Le système de barrages : l’oligarchie en marche

Un an après la mise en place du système des barrages pour l’accession en Ligue 1 et la descente en Ligue 2, cette machine à favoriser les équipes habituées de la première division est reconduite cette saison et il semble qu’elle ne s’arrêtera pas de si tôt. Le 18ème de Ligue 1 (pour l’instant Toulouse) affrontera donc le vainqueur du match entre l’AC Ajaccio et le gagnant d’une confrontation entre Brest et Le Havre.

L’année dernière, une happy end a eu lieu avec la promotion de Troyes, troisième de Ligue 2, en éliminant Lorient, 18ème de Ligue 1, à l’issue de ces barrages. Cela s’est fait au grand désarroi de la Ligue qui a vu un club au budget moins élevé de 10 millions d’euros (36 millions € pour Lorient, 26 millions € pour Troyes, celui de Lorient est de 18 millions € actuellement suite à la relégation). Une équipe avec un faible budget signifie en effet une équipe qui a moins tendance à investir, une équipe qui attire moins les sponsors et les équipementiers… Bref, une équipe qui ne fait pas vendre la Ligue 1 à l’international. C’est pourtant Guingamp (18ème budget de Ligue 1 avec 26M €) et Amiens (20ème budget de Ligue 1 avec 25M €) qui ont récemment mis en échec respectivement Paris (2-2) et Monaco (0-0). Et toc, Madame Boy de la Tour. Mais là n’est pas le sujet. En réfléchissant l’exposition mondiale de la Ligue 1 d’une optique simplement comptable, les instances dirigeantes ont tout faux. Néanmoins, elles s’attellent à conserver cette logique, au détriment du football.

Reproduction des élites

La mise en place des barrages conforte cette vision des choses puisque les équipes de Ligue 1 – qui disposent de facto d’un budget plus élevé que celle de Ligue 2 – sont enclines à rester en Ligue 1 même après une saison calamiteuse. Il n’y a qu’à voir le calendrier des équipes de Ligue 2 barragistes qui terminent la saison par des matchs tous les trois jours… Les équipes de deuxième division, qui mettent toutes leurs forces dans leur bataille, doivent affronter une équipe qui dispose à priori d’un niveau supérieur à la Ligue 2 pour monter en division supérieure. Oui, car on prend ici l’exemple Ligue 1 – Ligue 2 mais la même mascarade s’opère entre la Ligue 2 et le National 1. Comme disait Bourdieu, voilà un bon exemple de «reproduction des élites». Tout est mis en oeuvre pour que les clubs les plus fortunés, l’élite, reste justement dans l’élite. Oui le football est élitiste puisque c’est l’essence même du sport : récompenser le meilleur. Mais quand l’argent s’en mêle, l’égalité des chances diminue très largement et le concept de méritocratie n’a dès lors plus sa place dans le sport.

Une nouvelle phase rentre en vigueur cette année et accentue encore plus l’inégalité : des plays-off entre 3ème, 4ème et 5ème de Ligue 2. Le 4ème affronte le 5ème et le vainqueur de la confrontation aura le privilège d’affronter le 3ème pour la troisième fois de la saison en championnat. Reprenons, qu’une équipe finisse 3ème avec 70 points ou 5ème avec 45 points donne aux deux les mêmes chances d’accession à la division supérieure. Cette année, Brest, 5ème avec 65 points aura donc autant de chances que l’ACA, 3ème avec 68 points de monter en Ligue 1. Le 3ème en véritable héros tragique grec se démène face à l’hydre LFP qui fait tout pour ne pas qu’il ait la chance de monter. Forcément, plus facile pour le 18ème de L1 d’affronter Brest ou Le Havre plutôt qu’une équipe aussi combative qu’Ajaccio… L’on passera également sur l’aspect physique puisque des équipes de seconde division habituées à jouer une fois par semaine se retrouvent à jouer tous les trois jours durant deux semaines, un rythme que les grands clubs européens ont déjà du mal à tenir. Alors que le club de Ligue 1 peut disposer de deux semaines de préparation, le club de Ligue 2 arrive en n’étant pas à 100% physiquement.

Mais que diantre allait faire la France dans cette galère ? Deux explications à cela. D’abord, et cela est très fréquent en politique, l’utilisation du sacro-saint modèle allemand comme vérité générale. Le système de barrages fonctionnant en Allemagne, utilisons-le en France ! Faisant ainsi abstraction de tous les maux du football allemand : baisse du niveau général, endettement des clubs auprès du Bayern, fuite des talents, etc ! Et effectivement, les barrages ça marche en Allemagne. Qui ne voit pas que les clubs de Bundesliga parviennent tous à se maintenir depuis six ans maintenant car la première division allemande a complètement vampirisé le football outre-Rhin ? Hormis la relative parenthèse troyenne la saison dernière, il semble difficile pour une des trois équipes de sortir un habitué de la L1, comme le TFC par exemple. L’expérience allemande laisse entrevoir un bien triste visage qui privilégie l’argent au ballon, causant un effritement du niveau global car, à terme, la descente ne se jouera plus à trois mais à deux équipes tant le fossé Ligue 1 – Ligue 2 sera important. Un autre argument des plus fallacieux était l’accession d’Amiens à la Ligue 1 la saison passée. Amiens était en effet 6ème avant la 38ème journée mais finit la journée 2ème grâce à un but à la dernière seconde. Quelle horreur pour les instances du football français que de voir un club disposant de peu de ressources financières monter alors que tout était prévu pour le contraire. Ni une ni deux, ces instances utilisent «le sens de la justice» pour justifier les barrages. Mais est-ce juste de refuser aux équipes les moins fortunées d’avoir accès à la Ligue 1 ? Est-ce juste de tuer le spectacle que procure la Ligue 2 et son multiplex du vendredi soir ? Est-ce juste de faire mourir le football à petit feu ?

Crédit photo : JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

0

4-4-2 losange et presunto comme exutoires.