[Interview] Dounia Mesli : «Le foot masculin ne veut pas faire progresser le foot féminin»

Pour la première fois de son histoire, la France va accueillir la Coupe du monde féminine de football. À moins de trois mois du coup d’envoi, nous avons discuté de la situation du foot féminin avec Dounia Mesli, ancienne joueuse et fondatrice du site spécialisé Cœurs de Footà l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes.

Peux-tu d’abord nous raconter un peu ton parcours ?

Je suis ancienne joueuse. Je m’y suis mise tardivement car mes parents ne voulaient pas que je m’inscrive dans un club. J’ai commencé à l’université, ils ont vu que je gagnais des titres, que j’étais heureuse. J’ai ensuite pu m’inscrire mais c’était trop tard. J’ai repris mes études après une expérience en D1 avec Hénin-Beaumont. J’ai adoré, mais vu comment elles galéraient alors qu’elles étaient là depuis des années, je ne suis pas restée (le club a été relégué en D2 en 2012 et 2014, puis en D3 en 2016, ndlr). J’ai ensuite lancé Cœurs de foot, en janvier 2015.

Comment le projet Cœurs de foot a-t-il émergé ?

Ça a été un déclic. Mon ancien patron me tannait pendant toute l’année 2014 pour que je lance un média consacré au foot féminin, notamment car j’avais fait un article sur Hénin-Beaumont lorsque j’y jouais encore. Et en janvier 2015, j’ai lu un papier sur un site spécialisé foot féminin, mais c’était tellement pourri… Ça ne racontait rien sur le jeu. Moi, j’aime être sur le terrain. Je ne suis pas là à donner les résultats. Il faut donner envie au lecteur. C’est une histoire qu’il faut raconter. «Bordeaux a eu l’ascendant, Rodez est redescendu…» La base du journalisme, c’est donner des vérités et raconter des histoires. Là, c’était biaisé, il n’y avait pas d’âme.

On entend dire depuis plusieurs années que le football féminin progresse, comment cela se traduit-il ?

Par l’investissement des joueuses. Elles ont compris le système. Elles essayent de se mettre un peu plus en avant même si elles sont très pudiques. C’est très dur de leur tirer les vers du nez, mais on sent qu’elles font des efforts et qu’il y a une prise de conscience. Après, il y a aussi les efforts faits autour d’elle. C’est bien beau de dire qu’elles n’ont pas le niveau, mais c’est aussi tout ce qu’il y a autour. Oui, Lyon progresse. Mais Rodez ne progresse pas par exemple. Ça dépend des cas, des joueuses. C’est ce qui est frustrant. Les joueuses de Rodez, elles mangent des cailloux. Tu ne choisis pas de jouer à Rodez ou à Lyon. C’est ce qui fait mal au foot féminin, parce que les joueuses de Rodez se battent. Elles travaillent puis elles vont à l’entraînement de 18h à 22h.

«La Coupe du monde, un tournant ? J’ai plutôt peur que ça s’essouffle ensuite…»

Quel est le principal axe de progression qu’on peut dégager aujourd’hui ?

Il y en a pleins, mais le plus concret est sûrement la communication et la médiatisation. La D1 doit avoir un site web dédié. (Elle insiste) Elle doit avoir un site web dédié comme la NWSL (National Women’s Soccer League, la D1 féminine aux États-Unis, ndlr). Là-bas, tu peux voir toutes les stats de toutes les joueuses. C’est extraordinaire ! Ils te racontent des histoires de joueuses à en pleurer. Tu prends du plaisir à lire. Ce que fait Canal+, c’est horrible à regarder. Donc il faut progresser sur la communication, les infrastructures, les média training des joueuses. C’est simple, il faut juste se donner les moyens.

C’est une question d’investissement à la fois moral et financier ?

Oui c’est cela, mais pourquoi ? Parce que le football masculin n’est pas attractif en France. La Ligue 1 n’est pas attractive. La dernière Ligue des champions qu’on a gagnée, c’est l’OM en 1993. Je n’ai pas vu ce match, mais si je vois que Marseille a gagné parce que Milan était mauvais, le titre est biaisé. Alors que les Lyonnaises s’arrachent chaque année pour gagner leurs trophées… Le football masculin n’est pas attractif et il ne veut pas faire progresser le foot féminin parce que la France et les États-Unis sont les deux pays les plus machos au monde, dans le football. Alors que ce sont les deux pays où le football féminin est largement au-dessus…

Pour la première fois en 2019, la France accueillera une grande compétition internationale. Cela peut être un tournant pour le foot féminin français ?

Il y a aussi eu la Coupe du monde militaire en Bretagne, en 2016, et le Mondial U20 l’an dernier. Mais pour en revenir à la question, je ne sais pas du tout. Il faut se mettre à la place des petites filles, car le tournant c’est pour elles, les licenciées. Canal+ va continuer à diffuser la D1 deux-trois ans, donc ça n’apportera rien. J’ai même plutôt peur que ça s’essouffle… Ça va faire un effet «soufflet». Ça va monter jusqu’au 8 juillet, puis qu’on perde ou qu’on gagne, je pense que ça va dégonfler. Il y aura du spectacle, c’est sûr après celle de 2015. Je pense qu’il y aura des spectateurs à tous les matches, la moitié des billets ayant déjà été vendus. Mais est-ce que ça sera un tournant ? Je n’en suis pas certaine.

« Pourquoi vous ne faites pas une Cam+1 avec Amel Majri ? Je peux t’assurer que tu en auras pour ton argent»

Est-ce que tu ressens un engouement particulier autour du foot féminin depuis quelques mois ?

Ah oui, mais ça vient de gens assez superficiels, qui sont là par intérêt. Je l’ai encore vu lors de France – Allemagne (le 28 février à Laval, 0-1 ndlr). Des journalistes qui… Moi ils me font rire, je les aime bien et je ne veux pas les tacler, mais ils me font rire. Ce sont des opportunistes. Il n’y avait aucune question. On était une dizaine de journalistes, tu vois mes questions et les leurs… Je leur pose des questions concrètes, c’est plus profond. Je vois ce qui n’allait pas et je leur en parle. Il faut les remettre en question ! Ce n’est pas «Qu’est-ce que vous avez pensé de l’ambiance, la seconde période était mieux». Dites-leur qu’elles étaient trop dispersées ! Ce n’est pas normal de jouer comme ça, elles étaient à 10 mètres les unes des autres. Il faut juste analyser, comprendre et suivre les joueuses. Je les suis en D1, mais ces journalistes ne les suivent pas.

Le foot féminin a longtemps été directement victime de sexisme. Cela persiste aujourd’hui ?

Oui, mais de moins en moins. Surtout depuis qu’il y a Cœurs de Foot. Ils voient qu’on rend le foot féminin attractif, on donne une bonne image. Il n’y a que du positif dans le foot féminin. Les gens qui font preuve de sexisme cherchent à se défouler, ou éprouvent de la jalousie. Ça me fait de la peine, mais je pense qu’ils ne sont pas empathiques.

Il y a le problème de la faible couverture médiatique, mais aussi une différence de traitement ?

Bien sûr. Dimanche soir, je me hâtais de regarder Canal+ et J+1 avec Eugénie Le Sommer. Elle parle deux secondes, puis ils te montrent un reportage sur un joueur de Nîmes qui a mis cinq buts dans la saison (Antonin Bobichon, ndlr), puis un autre avec leur Cam+1 où ils se concentrent sur un seul joueur (consacré à Gelson Martins de Monaco, ndlr). Ça m’a serré le cœur. Pourquoi vous n’avez pas fait cela avec une joueuse ? Pourquoi vous ne faites pas une Cam+1 avec Amel Majri ? Je peux t’assurer que tu en auras pour ton argent. Ils parlent de «grand public». C’est grave de dire ça ! Ça veut dire que le grand public ne s’intéresse pas à la technique et à la tactique dans le foot féminin ? Ou c’est parce que vous ne voulez pas montrer la vraie image du foot féminin, qui est tactique et technique ? Le foot féminin et masculin, c’est la même chose. Il n’y en a pas un à 1/10 et l’autre à 10/10. Il faut être juste.

Pour conclure et revenir sur le Mondial 2019, quelles sont les chances des Bleues ?

C’est difficile à dire pour l’instant, cela dépendra de la liste de Corinne Diacre. Toutes les joueuses n’ont pas le niveau international. C’est très difficile d’estimer quand on voit les Américaines, les Allemandes, les Anglaises qui sont magnifiques ou les Australiennes. Il y a plus de physique et de niveau. Mais je pense qu’on a vraiment une chance de la gagner. J’y crois vraiment car cette fois, on aura la volonté contrairement aux années précédentes. On a remis en question les joueuses. C’est important de ne pas être complaisant. Il va falloir se tuer pour l’emporter cette année. J’ai seulement peur qu’une cadre soit absente et que ça nous fasse défaut. Mais je vois bien une finale France – Australie !

Merci à Dounia Mesli pour sa disponibilité.

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