L’homophobie n’a jamais été autant dénoncée dans le milieu du sport, à l’image du récent magazine de L’Équipe, du documentaire de Yoann Lemaire diffusé sur France 2 ce soir, ou du plan d’action dévoilé par la LFP ce lundi. Nous avons échangé avec le proche d’une ancienne vedette de la Ligue 1, international de son pays et homosexuel. Le choix de cet homme masqué est une première en France pour un footballeur de son ampleur et toujours en activité à l’étranger. Terrorisé par les conséquences d’un coming-out, il n’envisage aucunement de révéler son identité. Au point de sortir avec des femmes pour brouiller les pistes… Témoignage saisissant.
«Oui, c’est encore un tabou.» Noël Le Graët ne s’y trompait pas en mars dernier, alors interrogé sur l’homosexualité dans le monde du foot par le Figaro. Plus regrettable que le mot «tabou», il y a le mot «encore». C’est en 2011 qu’Alexandre Birraux, jeune journaliste pour le site indépendant Sharkfoot, enquête sur le sujet. Ce supporter de l’OM met son réseau à profit afin de rencontrer quelques joueurs professionnels et les interviewer sur divers thèmes. À chaque fois, il y glisse une petite question sur l’homophobie. Le hasard de la vie fait qu’Alexandre se lie d’amitié avec l’un d’entre eux, que nous appellerons Lucas. Sauf qu’un an et demi plus tard, tout bascule lors d’une soirée anodine.
«Si ça se sait, les sponsors vont me lâcher. Tous les avantages que j’aime de mon métier, je vais les perdre»
«Il m’appelle en pleurs, me demande de venir le voir parce qu’il n’en peut plus», raconte Alexandre. À cette époque, Lucas, joueur majeur d’un club top 3 de Ligue 1, explose «au-delà de son club et de son pays». Soudainement, Alexandre devient le confident d’un homme qui n’avait personne d’autre à qui en parler. «Mais quand je dis personne, c’est personne, insiste son ami. Pour qu’il se confie à moi qu’il connaît depuis deux ans, c’est grave…» Alexandre décrit une «psychose générale», qui touche les trois joueurs pros homosexuels qu’il a rencontrés : «Ils se disaient que si ça se sait, leur carrière est terminée. “Les sponsors vont me lâcher, je vais me faire insulter de partout. Tous les avantages que j’aime de mon métier, je vais les perdre.”» L’un des deux autres, tout juste retraité, a navigué entre la L1 et la L2. Le dernier est un international espoir.
Le terme de “psychose” désigne une maladie mentale qui peut notamment amener à une perte de contact avec la réalité. Si l’on ne se permettrait pas d’émettre un diagnostic, le symptôme est flagrant. «Là où j’ai été choqué, ce sont tous les stratagèmes et les mensonges que ça implique, constate Alexandre. Ce qui est tristement drôle, c’est que la première chose que j’ai dite à cet ami, c’est que je l’ai déjà vu faire péter le champagne en boîte sur des femmes. Je l’ai déjà vu aux repas avec des coéquipiers où il amenait sa femme. En fait, c’était une double vie complète.» Il demandait à une femme de jouer sa copine devant les gens ? «Ah non, même pas ! Il mentait à des femmes pour se sauver la mise. Il profitait d’une femme qui était peut-être réellement amoureuse de lui.»
«La violence, c’est de savoir qu’un coéquipier pourrait te vouloir du mal»
À l’époque, Lucas reconnaît «que c’était stupide de faire ça, mais ça évitait les questions». «La parano va très loin, développe Alexandre. Au point de refuser une aventure amoureuse de peur de se faire piéger, se demander si la personne ne serait pas envoyée par un autre. Tu te dis que rien n’est vrai.» Lucas a-t-il été victime à proprement parler d’homophobie ? «On m’a surement déjà traité de “pédé”, mais pas pour les mêmes raisons que celles du véritable sens du mot, expliquait-il à Alexandre en 2011. Lors de scènes classiques, quotidiennes, des jeux à l’entraînement. Pour se motiver, il n’est pas rare qu’on se dise : “T’es pas une tafiole, alors fais-le” ou autres expressions du genre.» Cela ne posait de problèmes à personne ? «Non. Même à moi, cela me paraît normal maintenant alors que ça ne devrait pas.»
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La question des chants insultants en tribunes a récemment émergé. «Des trois exemples que j’ai, ça n’a jamais été ça qui les blessait, souligne Alexandre. Ce qui les blessait beaucoup plus, c’était la violence au quotidien, dans le vestiaire. C’était l’homophobie de certains coéquipiers, qui est malheureusement souvent liée à la religion.» En janvier 2014, le défenseur du PSG Alex avait créé la polémique en maniant l’ironie dans un documentaire de Canal +, intitulé “Jésus Football Club” : «Dieu aurait créé non pas Adam et Ève, mais Adam et Yves ?» Son compatriote, Marcos Ceará, passé aussi par Paris (2007-2012) et ayant même été capitaine, embrayait : «Je ne suis pas vraiment pour l’homosexualité. Cela sort un petit peu du projet de Dieu.»
Ces exemples d’homophobie décomplexée sont rarissimes. Le mal est profond, enraciné dans les mœurs, et plus particulièrement dans ceux du sport masculin et des centres de formation. «C’est ça, la violence, pointe Alexandre. C’est de savoir que quelqu’un qui joue avec toi pourrait être violent envers toi et te vouloir du mal. C’est le président de club qui est au courant de certains agissements et qui ne réagit pas.»
La lettre à la FFF restée sans réponse
Pire. Lucas a dénoncé son mal-être auprès de la Fédération Française de Football (FFF) en 2010. «J’ai écrit une lettre en me présentant comme un joueur amateur subissant des attaques homophobes pour voir comment elle allait réagir. Je n’ai reçu aucune réponse.» L’absence de soutien dans le milieu du foot l’a meurtri. Dans ce club français qui l’a révélé au grand public, il «réalisait des performances assez incroyables, détaille Alexandre. Et petit à petit, elles ont diminué. De ce fait, il a commencé à être un peu isolé dans le vestiaire, à ne plus trop respecter le cadre, il arrivait à l’entraînement détruit, avec des cernes. Et en fait, ce qui se passait, c’est qu’il ne dormait plus la nuit.»
Au fur et à mesure, Lucas se referme sur lui-même, rongé par la frustration de ne pas vivre pleinement sa vie, mais aussi par la peur de perdre la réalité qu’il chérit tant. «En vieillissant, il a commencé à de moins en moins s’apprécier, regrette Alexandre. “Non mais attend, je me cache tout le temps, je suis qu’une merde.” Et le club lui a reproché beaucoup de choses. Mais pas une fois, on est allé le voir pour lui demander s’il avait un problème, s’ils pouvaient l’aider, l’accompagner. Il a mal vécu sa fin de parcours au club car il ne dormait plus la nuit. Ça a des répercussions directes. Et tout ça ne vient pas des tribunes. C’est le fait qu’au club, il n’y avait personne à qui en parler.»
«Est-ce que je suis plus noir que homo ?»
Le foot français n’a-t-il donc jamais considéré l’homophobie ? La Ligue de Football Professionnel (LFP) a dévoilé un plan d’action sans précédent qui concernera joueurs, entraîneurs et supporters. Déjà, lors des saisons 2014-15 et 2015-16, la LFP avait distribué aux joueurs des lacets arc-en-ciel, dont le drapeau est le symbole de la communauté LGBT. Mais ce week-end était alors dédié à la “lutte contre toutes les formes de discrimination”. «C‘est intéressant de voir comment cette opération de communication a dévié du sujet principal, rappelle Alexandre, bien informé sur la question. Puisqu’à la base, c’était contre l’homophobie comme en Angleterre par exemple. Sauf qu’ils ont eu des pressions, que certains joueurs ont refusé de porter ces lacets s’ils s’appelaient comme ça, et c’est devenu “contre les discriminations”. L’opération de communication a changé de nom.»
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Un pas en arrière des instances qui appartient au passé. Toutefois, Alexandre, de par son vécu sur le sujet, s’accorde sur le fond et rejette la différenciation des diversités. «Il faut traiter ça au complet, abonde-t-il. Il y en a un des trois avec qui j’ai beaucoup rigolé (l’international espoir, ndlr), car il est noir. Il m’a dit en plaisantant : “Moi, je les accumule.” Et ça le fait péter un câble de voir qu’on sépare ces choses à chaque fois. Il me dit : “Moi, je suis dans les deux. Donc je me situe où ? Je dois me placer dans une catégorie ? Est-ce que je suis plus noir que homo ?”» Exemple : l’alternance entre l’épisode sur les chants homophobes lors de PSG-OM (17 mars) et les cris racistes à l’encontre de Prince Gouano (12 avril).
De plus, Alexandre relève la difficulté à s’assumer pour un jeune joueur : «En centre de formation, on a des jeunes gars qu’on a séparé de leurs amis et leur famille. On les a mis uniquement entre des garçons à la période où tu es censé découvrir la vie. Si tu es homosexuel, tu es complètement en déprime, abandonné.»
«Il n’a jamais fait son coming-out et n’a pas pu s’accepter au sein de l’équipe»
En France, Olivier Rouyer reste l’unique footballeur à avoir fait son coming-out. Retraité depuis 1990, il ne l’a publiquement évoqué qu’en… 2008. Un silence incassable, et pas seulement parmi nos frontières. «Je ne peux pas te confirmer la véracité de ce que je vais te dire, mais deux personnes m’avaient assuré qu’avant l’Euro 2016, il était prévu que, dans la presse anglaise, trois joueurs fassent leur coming-out en même temps, souffle Alexandre. Ça n’a jamais eu lieu. Quand je suis retourné voir les deux personnes qui m’en ont parlé, je leur ai dit que c’était bidon. Et ils m’ont expliqué que non, que les joueurs ont flippé, que les sponsors ont mis la pression. Il y a eu tout un système de pression qui s’est mis autour d’eux et ça ne s’est pas fait. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas, donc il faut prendre de grosses pincettes sur cette histoire. Mais il y a toujours des éléments comme ça qui sortent de temps en temps. On se dit : “Ah tiens, ça va arriver”. Et ça n’arrive jamais.»
L’homophobie, Alexandre y a aussi été confronté en tant qu’entraîneur de foot universitaire. À chaque début de saison, il effectue un discours fort sur les discriminations en tous genres et mentionne textuellement l’homophobie. «Et un jour, il y a un joueur qui est venu m’en parler, confesse-t-il. Il n’a jamais fait son coming-out et n’a pas pu s’accepter au sein de l’équipe, ce qui est triste car il a joué un rôle avec ses coéquipiers. Mais au moins, il a eu un environnement où il n’était pas en danger. Il savait que j’étais attentif à ça, et que si ça dérapait un jour, j’interviendrais avec sévérité.»
"Que pensez-vous des joueurs de football homosexuels ?" C'est la question que nous avons posée à des jeunes de 8 à 14 ans dans le cadre de notre enquête sur le tabou de l'homosexualité dans le football français @SOShomophobie @stop_homophobie #homophobie #enquete #foot pic.twitter.com/CLWtQsRict
— France•tv sport (@francetvsport) April 6, 2019
«J’aime trop le football pour un jour m’en séparer à cause de l’homophobie»
Le garçon n’a jamais été violenté par ses coéquipiers. D’abord car le problème est plus vicieux. Il se matérialise de façon à peine perceptible au quotidien, dans le mensonge global sur sa propre personne. Quant à la partie visible, elle est venu de l’adversaire lors d’un match. «Il me dit dans le creux de l’oreille à la mi-temps : “Alex, il y a beaucoup d’insultes homophobes.” Je lui ai dit : “Bah va le dire à l’arbitre.” Sur un terrain, tu n’as pas le droit d’insulter un adversaire. Si c’est une insulte homophobe, encore plus. Il y est allé avant le début de la seconde période. Il lui explique les insultes, du classique genre “sale pédé”. L’arbitre lui répond : “Non mais ça, c’est pas grave.”» Une banalisation exaspérante qui contribue au silence des victimes.
Seule l’homophobie concernant les joueurs (et donc pas celles qui peut toucher les supporters) est évoquée ici. Pourtant, tout est lié. Marc, porte-parole de l’Association Nationale des Supporters (ANS), travaille sur le dialogue entre fans et instances. Et épingle l’hypocrisie de ces dernières : «On (l’ANS, ndlr) essaye de faire bouger les choses avec les différents acteurs, en étant peut-être moins dans la lumière et les déclarations médiatiques mais plus dans l’action de terrain et l’efficacité. […] Au final, on (les instances, ndlr) est dans des histoires de réactions, de polémiques et on ne s’attaque pas du tout au fond du problème, mais on fait des déclarations de bonnes intentions. Ça ne coute pas cher et ça permet d’être bien vu…» «On parle de ce qui est grand public, ce qui plaît, ce qui fait le buzz, déplore Alexandre Birraux. Est-ce qu’on aura le courage de faire ce travail (dans le football) amateur avant le travail grand public ?»
Le combat contre l’homophobie ne date pas d’hier. «Cela commence à se faire, mais c’est long», dénotait Lucas en 2011 avec une certaine amertume. Malgré tout, le bonheur et l’optimisme triomphaient déjà il y a 8 ans : «J’aime trop le football pour un jour m’en séparer à cause de l’homophobie. Heureusement pour moi, le plaisir de jouer et les amis que j’ai dans le milieu prennent le dessus sur les pensées de quelques cons. Et ça, c’est un vrai motif d’espoir.»