Bakery Jatta et l’identité doutée

En Avril 2017, Hambourg affronte le Werder Bremen en Bundesliga. Ce jour-là, Bakery Jatta fait ses premiers pas dans l’élite du football allemand et européen, comme beaucoup d’autres jeunes joueurs. Son histoire n’a cependant rien d’ordinaire. Le jeune homme et son statut de réfugié font de lui un cas unique puisqu’il est le tout premier dans son cas. L’histoire est belle mais elle va aussi prendre une tournure désagréable deux ans plus tard. 

L’histoire de B. Jatta a commencé en Gambie où il naît en 1998. Situé à l’ouest de l’Afrique, presque enclavé dans le Sénégal, le pays n’est pas des plus stables avec des crises politiques qui se succèdent. Plutôt que de vivre dans cette situation, beaucoup partent dont l’actuel joueur du HSV. En 2015, il s’en va vers l’Europe, et traversera notamment l’Italie avant d’arriver à Brême à 17 ans, seul, sans famille. À ce moment-là, le rectangle vert et le cuir sont loin des pensées du jeune refugié qui veut « juste une meilleure vie ». Jamais il n’avait pensé devenir joueur professionnel. Sa pratique régulière au sein du centre de Lothar Kannenberg dont l’objectif est de faciliter l’intégration des réfugiés n’y change rien. Ni le fait de jouer avec le Bremer SV en cinquième division allemande. C’est simple, entre l’Oberliga et la Bundesliga, il y a un monde d’écart. 

Le Hamburger SV a pourtant d’autres idées en tête. Le jeune homme est repéré par des scouts, et intègre rapidement les rangs du club en passant par les U21 avec qui il inscrit 14 buts en 15 matchs. Après des premiers pas plus que corrects et un contrat de trois ans signé plus tard, l’heure de débuter en Bundesliga a sonné pour celui qui joue en tant qu’ailier droit. Clin d’œil du destin, son premier match en équipe A, il le joue face au Werder Bremen. La boucle est bouclée et la carrière de Bakery Jatta peut débuter. Jusqu’à ce mois d’aout, il faisait son bonhomme de chemin, toujours avec le HSV en 2.Bundesliga. Mais tout a vite changé.

Sport Bild : l’art et la manière de mettre le feu aux poudres 

Au lendemain de la deuxième journée de 2. Bundesliga, 6 aout, le quotidien (similaire au tabloïd The Sun), fait sa Une sur le joueur du HSV. Mais ce n’est pas pour parler des performances du joueur. En effet, le tabloïd clame que Bakery Jatta n’est pas celui qu’il prétend être, il remet en cause son identité et possède des « preuves » qu’il est en réalité né en 1996 et qu’il se nomme Bakary Daffeh. Il aurait changé d’identité afin de se faire passer pour un mineur et donc faciliter le processus de demandeur d’asile.

Dans la foulée, l’office fédéral migratoire d’Hambourg explique qu’aucune demande d’asile n’a été effectuée, mettant déjà du plomb dans l’aile aux accusations. De son côté, le HSV et sa direction sont choqués mais ils défendent leur joueur. Tout comme les coéquipiers de Jatta et les supporters. En Coupe d’Allemagne, face à Chemnitz, les supporters déploient une banderole simple mais puissante : « No matter what we got your back ». Le FC Sankt-Pauli, ennemi du HSV, vient aussi prendre les armes aux côtés de son adversaire et monte au créneau pour défendre le joueur gambien face aux accusations. Tout comme Ösnabruck et l’Union Berlin. Le message le plus fort vient cependant du capitaine du club, Aaron Hunt. Sur Instagram il prend le temps de bien montrer sa position face à la situation et défend son coéquipier. 

Le HSV et son joueur ne sont pas seuls face au racisme, fort heureusement. Les jours passent et la tension monte. Sans grande surprise, l’AfD s’engouffre dans la faille et utilise B. Jatta pour justifier sa rhétorique contre les migrants et dire que lui comme les autres ne font que mentir. 

Gagner au tribunal quand on ne peut pas gagner sur un terrain ? 

Dans un même temps, trois clubs prennent la décision de contester leur défaite face à Hambourg auprès de la DFL. Le FC Nuremberg (défaite 4-0), le VfL Bochum (défaite 1-0) et le Karlsruher SC (défaite 4-2) s’empressent de saisir les autorités afin d’espérer montrer que le Bakery Jatta n’étant pas celui qu’il est, le HSV n’aurait pas dû le faire jouer. Les trois formations ont alors l’espoir de gagner sur tapis vert, devant les autorités, des rencontres qu’ils n’ont pas été capables de gagner à l’instant T. Hanovre, qui s’est également incliné face à Hambourg, met du temps à s’exprimer mais prend la décision de ne pas poursuivre le HSV. 

La plainte est donc déposée mais la DFL dit bien que cela n’empêche pas de faire jouer Jatta tant que l’enquête n’est pas terminée. Au-delà de ça, le HSV connaît la vérité : le passeport du joueur a été validé par l’office de l’immigration de Brême, le joueur a la licence de la DFL et cette dernière a bien reconnu Bakery Jatta comme étant éligible pour jouer. Le 30 aout, pour appuyer le club, l’avocat du joueur Thomas Bliwier soumet à Hambourg-Mitte un certificat du ministère des affaires étrangères gambien ainsi qu’un acte de naissance prouvant que le jeune homme est bien né le 6 juin 1998. En somme, cela ne fait que prouver ce qui est dit depuis le début. 

Et rapidement, le club du nord de l’Allemagne obtient la vérité. Officiellement, le 2 septembre, Hambourg-Mitte abandonne l’enquête car il n’existe aucune véritable preuve que Bakery Jatta a menti si ce n’est les piteuses accusations du tabloïd. Bochum et Karlsruhe retirent leur plainte auprès de la DFL, en sachant pourtant dès le premier jour que ça n’allait jamais aboutir. Seul Nuremberg continue avant de laisser tomber le lendemain. La DFL tranche rapidement et classe l’affaire puisque Bakery Jatta n’a pas menti. L’affaire prend fin mais l’histoire restera et le joueur du HSV la portera avec lui. Les dégâts ont été fait. Pour en rajouter une couche, le rédacteur en chef de Sport Bild, Matthias Brügelmann refuse de s’excuser et d’avoir que sa Une n’était rien de plus qu’un mensonge. 

Mais que tirer de cette histoire ? Bakery Jatta a été injustement accusé, cible facile du fait de son passé. Il n’est rien de plus que la victime du racisme et du manque de tolérance des autres face aux migrants. Le jeune homme n’a jamais rien demandé, il s’est intégré, comme beaucoup d’autres mais malheureusement cela n’est pas suffisant. Reste qu’à ce jour, il est le grand gagnant de ce scandale puisque son club a pu facilement démontrer la vérité. Face au manque de décence, il sera resté exemplaire, à l’inverse de ceux qui l’ont accusé.

Crédit photo : Cathrin Muller / Mis / Icon Sport

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Parle d'Allemagne et de Bundesliga, et c'est à peu près tout.