[Liga] Matchs délocalisés en Amérique : la révolution est en marche

« Révolutionnaire ». Voila comment Javier Tebas décrit le contrat signé par la Liga avec Relevent Sports. Cet accord stipule que chaque saison durant 15 ans, une rencontre du championnat espagnol aura lieu aux États-Unis. Le but étant de promouvoir le football hispanique mais aussi de créer un engouement autour du soccer, sport qui tend à se développer encore plus. Une décision surprise qui ne fait pas l’unanimité au pays de Cervantes, au point où les joueurs envisagent de faire une grève pour protester contre cette décision unilatérale.

La révolution espagnole du nouveau millénaire.

« Les révolutions sortent, non d’un accident, mais de la nécessité ». Une phrase simple mais lourde de sens dans l’esprit de l’écrivain Victor Hugo. Dans une époque où la Liga a vocation à des changements pour lutter contre la gigantesque et tentaculaire Premier League, un homme est parti pour tout bouleverser.  Une révolution est nécessaire et c’est Javier Tebas qui est derrière elle. Si le président de la LFP ne ressemble en rien à un Jean Valjean des temps modernes, son idée est pleine de bonnes intentions. Délocaliser un match sur 380 entre les États-Unis et le Canada n’a rien de dramatique et pourra amener une rentrée d’argent conséquente pour la ligue. L’idée de médiatiser le championnat à l’étranger permettrait à la Liga de se rapprocher de la Premier League en terme de vues et de renégocier à la hausse les droits télés. Pour devenir le championnat le plus regardé du monde, Javier Tebas a décidé de faire plus fort que les autres dirigeants. Il est le premier à délocaliser un match de championnat dans un autre pays. Une décision forte mais qui est dans la continuité de la mondialisation du football.

Voir une rencontre être délocalisée n’a rien de surprenant lorsque l’on se met dans une idée de globalisation du ballon rond. Penser le contraire serait hypocrite. Depuis le début des années 2000, le sport roi tend à cette révolution. Les premières bribes ont été entraperçues avec les tournées estivales en Asie, pour faire plaisir aux supporters de cette partie du monde. Manchester United en a été le précurseur, les clubs préférant tronquer une préparation pour quelques millions dans les caisses. Puis plus récemment, les ligues ont aménagé les horaires de diffusion pour permettre au continent asiatique de profiter d’un match espagnol, anglais ou italien. Rajoutez à cela les délocalisations des finales de Supercoupe et vous avez le cheminement normal vers un football de plus en plus axé sur la mondialisation, plutôt que sur la passion. Ernesto Valverde, entraîneur du FC Barcelone a relativisé concernant l’idée d’un match hors frontière : « Cela semble étrange de jouer un match de championnat à l’étranger, comme ça semblait bizarre de jouer un match de Supercoupe au Maroc » avance l’ancien entraîneur de l’Athletic Bilbao. « Pourtant, on l’a fait ».

Relevent Sports, le groupe qui est derrière cette décision de programmer un match de Liga aux États-Unis n’en est pas à son premier coup d’essai. Stephen Ross, propriétaire des Dolphins de Miami et de Relevent Sports est à la base de la création de l’International Champions Cup. Ce tournoi de début de saison qui a lieu un peu partout dans le monde rassemble les meilleures équipes d’Europe pour des matchs de préparation. Tous les grands d’Espagne disputent cette compétition depuis sa création. Cet évènement permet à des supporters américains, australiens, chinois de profiter un instant des joueurs qu’ils apprécient à regarder à des heures incongrues pour les Européens. Une participation à l’ICC permet aux clubs d’engranger entre 10 et 15 millions de dollars. Avec cette délocalisation, la Liga cherche à concurrencer la Premier League à moyen terme et rien de mieux que conquérir l’Amérique pour ça. La grosse communauté latino-américaine présente aux États-Unis facilite le développement de la Liga. Le championnat possède près de 23 millions de suiveurs en Espagne, soit pratiquement autant qu’au pays de l’Oncle Sam. « Relevent a rempli les stades des États-Unis durant l’International Champions Cup, nous sommes enchantés de collaborer avec eux dans cette mission commune. » expliquait Javier Tebas, en présence de Stephen Ross lors de l’officialisation du deal avec Relevent. Le nombre de suiveurs pourrait infiniment grossir avec le match annuel sur le territoire américain . Car oui, en 2018, Javier de Miami devrait avoir aussi le droit de suivre la Liga et de voir un match être disputé sur son sol. C’est aussi ça la magie de la mondialisation. Si la décision a pour but de développer le médiatisation du football dans le monde dans un premier temps, l’aspect financier rentre rapidement en ligne de mire.  Sauf que ce choix a été pris sans l’accord des personnes les plus importantes : les joueurs.

Capitaines, menez la fronde

« Fin septembre ou début octobre, nous devrons commencer à agir ». Par cette simple phrase, David Aganzo a jeté un grand froid sur la planète foot espagnole. Cet homme représente le syndicat des joueurs de la Liga, c’est lui qui s’occupe des droits de tous les footballeurs professionnels. Lorsque la délocalisation a été officialiser, une réunion a eu lieu entre les 20 capitaines pour faire un point sur la situation. Et c’est à l’unanimité que les joueurs ont montré leur mécontentement face à cette décision. Le choix de délocaliser une rencontre va à l’encontre de beaucoup de points. D’un point de vue organisation, un match en Amérique bouscule tout un processus de préparation pour une équipe. Entre le trajet, le décalage horaire et des conditions climatiques différentes, les deux équipes pourraient payer à court terme cette parenthèse américaine. Une rencontre disputée après le mois de janvier entraverait la préparation des équipes espagnoles pour les phases finales de coupe d’Europe. Alors que la programmation des calendriers est chaque saison un chantier conséquent, délocaliser un match en Floride ou dans le Michigan serait un autre problème à régler. Mais l’aspect le plus omis par les décisionnaires, c’est bien l’opinion des supporters et des joueurs.

Ne pas prendre en considération l’avis des 23 millions d’amoureux de la Liga en Espagne est un manque de respect envers le football. Les supporters sont l’essence du sport roi et leurs avis comptent dans ce genre de décision. Les cantonner à un rôle de simple consommateurs risquent de faire exploser la relation déjà tendue entre Javier Tebas et les supporters aux quatre coins de l’Espagne. « Les supporters sont les meilleurs juges », José Mourinho l’a rappelé après la déroute de Manchester United face à Tottenham, ce sont eux qui donnent le la et ça restera comme ça pour l’éternité. Le football reste la discipline populaire par excellence, le sport des pauvres comme il est souvent caricaturé. Dans la partie méditerranéenne de l’Europe, il est impossible d’imaginer les supporters comme de simples personnes qui viennent au stade, consomment et acceptent toutes les décisions. Le marketing n’a pas encore tué toute la Terre entière, l’Espagne est entrain de le prouver.  La volonté de Javier Tebas de faire de la Liga le championnat le plus regardé et suivi devant la Premier League est « noble » dans la mesure où les clubs engrangeraient plus d’argent. Mais délocaliser un match de championnat est bien trop brusque pour les supporters. « Profit et honneur ne couchent pas dans le même lit » disait Cervantes au XVIème siècle. Cet adage marche toujours, un demi-millénaire plus tard.

Javier Tebas joue son dernier va-tout avec cette décision de délocaliser un match aux Etats-Unis. Le président de la Liga est très critiqué à cause de ses décisions et ses nombreuses attaques hypocrites envers les autres clubs européens. Si son but est premier est de protéger et promouvoir son championnat, l’art et la manière ne s’inventent pas. Ses sorties médiatiques lui ont valu d’être de nombreuses fois pointé du doigt par les acteurs du foot espagnol. Cette fois-ci, l’idée est de trop. Ne pas avoir consulter une nouvelle fois supporters et joueurs dérangent. Face à cette décision unilatérale, les capitaines pourraient décréter un préavis de grève d’ici l’automne. L’accord étant déjà signé avec Relevent Sports, la situation pourrait se tendre si les joueurs font valoir leurs droits. Un des deux camps risque de devoir s’assoir sur sa fierté à l’issue de la décision finale, « un homme déshonoré est pire qu’un homme mort ». L’avenir de Javier Tebas se joue dans les semaines à venir.

 

Crédit Photo : José Pazos Fabián / Notimex

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»