qui l’a également été quelques années auparavant [2007]. Donc je dirais que c’est globalement un championnat compétitif. Mais depuis que Pep Guardiola est allé au Bayern Munich, que son passage a été si fructueux, tout le monde regarde la Bundesliga comme s’il n’y avait qu’une seule équipe. Avec du recul, je dirais plutôt que Guardiola a été bien trop supérieur aux autres au lieu de dire que le niveau du championnat était en baisse. Aujourd’hui, il y a Leipzig qui fait un très bon travail ou encore Dortmund qui a beaucoup de très bons joueurs, ce qui peut permettre à la Bundesliga de franchir un nouveau palier.
En parlant de Pep Guardiola, beaucoup de personnes en Europe s’accordent à dire que grâce à son passage en Allemagne, le niveau a sensiblement augmenté. Quel est votre opinion là-dessus ?
Il a fait énormément de choses au Bayern : leur donner un nouveau style de jeu, rendre l’équipe plus adaptable, il aussi fait progresser de nombreux joueurs ce qui permet aujourd’hui à Carlo Ancelotti d’avoir des joueurs qui savent s’adapter à différentes situations. Au-delà de ça, je dirais que les équipes ont commencé à vraiment se concentrer sur la tactique. Il y a toujours eu cela évidemment mais maintenant c’est différent, certains coaches sont des disciples de Guardiola tels Thomas Tuchel ou Julian Nagelsmann qui s’inspirent de ce que le Catalan fait. Donc oui, il a rendu la Bundesliga plus intéressante tactiquement parlant.
Vous avez mentionné Julian Nagelsmann, celui qui a permis à Hoffenheim de franchir un cap, quel regard portez-vous sur le travail qu’il fait à seulement 29 ans ?
Il est incroyable. Ce qu’il a fait démontre qu’il est extrêmement intelligent et habile tactiquement, il a été capable de changer du tout au tout le système qui était utilisé auparavant à Hoffenheim. La saison dernière lorsqu’il est arrivé alors ce que le club était proche de la relégation, il a fait jouer son équipe de façon judicieuse. Puis au cours de la présaison, il a été capable de développer un style de jeu complètement différent, grâce à lui certains joueurs ont énormément progressé comme Kevin Vogt, ces joueurs sont bien meilleurs qu’avant et cela se voit à travers leurs performances. Il est aussi parvenu à faire évoluer certains joueurs qui avaient une mentalité douteuse à l’image de Sandro Wagner ou Kerem Demirbay, ces derniers ont maintenant un bon niveau et respectent son travail. Il a contribué au développement de jeunes joueurs. Nagelsmann a aussi montré qu’il est prêt à laisser sur le banc des joueurs comme Steven Zuber qui était régulièrement titulaire mais qui est parvenu à lui prouver qu’il pouvait compter sur lui et qu’il avait sa place dans l’équipe en réalité. De ce fait, il a prouvé qu’il était un excellent tacticien mais aussi un impressionnant meneur d’hommes. Et effectuer tout cela à son âge est remarquable.
Si l’on prend tout cela en compte, pensez-vous qu’il est destiné à finir au Bayern Munich car on sent qu’il y a quelque chose entre lui et le club bavarois ?
Je peux comprendre pourquoi son nom a été associé à celui du Bayern, toutefois il est encore un peu tôt à ce stade-là de sa carrière. Il est clair que le Bayern Munich attirera toujours les meilleurs joueurs, ainsi que les meilleurs entraîneurs, donc je suis certain qu’ils aimeraient vraiment s’attacher les services de l’un des entraîneurs les plus prometteurs d’Europe cette saison. Julian Nagelsmann a les qualités pour aller là-bas mais il doit seulement y aller quand il aura le sentiment que c’est le bon moment et la bonne décision. Je pense que pour le moment, il va rester à Hoffenheim, il a envie de les amener en Ligue des champions pour voir ce qu’il est capable de faire. Par contre dans le futur, il n’y a aucun doute qu’il se retrouvera dans l’un des plus grands clubs européens.
J’ai cru comprendre qu’Hoffenheim vous a énormément impressionné cette saison, mais il y-a-t-il une autre équipe, allemande ou non, que vous avez apprécié regarder ?
Leipzig sans aucun doute. J’ai beaucoup aimé les regarder cette année. Ils jouent très rapidement, ils proposent un jeu offensif et ils possèdent un très bon groupe de jeunes joueurs, donc j’ai vraiment apprécié ce qu’ils ont fait chaque weekend. Il y a bien sûr Hoffenheim oui, une équipe qui porte son jeu vers l’attaque et qui marque beaucoup. Dortmund avec Ousmane Dembélé, Christian Pulisic ou Pierre-Emerick Aubameyang ont été incroyable à regarder quand toutes les conditions étaient réunies. Je dirais le Werder Bremen également, notamment durant la deuxième partie de saison, ils étaient vraiment agréables à regarder avec Serge Gnabry et Max Kruse qui ont fait de très belles choses. Je pense qu’il y a beaucoup d’équipes excitantes en Bundesliga. Par exemple, durant le weekend, j’ai commenté Fribourg contre Schalke 04, et ils ont produit du très beau football, c’était attrayant, précis et efficace. Donc pour ce qui est des équipes agréables à voir jouer en Allemagne, cette saison aura été très riche.
Vous venez d’évoquer Fribourg, club entraîné par Christian Streich depuis 2011, comment percevez-vous son travail et ce qu’ils sont parvenus à faire cette saison juste après avoir été promus en Bundesliga en tant que champions de deuxième division ?
Il a réalisé un travail incroyable. Si l’on compare les ressources dont il dispose et ce qu’il est parvenu à faire notamment pour ce qui est du développement des joueurs, c’est fantastique. Par exemple, Florian Niederlechner, qui était un bon avant-centre de deuxième division à Heidenheim, qui n’a pas vraiment réussi à Mainz, a énormément progressé jusqu’à marquer au moins 10 buts en Bundesliga. Des jeunes joueurs comme Çağlar Söyüncü, Maximilian Philipp ont fait de gros progrès, c’est aussi le cas pour Pascal Stenzel qui avait été prêté par Dortmund puis qui a été acheté par le club. Ils ont une vraie identité de jeu, et ils sont presque redoutables à domicile, tout cela fonctionne très bien. Ils ont eu quelques soucis après leur retour dans l’élite mais Streich a continué à faire du très bon travail sur le plan tactique et d’autres aspects du jeu. Il est parvenu à tirer le maximum de son groupe et c’est ce que l’on demande à un entraîneur.
On a évoqué les meilleures équipes du championnat, mais que pouvez-vous nous dire sur Hambourg qui est en difficulté depuis des années maintenant ? Et le fait qu’une nouvelle fois, ils vont probablement devoir jouer les play-offs afin d’éviter la relégation ?
C’est vraiment serré, si Ingolstadt avait gagné contre le Bayer Leverkusen [lors de la 32e journée, le match s’est terminé sur le score de 1-1, puis à l’issue de la 33e journée, Ingolstadt a été officiellement relégué], ça aurait été énorme car ça aurait mis la pression sur Mayence, Hambourg ainsi qu’Augsbourg. Il y a très peu d’écart entre les deux premiers, ni l’un ni l’autre ne joue bien, Augsbourg a deux derniers matchs difficiles contre le BVB [la rencontre face à Dortmund s’est finie sur le score de 1-1] puis Hoffenheim à l’extérieur. Mais je pense que tout va se jouer entre Mayence et le HSV.
Concernant Hambourg, beaucoup disent qu’ils devraient être relégués étant donné que c’est bon pour les équipes afin de mieux revenir après, mais je ne pense pas que c’est la bonne solution. Tu as toujours envie de jouer au meilleur niveau et c’est un risque. Si l’on regarde une équipe comme Stuttgart qui devrait être promue, ils auraient préféré rester en Bundesliga plutôt que de descendre. Cette saison a été différente pour le HSV : ils sont parvenus à gagner de nombreux matchs à domicile mais à côté de ça ils ont perdu des matchs importants comme celui face à Darmstadt. Ils ont eu l’opportunité de faire mieux. Cependant le groupe est resté plus ou moins le même depuis plusieurs années et ils ont toujours frôlé le pire. Donc ça ne doit pas être simple de rester loin de ça chaque saison. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai été surpris lorsqu’ils ont limogé Bruno Labbadia, il avait déjà eu à gérer des situations difficiles auparavant, après il avait peut-être des problèmes en dehors du terrain qui allaient au-delà des performances de l’équipe.
Photo credits : Lukas Barth / Anadolu Agency