Avec son départ s’éteint l’âge des gladiateurs : après 616 apparitions sous les couleurs des giallorossi, Daniele De Rossi retire, malgré lui, la tunique qu’il aura fièrement défendue pendant dix-huit saisons. Délaissé par la direction, le milieu de terrain de trente-cinq ans se voit contraint de prendre la suite de son illustre coéquipier, Francesco Totti, autre légende du club, dont le départ, il y a deux ans, avait déjà suscité une vague d’émotion sans précédent à Rome. Si l’heure est de nouveau à l’amertume pour les tifosi, elle s’accompagne d’une vive colère envers les dirigeants du club de la capitale, responsables de la sortie précipitée de leur idole.
DE ROSSI, C’EST FINI
Deux ans après le départ douloureux du demi-dieu Francesco Totti, l’AS Roma a donc pris la décision, mardi 14 mai dernier, de se séparer d’un autre colosse à l’aura incomparable en Italie. Sur son site officiel, le club a annoncé de manière inattendue le non-renouvellement du contrat de De Rossi, contre la volonté de son milieu de terrain phare : « Je veux jouer et ils ne veulent pas » a-t-il confié lors d’une conférence de presse post-annonce au cours de laquelle, les larmes aux yeux, il n’a rien caché. « Ils me l’ont dit officiellement hier, mais j’ai presque 36 ans et je ne suis pas stupide, je le savais bien : s’ils ne vous appellent pas pendant dix mois, c’est clair. » : devant tous les joueurs du groupe romain, il a ainsi affiché clairement son désaccord avec les dirigeants, position d’ailleurs partagée par l’entraîneur Claudio Ranieri, également sur le départ. « De Rossi aide le groupe, je l’aurais gardé », a-t-il déclaré en conférence de presse.
De Rossi a confié vouloir tenter une expérience « aux États-Unis », et sera donc séparé au moins pour un temps de Rome, d’Ostie et de sa mer, qui l’a « sevré, accompagné en tant qu’adolescent et accueilli à l’âge adulte », comme il l’évoque dans sa lettre d’adieu. Un divorce incompréhensible dans la forme, au vu du statut quasi-légendaire de « DDR » . Vingt ans au club, plus de six cent matches disputés, champion du monde avec la Nazionale, Daniele De Rossi incarne l’esprit romanista par excellence, cet esprit qui a renversé le Barça en C1 la saison dernière, un exploit orchestré par De Rossi lui-même. Difficile alors pour les supporters, après le départ d’« Il Capitano », d’imaginer un futur sans leur dernier légionnaire, icône d’un peuple giallorosso qui n’a pas vu l’ombre d’un trophée depuis 2008.
SCISSION ET PROTESTATIONS
Poignardés une seconde fois avec le départ de « DDR », les supporters de la Roma ont fait entendre leur exaspération, après une saison très moyenne. Les cibles ? Le président James Pallotta et son conseiller Franco Baldini, les principaux décideurs romains. Des banderoles « Pallotta dégage » ont fleuri partout dans le monde, à commencer par Rome et le siège du club, devant lequel les supporters ont réclamé la démission du président américain de la Roma. Baldini, quant à lui, a vu apparaître devant son domicile à Londres une charmante banderole « Rome te méprise ».
La fracture entre les tifosi et la direction du club est profonde et réelle : l’on parle même du côté des supporters de « déromanisation » du club depuis l’arrivée du président américain. Le traitement réservé à de nombreux joueurs appréciés des supporters depuis quelques années (Nainggolan notamment, parti à l’Inter à l’été 2018, avait vivement critiqué la direction de la Roma) est difficile à accepter pour le fier Romain, d’autant plus que les titres se font toujours attendre. Les investisseurs américains, le président peu soucieux des illustres noms de la maison, l’éternel projet du Stadio Della Roma, la saison ratée (pas de Ligue des Champions à l’Olimpico la saison prochaine) sont autant de facteurs qui peuvent expliquer ce ras-le-bol général chez les tifosi, sentiment qui ne peut que croître si l’armoire à trophées de la Louve tarde encore à se remplir.
« ARRIVEDERCI »
Les Romains ont eu finalement l’occasion de saluer « Il Capitan Futuro » à l’occasion du dernier match de la saison, contre Parme, dimanche 26 mai. Avant, pendant et après la rencontre, les quelques soixante mille tifosi ont célébré leur ultime gladiateur, dont la place au panthéon du football italien ne fait l’objet d’aucun débat. Pleurs, chants, sourires, nostalgie, tout y était pour une soirée d’adieu mémorable, « une nuit de larmes et de prières », comme le titrait en Une Il Romanista, quotidien dédié au club. A l’annonce par le speaker, à la 81ème minute, de la sortie du terrain du fils de Rome, c’est tout le stade qui a rugi dans une clameur qui rappelle à quel point la Louve chérit ses petits, mais qui souligne également le fossé entre supporters et dirigeants. L’affection montrée à De Rossi contraste clairement avec l’inexistante relation entre le joueur et le club, à la tête duquel le très controversé Pallotta, qui ne s’est d’ailleurs pas déplacé pour assister à la dernière révérence de « DDR ». Au-delà des tifosi giallorossi, c’est aussi tout le monde du Calcio qui a honoré l’un de ses plus farouches guerriers, jusqu’au club rival de la Lazio, qui, à travers son groupe de supporters de la Curva Nord, a salué, un « ennemi fier et irréductible sur le terrain ».
En rendant un tel hommage au joueur de trente-cinq ans, dont les portraits colossaux ont garni les tribunes du Stadio Olimpico, les tifosi signent la fin d’une ère, la fin d’une génération de gladiateurs au cœur pourpre et or qui a transporté tout un peuple pendant plus de vingt ans. Il est désormais nécessaire de reconstruire l’édifice romain, tâche ô combien difficile sans ses deux plus éminents piliers.
Vénéré à Rome, respecté en Italie, De Rossi quitte amèrement son club de toujours, pour lequel il aura tout donné pendant près de vingt ans. Si la séparation est si douloureuse pour le tifoso, c’est bien parce que De Rossi incarne, plus encore que le monumental Totti, la fougue, la ferveur du Romain acharné et exalté. Une seule et même flamme romanista unit la Curva Sud et son icône, qui s’exprime ainsi aux supporters dans son émouvante lettre d’adieu : « L’amour que vous m’avez donné m’a permis d’être sur le terrain un morceau de vous. Jamais personne ne vous aimera plus que moi ». Que le supporter romain se rassure donc : pur giallorosso, épris d’une ville où il a toujours vécu, Daniele De Rossi reviendra dans le giron d’une Louve qui l’a sans cesse choyé, et à qui, dix-huit saisons plus tard, il ne peut que dire « au revoir ».
@Aur_alr
Photo crédits : Silvia Lore / NurPhoto