[Interview] Romain Molina : « Nilmar a été transféré de Lyon à Corinthians via un des financiers des réseaux de Ben Laden en Tchétchénie »

Après son livre « Cavani, El Matador » sorti en novembre 2017, Romain Molina revient avec « La Mano Negra », son 5ème livre, traitant des « forces obscures » qui dirigent le football. Entre super-agents et vrais canailles, le livre brosse le portrait d’une quinzaine de personnages qui semblent tout droit tirés de films. Mais ces derniers sont bien réels… Interview de l’auteur.

Peux tu nous dire quelle est la genèse du projet ? Combien de temps de travail ça représente ?

Quand l’an passé Neymar a signé au PSG, par l’intermédiaire de Pini Zahavi, j’ai fait une série sur Youtube, nommée « House of Zahavi » autour du personnage que personne ou presque ne connaissait à l’époque. Ca m’avait amusé et ça avait bien marché. J’avais envie d’aller plus loin, de parler de cet homme qui est pour moi l’homme le plus puissant du football mondial de ces trente dernières années. Je voulais faire quelque chose autour des dessous du foot, avec une galerie de personnages, des mecs dont on ne parle jamais. En termes de temps, ça repose sur tout un travail fait en amont, mon réseau. Pour l’écrire, j’ai mis 6 mois. Ce livre là nécessitait énormément de travail en amont. Le plus dur, ça a été de comprendre les cultures russe, israélienne, géorgienne…

Ce livre représente t-il dans ta bibliographie une première fin, un premier chapitre ?

Je ne sais pas si c’est une fermeture ou une ouverture vers quelque chose d’autre mais c’est l’accomplissement de 7-8 ans à ferrailler. C’est un accomplissement par rapport aux retours des lecteurs et des gens du milieu, par rapport à la préface de Denis Robert que je n’aurai jamais pensé avoir. Ce livre, c’est exactement ce que je voulais faire, et j’en suis très fier, tant sur la forme que sur le fond. C’est donc un accomplissement mais ça veut aussi dire que je vais devoir faire mieux sur le prochain livre. Mais sur ce livre, je n’ai jamais autant bossé de ma vie. Ma mère est venue me voir un mois de vacances, elle ne m’a quasiment pas vu. J’ai vécu enfermé pendant 4 mois, mais je sais pourquoi je l’ai fait.

On sent un changement de cap entre le livre sur Emery où tu parlais beaucoup de foot, celui sur Cavani qui donnait la part belle à l’Uruguay et celui-ci où il n’est quasiment plus question de ballon sur les terrains. C’est une volonté ?

Celui-ci est publié chez Hugo Doc, et non pas chez Hugo Sport ! Le foot est pour moi une porte d’entrée pour comprendre le monde. C’est vrai que je parle de moins en moins de foot pur. J’aime raconter des histoires. Dans la Mano Negra, il y a les grandes et les petites histoires. Je voulais montrer que le foot est un terrain de jeu pour ces mecs là. Par contre, mon prochain livre parlera plus de foot, de destins de footballeurs, mais toujours avec un angle pluri-discilplinaire. Je ne veux pas être méchant mais parfois tu tournes en rond avec le monde du foot. Les mecs sont chloroformés, c’est toujours les mêmes histoires… Moi je m’écarte un peu du terrain, j’essaie de donner une perspective un peu différente car c’est plus ma sensibilité.

Tu as choisis une quinzaine de protagonistes sur un panel plus impressionnant. Comment as tu fait ta sélection ?

J’ai dû me limiter. A la base, je voulais parler de Paco Casal, aka Paco Mafia, qui a pour associé Enzo Francescoli ou de Guillermo Coppola le deuxième agent de Maradona aka « un meurtre imparfait ». Mais les chapitres se suivent, ça fait vraiment une histoire. Il y a donc volontairement des omissions. J’aurai aimé parler davantage de Ramadani, de Doyen Sport … Il fallait d’abord rappeler le créateur, Figer, et le pionnier des droits d’images Cyterszpiler. Ensuite, il fallait poser les bases des intermédiaires … A partir de Zahavi, mon angle c’est le Brazilian Football Project. Et enfin la seconde partie du bouquin se concentre beaucoup sur la compréhension des relations entre la Russie et l’Occident. Je voulais parler de Kia Joorabchian, et surtout couvrir beaucoup de zones géographiques. Il y en a plein que je n’ai pas pu mettre car ça n’allait pas dans la continuité de l’histoire mais c’est pas grave… Il pourra toujours y avoir une suite ! Waldemar Kita, Luciano D’Onofrio…

Tu as construit ton livre autour de Zahavi mais le personnage central du livre c’est plutôt Figer non ?

Bah ouais ! C’est lui qui a tout inventé. Tu vois le type, tu te dis « c’est pas possible, ce petit bonhomme ? ». Ça pourrait être un prof de maths de Province, à l’ancienne. C’est l’homme qui a fait plus de 1000 transferts. Il a crée l’économie parallèle au foot, les liens politiques, artistiques, industriels… Mendes, Raiola, ces mecs là existent parce que Juan Figer a tout inventé. C’est un destin incroyable. Le mec est champion d’échec à ses débuts !

On a l’impression que tous tes mecs sont reliés par des liens un peu obscurs. Comment, aujourd’hui, un mec qui bosse correctement peut s’insérer à leur niveau ? Comment progresser dans le game ?

Il faut avoir un bon joueur, ça aide ! Prenons l’exemple de Meissa Ndiaye. Il est discret, il est autant capable d’être le confident d’un joueur que d’être pris au sérieux en discutant avec un propriétaire de club. Pas beaucoup d’agents de son âge en sont capables. Meissa, c’est travail et discrétion. Lui pèse à l’étranger. Mais tout ça prend du temps. Un mec comme Ramadani aujourd’hui, il était déja fort avant mais il a explosé quand Zahavi l’a pris sous son aile. Les mecs qui pèsent lourd, ce ne sont que des anciens et des mecs qui se connaissent entre eux. La seule exception c’est Raiola. Arriver tout en haut, c’est aussi une affaire de relationnel avec les gens.

T’expliques comment le fait qu’il n’y ait aucun Français dans le bouquin ?

Il n’y a pas de super-agent français. Le seul francophone, c’est Luciano D’onofrio, un entremetteur ultime sauce belgo-italienne. Conseiller de Louis-Dreyfus au Standard, investisseur de TPO, entremetteur … Il est au carrefour de plein de lieux. En France, Bruno Satin est respecté à l’international. Bernes est très fort en France mais ne pèse pas du tout en Europe. Globalement, les Français sont plus des « deal maker ». Ce ne sont pas des personnages de films comme les autres.

L’une des phrases clés du livre pourrait être : « Dans un monde de salauds, il n’y a pas des gentils et des méchants mais des personnes essayant juste de survivre au milieu de gens un peu moins gentils ou un peu plus méchants que d’autres ». Est ce que ça ne résume pas tout ?

Je ne voulais pas avoir une vision manichéenne dans le bouquin. J’essaie de différencier business et business.  Je pense que dans un monde de salauds, il n’y a pas que le bien et le mal. J’ai mis cette phrase car la plupart essaient de survivre sans se faire buter. Le vrai point commun de ces mecs là, c’est pas l’argent, c’est le pouvoir. Je ne suis ni bourreau ni juge, je n’épargne personne mais je ne les juge pas. Le seul que je juge c’est Berezovsky avec les histoires des mineurs parce que ça, je ne peux pas.

On parle peu du passage sur Neymar à la fin. Si Football Leaks avait lâché ça (ndlr : le contrat de Neymar et les détails sur le « transfert du siècle »), tout le monde en parlerait !

Ça et l’affaire du transfert de Nilmar. Pour résumer l’histoire, dans les gens qui ont payé le transfert de Lyon vers Corinthians, il y avait un banquier informel des réseaux de Ben Laden en Tchétchénie. L’OL n’est pas au courant de ça, mais ça pose question sur le financement du foot. Sur Neymar, je suis le premier à donner le nom des trois intermédiaires sur le contrat, les raisons géopolitiques et comment ils ont fait l’opération avec l’interview des mecs. Si Mediapart la sort, ça fait le tour du monde. Moi je m’en fiche mais ça mérite d’être connu car ça explique aussi la politique de recrutement du PSG.

Au sens large du terme, on dirait que l’investigation n’intéresse pas en France. Problème de culture ? De dynamique ?

J’ai pas la prétention de connaître les envies des autres pays. Je pense que l’investigation intéresse même si beaucoup préfèrent faire la politique de l’autruche. Si on écoute les fans de foot, il y a un complot contre chaque club de Ligue 1. Je pense qu’il faut savoir raconter les histoires et permettre aux gens de comprendre, vulgariser sans les prendre pour des cons. Certaines personnes ne sont pas prêtes à accepter certains trucs. Moment branlette d’ego, mais je pense que La Mano Negra va déclencher quelque chose. Deux journalistes m’ont demandé si le livre marchait parce qu’ils aimeraient faire un bouquin d’investigation eux aussi. Ça se construit petit à petit. Mais il faut être humble. Je n’ai aucune certitude que je ne suis pas instrumentalisé.

Après, pour faire de l’investigation, il faut mettre les mains dans le cambouis. Regarde, aujourd’hui, j’ai reçu un paquet : des gants de moto. Je n’ai jamais commandé de gants de moto. A mon nom, à mon adresse. J’en sais pas plus. Personne n’a mon adresse quasiment, je n’ai pas de nom de rue. Et le problème de l’investigation c’est de devenir parano. J’ai pas envie de le devenir. Mais tu peux devenir fou … Faut pas se prendre pour le justicier masqué et toujours cheminer par rapport à la recherche de la vérité. Après je n’ai pas peur pour moi mais on me pose souvent la question du danger. En Belgique, pour mon passage à la RTBF, un chroniqueur m’a salué et m’a dit « Ah vous êtes encore en vie vous ? » en riant. Moi je n’ai pas l’impression d’être un homme à abattre. Ça serait me surcoter et surcoter mon audience. On essaie plutôt de m’attaquer juridiquement pour m’étouffer financièrement.

Pas simple au quotidien …

Je vais te raconter une histoire. J’ai été contacté il y a quelques mois par un mec sur Twitter, un anonyme. Le mec me propose un document pour m’aider. 95% du temps, quand on te donne un document, c’est qu’un mec veut en baiser un autre. Soit tu acceptes en pensant que la cause est noble, soit tu prends le document sans te poser de questions. Moi j’analyse. Au début, je pensais que c’était un piège, que c’était un faux. On parle d’un sujet très important du football mondial. Le mec veut me voir à Paris. Je n’y habite pas. Le mec me dit qu’il va repartir le lendemain, qu’il faut faire vite. Alors je lui parle de mon adjoint. Bon j’ai pas d’adjoint … J’appelle un pote qui devait être en calbute chez lui et deux heures plus tard, il a rendez-vous avec l’homme en question. Ils ont discuté une heure et demi en arpentant les trottoirs parisiens et en enregistrant la conversation. Nouveau rendez-vous la semaine suivante pour récupérer une clé USB. On a monté un plan à base de cyber-café, on avait un dispositif pour encercler discrètement la rue du rendez vous, au cas où … C’était l’agence tout risques. Le mec n’est jamais venu. Il m’a rappelé plus tard, il voulait venir me chercher directement chez moi en jet pour m’emmener je ne sais où. Le mec voulait mon adresse. J’ai évidemment refusé. Mais comme quoi, il faut toujours rester sur ses gardes … Il y en a d’autres des histoires surréalistes comme ça.

C’est quoi la prochaine étape maintenant ?

Le métier d’écrivain sportif en France n’existait pas vraiment, je pense que je suis le seul aujourd’hui à tenter d’en vivre. J’ai montré qu’en tant qu’auteur français, on pouvait aller sur la scène internationale, avoir un livre traduit en Amérique du Sud, en Espagne et bientôt en Russie alors que je viens de nul part, tout en restant à ma place. Ce n’est pas que moi mais je vois une petite effervescence en France autour des livres de sport. Des livres très intéressants sont publiés chez Chistera, Marabout, Hugo, ce qu’ont fait Mathieu Grégoire et ses acolytes, ce que fait Vilas, ce que fait Christophe Kuchly et ses comparses … Moi j’ai fait le choix d’essayer de ne faire que ça et d’en survivre, quitte à rester indépendant. La Mano Negra, c’est mon meilleur démarrage. Cavani a fait 8000 ventes ce qui commence à faire, Unai 4000. Celui là j’aimerais passer 10 000, ça m’aiderait financièrement. J’en ai besoin … Je dois limite sortir deux ou trois livres par an pour survivre, je n’ai pas le choix.

Ça déclenche des vocations chez mon lectorat, je reçois des messages de gens qui me disent avoir repris gout à la lecture et ça j’en suis très fier. C’est un cadeau exceptionnel. Quand je fais des conférences avec mon éditeur, je parle avec tout le monde et mon public est super varié. De tout âge, de toute origine … Et tous ces gens là parlent entre eux après les conférences. C’est super touchant. Le fait de créer des événements autour d’un livre sportif, ça se fait en Angleterre mais ça ne se faisait pas en France. J’espère que ça va créer un précédent. C’est bien pour les auteurs, ça les valorise. J’essaie d’œuvrer pour la littérature sportive. J’ai envie de porter haut fièrement la littérature française à l’international. J’ai reçu une proposition d’un éditeur anglais, j’ai dit non. Je veux écrire en français.

Pour la suite, mon prochain livre sort au printemps. Après le côté obscur, je vais traiter du côté joyeux du football, avec des pays qui n’ont pas l’habitude d’aller à la Coupe du Monde : Bhoutan, Népal, Tibet, Cambodge, Yemen … Très dessous des cartes mais ça va insister sur plein de destins humains. J’ai envie de faire « Football’s most wanted man », et alors là … La Mano Negra c’est un apéritif à côté. Pourquoi pas quelque chose autour de l’Amérique du Sud … Après, la prochaine marche, si je veux passer un cap, c’est adapter La Mano Negra en série TV. On a écrit avec un scénariste, on a signé avec un petit producteur, on attend pour un gros poisson …

 

Crédits photos : ALAIN JOCARD / AFP

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