Sarri, professeur incompris

L’affaire Kepa enflamme la presse britannique. L’énième épisode d’une crise qui secoue Chelsea depuis le début d’année. Au cœur de la tourmente, le manager des Blues : Maurizio Sarri. Du côté de Stamford Bridge, plus personne ne semble écouter le professeur. Venu pour révolutionner le jeu de l’équipe, l’incompréhension grandit entre lui et le club. À tel point que ses jours sont probablement comptés sur les bords de la Tamise.

La terre risque de trembler ce soir à Stamford Bridge. Chelsea accueille Tottenham pour le choc de la 28ème journée de Premier League. Sixièmes, les Blues seraient bien inspirés de l’emporter s’ils veulent retrouver les hauteurs du classement. La défaite pourrait s’avérer fatale pour Maurizio Sarri. Fragilisé depuis plusieurs semaines, le coach ne serait plus en odeur de sainteté à Londres. Les noms de ses potentiels successeurs (Zidane, Blanc a-t-on pu lire à droite à gauche) font les choux gras des journaux outre-Manche. Sarri était pourtant arrivé pour amorcer une petite révolution sur le terrain. Mais la méthode du professeur ne passe plus auprès de ses élèves.

Débuts prometteurs

Tout avait pourtant parfaitement commencé. Invaincue lors des douze premières journées de championnat, l’équipe tournait à plein régime et prenait ses aises au sein du Big Four. Chelsea pouvait même se targuer d’être la première équipe du royaume à faire tomber Manchester City, le 8 décembre dernier. Ce jour-là, les Blues l’emportaient 2-0 et c’est tout Stamford Bridge qui chavirait. Malgré la domination des Citizen en première période, les hommes de Sarri n’avaient pas craqué. Tous avaient fait preuve d’une abnégation sans faille. Et à défaut de déjà maitriser les percepts du Sarri-ball, tous semblaient adhérer aux valeurs de l’ancien coach napolitain. L’idylle entre l’Italien et les Anglais n’avait pas l’air d’un amour sans lendemain. La lune de miel n’aura pourtant pas duré.

Car en 2019, l’histoire d’amour a viré au cauchemar. En l’espace de quatre journées, Chelsea a mordu la poussière à trois reprises, et pas qu’à moitié. Une défaite 2-0 à l’Emirates face à Arsenal, une autre 4-0 contre Bournemouth, modeste 10ème, et une humiliation 6-0 face à Manchester City. Sur ces trois matchs, les Blues ont encaissé 12 buts pour 0 marqué. Seule éclaircie au milieu de la tempête, une victoire 5-0 face à Huddersfield. Pas de quoi fanfaronner quand on connait la situation des Terriers, bons derniers avec seulement 14 petits points au compteur. L’équipage du bateau bleu et son capitaine transalpin vont devoir se ressaisir s’ils veulent accrocher une place européenne en mai prochain.

Autorité bafouée

Sur le terrain, le professeur n’a sans doute pas encore trouvé la bonne formule. Obstiné (borné diront certains), il refuse de faire évoluer son 4-3-3 sacré. Pourtant, certains choix ne tombent pas sous le sens. À commencer par Jorginho. Le métronome brésilien, joueur de Sarri-ball par excellence, accumule les sorties décevantes voire médiocres. Le régulateur de la machine bleue est visiblement cassé. Comme un symbole, il rate son tir au but face aux Citizen dimanche dernier. Un petit peu plus haut sur le pré, N’Golo Kanté fait ce qu’il peut dans une position qui n’est pas la sienne. Loin de lui l’idée de se plaindre mais sa légendaire dévotion ne nous empêchera pas de penser qu’il n’évolue pas à son meilleur poste. Et pour ne rien arranger, la défense elle aussi a capitulé. El Kun Agüero a dû remercier Rüdiger et consorts le 10 février dernier…

Au-delà du score fleuve, c’est bien l’attitude des joueurs qui a interpellé les observateurs. Démobilisés, ils n’ont pas essayé de stopper l’hémorragie. À l’issue de la rencontre, Maurizio Sarri a avoué être « incapable d’expliquer » une telle déroute. Ce n’était pas la première fois que le technicien italien notait un problème « mental » dans l’approche des matchs. Quelques jours auparavant, il confiait en conférence de presse que son groupe était « difficile à motiver ». Étrange quand on connait l’ADN des Blues. Pourtant l’autorité du professeur est aujourd’hui bafouée. En témoigne l’hallucinante révolte de Kepa dimanche dernier.

Insurmontable contradiction

Prompts à dédramatiser, tous ont parlé d’une simple «incompréhension» entre le sulfureux manager et l’insoumis portier. Mais si incompréhension il y a, alors elle ne se situe pas là. Il ne semble plus rester grand-chose des leçons prodiguées depuis le début de la saison. À Londres, plus personne au club ne semble disposé à écouter le professeur. À commencer par les supporters : « f*ck Sarri-ball » pouvait-on entendre dans les travées du stade ces dernières semaines. Pas vraiment soutenu par un président aux abonnés absents, l’avenir du technicien italien chez les Blues s’inscrit désormais en pointillés.

En cas de défaite face à Tottenham ce soir, l’aventure de Sarri à Chelsea risque de se terminer bien plus tôt que prévu. Il n’aura alors pas eu le temps de surmonter la contradiction originelle entre sa philosophie et celle du club d’Abramovitch. La belle histoire laisserait un goût amer. On ne révolutionne pas le jeu des Blues en un claquement de doigts. Sans doute faut-il plus de temps au professeur pour enseigner à ses disciples londoniens les vertus du jeu haut et de la possession. Sous les ordres de l’Italien, Chelsea la pragmatique devait devenir romantique. La mission était noble, l’échec serait frustrant.

Alors, il ne resterait plus qu’une sensation d’inachevé. L’équipe a pourtant une très belle carte à jouer en Europa League. Les Blues affrontent le Dynamo Kiev le 7 mars prochain en 8ème de finale aller et le match est largement à leur portée. Remporter la C3 serait synonyme de joli trophée mais aussi de place qualificative pour la prochaine Ligue des Champions. Une belle aventure dont Sarri ne fera peut-être plus partie. La leçon pourrait bientôt se terminer. Le savant aura tenté de modifier l’ADN du club. Au risque de demeurer incompris.

Graham Hunt / Pro Sports Images Ltd / DPPI

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