[Portrait] Laureano Ruiz : l’homme qui a posé les fondations du Barça

Quand vient l’heure de penser au Barça, plus que les immenses joueurs qui en ont fait et qui continuent d’en faire l’Histoire, ce sont des idées de jeu qui nous viennent en tête. Des concepts footballistiques devenus identitaires, bien ancrés dans les cœurs des partisans du club catalan. Et derrière toute innovation se cache un penseur, un élément déclencheur qui tient ici en 12 lettres : Laureano Ruiz.

 

Né le 21 octobre 1937 à Villafufre (Espagne), Laureano Ruiz connaît une carrière de joueur modeste au Racing de Santander (1956-62) puis au Gimnástica de Torrelavega (1962-66). Le défenseur espagnol ne s’éternisera pas sur les pelouses ibériques puisqu’il décide de raccrocher les crampons à seulement 28 ans pour se tourner vers l’entraînement, et notamment celui des jeunes joueurs. Ayant commencé à endosser le costume d’entraîneur à partir de 15 ans, il prend rapidement en charge les jeunes du Racing de Santander en parallèle de sa carrière de joueur et en sera même le technicien de l’équipe première. Il débarque à Barcelone en 1972.

Et si tout était grâce à la bière ?

Le 15 avril 1972 se joue la finale de la Copa Catalunya entre les Juvenil A du FC Barcelone et le CF Damm, dont le nom vient de la marque de bière « Estrella Damm ». Devant près de 15 000 spectateurs et sous les yeux du président du club fondé par Joan Gamper, les Blaugranas s’inclinent 3-2. Une défaite vécue comme une humiliation par le président de l’époque Agusti Montal. « C’est inacceptable. Je peux accepter de perdre contre une équipe de football, mais pas contre une fabrique de bière », a notamment déclaré ce dernier au sortir du match. Un échec cuisant suivi d’un changement d’entraîneur immédiat. Pour laver cet affront, l’heureux élu vient du nord du pays et vous est maintenant familier : Laureano Ruiz.

Recruté grâce à la qualité du jeu proposé au Racing et aux commandes des U19 de 1972 à 1976 puis de la réserve de 1976 à 1978, ce ne sont pas les trophées qu’il remportera qui feront de son passage une période clé de l’histoire du Barça mais plutôt les fondations qu’il y aura posé et les idées novatrices qui les accompagnent. Six années en Catalogne couronnées de succès au cours desquelles il se verra même promu technicien de l’équipe première, assurant l’intérim entre l’éviction d’Hennes Weissweiler et le retour du mythique Rinus Michels. Une courte période de six matchs qui lui permettra de croiser la route d’un certain Johan Cruyff, star du club dans les années 70 avant d’en devenir par la suite le plus grand symbole.

 

Une intellectualisation du jeu et des principes devenus incontournables 

A son arrivée, Laureano Ruiz constate les énormes lacunes présentes au club sur le plan organisationnel. Aucun cadre et pas de liens cohérents pour unir les différentes composantes de l’institution. Aucune identité ne s’en dégage. Par ailleurs, il est face à une idéologie présente totalement contraire à ses convictions. A cette époque les joueurs d’1m70 ne sont pas à l’honneur au Camp Nou, bien au contraire.  En effet, l’auteur du livre El auténtico metodo del Barça se souvient d’un message sur la porte d’un des bureaux du club conseillant à tous les jeunes de moins d’1m80 espérant intégrer le club de faire demi-tour. Il poursuit même en disant qu’à cette époque, des joueurs comme Xavi, Iniesta et même Messi n’auraient pu jouer pour le Barça tant l’accent était mis sur l’aspect physique du jeu. Dans son ouvrage, l’auteur ne manque pas d’insister sur cette erreur d’appréhension du footballeur et sur ce qui doit être, selon lui, prioritaire dans l’approche avec les joueurs à une époque où des préceptes établis conduisent à leur athlétisation. Une attention particulière doit être portée à la compréhension du jeu, son ressenti et son exploitation. S’attarder sur le comment mais également élever le seuil de performance en s’arrêtant sur le pourquoi. « Porque se puede ser muy alto, poseer una gran condición física, mucho dominio del balón y no saber jugar al fútbol »[« Parce que vous pouvez être très grand, avoir une bonne condition physique, beaucoup de contrôle du ballon et ne pas savoir jouer au football »]. Des points qu’il faut selon lui commencer à évoquer pendant la formation et non pas une fois lancé dans le grand bain. Sa ligne de conduite étant de donner la priorité à la qualité technique des joueurs.

« Un homme avec des idées nouvelles est considéré comme un fou jusqu’à ce que ses idées triomphent » -Marcelo Bielsa

A sa prise de fonction, Laureano Ruiz met en place son 3-4-3, son animation et applique ses méthodes. Il insiste énormément sur le jeu de position, le placement, et travaille énormément de mouvements pour que ses joueurs deviennent capables de choisir l’option la plus adaptée à chaque moment du jeu. Il apporte également dans ses bagages les fameux rondos (les taureaux) – tant prisés par Cruyff, Guardiola et autres héritiers du jeu barcelonais – qu’il prétend avoir inventé en 1957. Un exercice complet qui comprend énormément d’actions du football en général et particulièrement du jeu catalan. Jouer avec les 2 pieds, en une touche, trouver le troisième homme, trouver le joueur libre, fixer le défenseur d’un côté pour renverser de l’autre, jouer dans l’intervalle, en triangle, etc. D’autant plus qu’il existe une infinité de possibilités de développement.

Un an à peine après son arrivée, il réussit à imposer son modèle et toutes les catégories de jeunes évoluent avec une idée de jeu commune, celle du natif de Villafufre. Cependant, les concepts utilisés à la cantera mettront du temps à devenir ceux de l’équipe première. D’où la difficulté à cette époque pour les joueurs de passer de la réserve au premier plan. Jusqu’au retour en terre catalane du Hollandais volant. La suite de l’histoire, tout le monde la connaît.

Crédit photo : Eduard Omedes – Mundo Deportivo

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