[Liga] Modric, la tête à autre chose

Le monde du football attend ce rendez-vous avec impatience : le Real Madrid se déplace ce soir au Parc des Princes pour affronter le Paris Saint-Germain pour une potentielle qualification en quart de finale de la Ligue des Champions. La Casa Blanca espère que Luka Modric sera remis de sa blessure musculaire à la jambe droite. Mais lui a d’autres soucis en tête. Car pour la première fois dans sa carrière, l’international croate est la cible d’attaques répétées.

Au coeur du scandale

C’est l’histoire d’un des joueurs les plus talentueux de sa génération qui voit ses vieux démons le rattraper. Non, Luka Modric n’a pas fait fuiter la sextape de Mario Mandzukic mais sa situation est sûrement plus délicate que celle de son coéquipier du Real Madrid. En effet, Lukita est visé par une procédure judiciaire dans son pays natal qui le touche lui, ainsi que son deuxième père, Zdravko Mamic. Alors que la Croatie s’apprête à jouer sa quatrième coupe du monde, son capitaine est dans la tourmente. C’est vendredi, à la veille de Real Madrid – Getafe que Modric a appris la nouvelle : l’ancien spurs est inculpé pour faux témoignage dans le cadre d’une enquête pour corruption qui vise son mentor Zdravko Mamic.

Plusieurs questions émergent dans la tête de l’amateur de football : comment le si discret Luka Modric a pu se retrouver dans un tel imbroglio? Qui est ce Zdravko Mamic?

L’histoire date de 2004. A l’époque Luka Modric vient à peine de signer professionnel au Dinamo Zagreb. Il stipule dans une annexe vouloir verser la moitié des primes de transferts qu’il touchera à Zdravko Mamic. Cet homme de 58 ans est l’homme fort du football croate. Homme d’affaires à la base, il va se rediriger vers le football et ses millions. Considéré comme la personne la plus influente du pays, il est aussi agent de joueurs, « grand » dirigeant du Dinamo Zagreb et influent politique.

Aujourd’hui, Zdravko Mamic est l’ennemi numéro 1 des Croates qui veulent à tout prix le voir derrière les barreaux. Alors agent de joueurs à l’époque des faits, il trouve un accord avec Luka Modric pour qu’il lui donne la moitié de ses primes. Lukita avait reçu une aide financière de la part de Mamic avant de débuter sa carrière professionnelle, c’était une manière de le remercier.

Sauf que l’histoire va prendre une tournure différente.  Zdravko Mamic devient président du Dinamo Zagreb. Il abandonne sa casquette d’agent mais son nouveau poste lui permet de négocier le départ de son petit protégé vers Tottenham en 2008. De manière très intelligente, il va stipuler dans le contrat que Modric touchera 50% de l’indemnités de transfert. C’est un accord à hauteur de 21 millions d’euros qui est trouvé. L’international croate s’envole vers Londres avec une dizaine de millions dans sa valise.

Mais, et il y a toujours un mais avec Zdravko Mamic. Sur les dix millions, le néo Spurs n’en touchera réellement que deux. Le reste, il doit lui verser. Pas directement mais via le frère cadet Mamic  et son fils. Cette malversation fait partie des multiples accusations dont il est visé. L’enquête judiciaire cherche à établir si cette annexe a bien été faite en 2004 ou bien en 2008. Selon Modric, comme il l’a déclaré devant le tribunal d’Osijek, l’annexe avait été signée en 2004. Mais sa version change et, devant les enquêteurs, l’international croate prétend que la signature avait eu lieu en 2008. Il s’est sûrement rappelé qu’il avait une famille et une carrière à gérer et que se mettre à dos Mamic était la pire des choses à faire.

D’habitude calme et plein de sang froid sur un terrain, Luka Modric était nerveux et anxieux durant l’audition. Comme un enfant en plein mensonge, l’ancien madrilène ne pouvait cacher ses émotions et n’a pas daigné croiser le regard de Zdravko Mamic. Le madrilène a préféré mettre son avenir en péril, se mettre à dos tout un pays plutôt qu’inculper celui à qui il doit beaucoup. Un raisonnement « compréhensible » pour un homme qui a connu la souffrance et qui est très attaché aux valeurs humaines.

(En compagnie des deux frères Mamic)

L’élu n’est plus 

Evidemment, mentir durant un procès mérite une sanction. Mais qui peut reprocher à un individu de pas vouloir inculper une personne qui a tant compté dans sa vie? Avant d’être un des footballeurs croates les plus forts de l’histoire, Luka Modric est un réfugié de la guerre de Croatie. Il a vécu le conflit de plein fouet. La maison de sa famille a été détruite par les bombardements. Les Modric ont trouvé refuge dans un hôtel. Une chambre, un lit pour quatre, et pourtant Lukita ne pense qu’au foot. Il aime sa vie à Zadar, guerre où pas, son plaisir n’est pas ébranlé. La Yougoslavie est en train d’imploser, sa maison est en ruines mais lui jure que tout va bien. C’est durant la guerre de Croatie que Modric va se construire cette nature détachée et loin de la réalité.

Lorsque Zdravko Mamic lui tend la main au Dinamo Zagreb, il sait qu’il ne pourra jamais lui tourner le dos. Malgré sa réputation, ses magouilles, le désormais numéro 10 du Real Madrid ne veut pas qu’on lui tienne rigueur de son amitié avec l’ennemi public numéro 1. C’est donc logiquement qu’il va faire marche arrière durant l’enquête lorsqu’il se retrouve dans la même salle que l’ancien président du Dinamo.

Dans ce genre de situation, chacun réagit à sa manière et c’est souvent la nature de chaque homme qui parle. Modric a préféré mettre en péril la suite de sa vie plutôt que de le dénoncer. Alors qu’il ne faisait pas l’unanimité en Croatie à cause de cette amitié, il est maintenant détesté dans son propre pays. Son mensonge ne passe pas auprès des Croates qui lui en veulent de ne pas avoir confirmé ses propos et envoyé définitivement Zdravko Mamic en prison.

A quelques mois de la Coupe du Monde, la situation de Lukita inquiète la sélection. Face à la fronde anti-Modric et l’épée de Damoclès au dessus de sa tête, son sélectionneur commence à se poser des questions. Pour Zlatko Dalic, Modric va « assumer ça stoïquement et il sera à son niveau quand ça sera nécessaire ». Mais il avoue être « inquiet » par la tournure des événements. Car le milieu du Real Madrid peut faire un séjour en prison si son faux témoignage se confirme.

La situation de Luka Modric et de sa sélection rappelle celle de son idole de jeunesse. Avant de devenir une légende du football européen, Zvonimir Boban est une icone pour tout les Croates. Mais l’ancien joueur du Dinamo Zagreb et de la sélection yougoslave va mettre sa carrière en péril par fierté.

C’est durant Dinamo Zagreb – Etoile Rouge de Belgrade en 1990 qu’il va écrire son histoire. Alors que ses supporters ont envahi la pelouse à cause des violents incidents orchestrés par la bande à Arkan, chef des fans de l’Etoile Rouge, les forces de l’ordre vont charger les Croates. A majorité Serbe, la police va prendre un malin plaisir à attaquer violemment les supporters du Dinamo. Les joueurs ont déjà quitté la pelouse sauf quelques-uns, dont Zvonomir Boban.

Face à la situation chaotique, le capitaine et futur grand espoir du football européen va mettre un coup de pied à un policier qui était en train de lyncher un des supporters croates. Un acte salvateur qui lui vaudra d’être suspendu six mois par la fédération yougoslave (sanction réduite à quatre). Boban va rater la Coupe du Monde à cause de cet incident et sera obligé de s’exiler à Bari pour éviter une potentielle vendetta.

La situation de Luka Modric est différente mais ses conséquences sont similaires : mettre sa carrière en danger pour une issue qui risque de lui coûter très cher. Si l’histoire de Boban avec la Croatie s’est terminée en happy-ending, c’est tout le contraire qui risque d’arriver à Luka Modric. Si l’ancien meneur de jeu de l’AC Milan était adulé en Croatie et détesté dans le reste des Balkans, Lukita risque d’être détesté de partout en ex-Yougoslavie, même dans son propre pays. Sauf s’il gagne la Coupe du Monde. Dans ce cas, l’immunité prendrait tout son sens.

 

Credit photo: STRINGER / AFP

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»