[EDITO] Que faut-il penser des propos de Benoît Assou-Ekotto?

Spécialiste des propos polémiques, Benoît Assou-Ekotto est perçu comme un idiot faussement rebelle pour les uns ou comme un homme intègre et franc pour les autres. Si ses derniers propos ne manqueront pas de faire jaser, il serait intéressant de s’intéresser au fond de son propos. Attention, débat sous tension à venir.

À l’actualité de façon incessante ces dernières années, la question de l’identité et de l’appartenance nationale s’invite sur le terrain du ballon rond après les dernières paroles de Benoît Assou-Ekotto. Au mois de février 2018, il twittait alors le message suivant. Il s’adressait, déjà, à Kylian Mbappé, fils d’un père camerounais et d’une mère algérienne, et ce après ses déclarations de soutien à l’Afrique suite à son invitation à l’Elysée.

https://twitter.com/AssouEkotto/status/966391021801271297?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E966391021801271297&ref_url=http%3A%2F%2Fwww.nicematin.com%2Ffootball%2Fpasse-darmes-sur-twitter-entre-mbappe-et-assou-ekotto-au-sujet-du-sport-africain-210817)

Le natif de Paris s’était empressé de répondre en faisant lui référence au moment de tension survenu entre Assou-Ekotto et son coéquipier Moukandjo durant la Coupe du monde 2014.

https://twitter.com/KMbappe/status/967118671817650177

Invité sur le plateau de l’émission de RMC Sport Le Vestiaire, l’ancien latéral de Tottenham a été invité à revenir sur ses propos. Il les a maintenu. Voici, en résumé, ce qu’il a développé : “Mettez-vous à la place des joueurs camerounais. Toi, joueur français tu vas venir développer notre football… Reste chez toi, va aider tes gens à Bondy, dans ton quartier, dans ta France.” “Oui tu aimes l’Afrique, tu aimes ceci, tu aimes cela. Mais tu n’y vas pas. C’est quoi cette histoire ?” “Oui tu aimes ta femme, mais tu pars avec une autre. Ce jeu là je le connais, manipuler l’opinion public et bla bla”.

Durant sa réponse, il aborde son cas personnel. Né à Arras – nous reviendrons sur l’importance relative du lieu de naissance – dans le Pas-De-Calais d’une mère française et d’un père camerounais, il annonce, dès septembre 2005, qu’il jouera pour le Cameroun mais c’est déjà en U-16 qu’il refuse l’équipe de France. Il repoussa cependant sa première sélection quelques années et il faudra attendre 2009 pour le voir revêtir le maillot camerounais.

Voilà qui suffira en guise d’introduction. Le coeur du problème mérite désormais notre attention. Que faut-il penser des déclarations de Benoît Assou-Ekotto? Existe-il une hypocrisie des joueurs – comme de leurs autres congénères – français d’origine africaine ou de ceux qui ont choisi de défendre le pays de leurs parents plutôt que celui de leur enfance? De très nombreux facteurs s’additionnent.

Le premier est celui du lieu de naissance, évoqué plus haut. La question du droit du sol ne manque jamais de susciter débat. Suffit-il de naître en un lieu pour que celui-ci constitue sa nation, par le coeur, le seul qui importe en la matière?

La réponse est très probablement non. Le lieu de naissance est anecdotique quant à la détermination de la nation. Samuel Umtiti et Steve Mandanda ne sont pas nés en France et il ne serait venu à l’idée de personne de leur refuser le statut de français pour le seul et unique fait de leur naissance à l’étranger. Qui a jamais dénié à Gonzalo Higuaín d’être argentin parce que né à Brest et non en Argentine. Le lieu de naissance, en ce qu’il dépend de facteurs multiples et innombrables (voyage d’affaire des parents, souci de santé de la mère, mutation dans un lieu pour un temps donné etc..) ne peut constituer un garant de l’appartenance nationale. Un homme peut se revendiquer d’une terre qui ne l’a pas vu naître tout comme un homme peut ne pas se revendiquer de celle qui l’a vu naître.

Le second point de ce sempiternel débat de l’appartenance nationale est celui de la relation que doivent avoir les enfants issus de l’immigration. Sans cesse renvoyés à leurs différentes origines, ils sont confrontés à de nombreux dilemmes. Doivent-ils renier leurs ancêtres comment certains le préconisent et se muer en parfaits français/anglais/italiens jusque dans leurs mœurs les plus intimes? Doivent-ils encore renier la terre qui les a, pour beaucoup, éduqués et nourris sous peine d’être accusés de trahison?

À la différence du point précédent, il n’existe pas de réponse claire et définitive sur la question. Elle relève de l’intime, du personnel. Beaucoup refusent de trancher et assument une double allégeance, n’y voyant guère de trahison ou d’hypocrisie quelconque. D’autres assument entièrement leur appartenance pleine et entière au pays qui les a vu grandir, avec un attachement plus ou moins intense au pays de leurs ancêtres. Enfin, des derniers ne se revendiquent que de la terre de leurs aïeux, y reconnaissant bien là leurs mœurs, leur culture et leur nation, tout en exprimant plus ou moins d’attachement voire d’affection au pays de leur enfance.

Abordons enfin le point le plus sensible du débat, celui de l’hypocrisie. Benoît Assou-Ekotto a lui-même tenu à jouer pour ce qu’il estime être son pays. C’est le cas de nombreux joueurs originaires de l’ancien empire colonial français mais aussi de ceux des vagues plus récentes d’immigration en Europe. Ainsi, on remarque rapidement que les équipes du Maroc, de la Tunisie et du Senegal sont composées d’énormément de joueurs nés en France notamment. National Geographic a même consacré une étude à la question.

Ce n’est pas le cas de tous et ce n’est pas ce qui dérange Benoît Assou-Ekotto. Il met en réalité le doigt sur une réalité du football mondial : les sélections africaines sont devenues des sélections de repli pour un nombre hallucinant bi-nationaux.

L’épisode Nabil Fekir l’illustre parfaitement, clamant à qui veut l’entendre son rêve de revêtir le maillot fennec, donnant même son accord à Christian Gourcuff avant de déféquer au visage de tout ce beau monde et se coucher devant un Jean-Michel Aulas qui n’a pas eu à se saigner pour lui vanter les mérites de l’Équipe de France (un bien pour la carrière du joueur mais surtout pour sa valeur marchande). C’est aussi le cas de Bouna Sarr qui avait choisi la Guinée à l’époque où Luis Fernandez en était le sélectionneur mais qui, après avoir évité le stage de l’équipe nationale, préfère depuis prendre son temps pour bien réfléchir à la sélection qu’il souhaite honorer. En réalité, il a 26 ans et ce délai de réflexion n’existerait pas une seule seconde si la France venait à l’appeler.

Benoît Assou-Ekotto est de ceux qui ne croient pas à la double allégeance et c’est son droit. S’il n’est clairement pas forcément judicieux de clamer qu’un joueur qui a choisi la France ne peut plus apporter le moindre soutien ou aide matérielle au pays de ses parents, il a cependant raison de dénoncer cette escroquerie hypocrite de la part de joueurs qui manquent chaque jour un peu plus de respect aux sélections africaines en les traitant comme de vulgaires faire-valoir et autre roue de secours. À cet effet, saluons Wissam Ben Yedder qui n’a jamais menti à ce sujet, clamant depuis toujours que seule l’Équipe de France l’intéresse, au contraire de ceux qui finissent par se rabattre sur le pays d’Afrique une fois avoir compris qu’ils ne joueront jamais pour la France.

Pour les autres et pour l’avenir, il est temps de mettre fin au cirque de marionnettes où l’Afrique, face à son cruel besoin de structures, n’est jamais rien de plus que la caution sentimentale et l’idiote utile de si nombreux joueurs professionnels.

Crédits photos : AFP PHOTO / BORIS HORVAT

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