La conséquence de la hausse des droits TV pour la Ligue 1 française

L’évolution des droits télévisuels du championnat de France arrive enfin. À partir de la saison 2020-2021, soit l’été prochain, une forte hausse des revenus viendra remplir les caisses des équipes de Ligue 1 mais aussi de Ligue 2. Quelles conséquences cela aura-t-il sur les clubs français?

Que n’a-t-on entendu sur les finances des bons vieux clubs français. Que de larmes ont été versées par les clubs de l’hexagone et de l’île de beauté lorsqu’il s’agissait de déplorer des charges fiscales “indécentes”, un manque de compétitivité “insurmontable” et une concurrence “déloyale, avec le championnat anglais” mais aussi “avec le Paris Saint Germain”.

Le 29 mai 2018, l’appel d’offres pour les droits télévisuels de la Ligue 1 Conforama (future Ligue 1 Uber Eats) sur le territoire français uniquement (précision importante, nous y reviendrons) a vu Médiapro, groupe espagnol, rafler la mise et ne laisser que des miettes à Bein Sports et, plus étonnant, à l’opérateur Free qui diffusera en exclusivité des extraits de matchs en quasi-direct pour le support numérique. Exit, donc, Canal+ qui semble, selon les dires du président de son directoire, s’attacher à négocier avec Médiapro pour obtenir des accords de distribution.

Une évidente progression

Les droits télévisuels de la Ligue 1 ont longtemps souffert d’un manque de compétitivité. Pour preuve, en dépit de la bulle qui s’est progressivement formée autour de ses voisins, la France n’a vu ses droits télévisuels passer, en 12 ans (2008-2020), que de 668 à 722,5 millions avec même, pour la période de 2012 à 2016, un recul à 607 millions. Preuve s’il en était que le championnat de France n’attirait, définitivement, pas les foules.

Le président de la république française d’alors, François Hollande, a même suscité la colère et l’indignation de la Ligue lorsqu’il avoua, dans l’ouvrage “Un président ne devrait pas dire ça”, qu’il était personnellement intervenu pour dissuader BeInSports de rafler les droits TV de la Ligue 1 car Canal+ n’aurait pu survivre à une forte surenchère. Une entrave au droit de la concurrence, somme toute, justifiée selon lui par l’intérêt d’une entreprise française au détriment des clubs qui, eux aussi, sont des entreprises, bien qu’au chiffre d’affaires de moindre importance.

Ainsi, la hausse de ces droits à hauteur d’1,153 milliards d’euros est une évidente bonne nouvelle. Elle est le fruit d’un pari, celui de Didier Quillot, qui a décidé de remettre en jeu les différents lots pour la période 2020-2024 relativement tôt (2018).

À titre de comparaison, en 2019, la Ligue 1 était le 5ème championnat en termes de revenus TV derrière la Premier League (2,3 milliards), la Bundesliga (1,159), la Série A (0,973) et la Liga (0,883). En 2020, c’est toujours la Premier League qui domine (2,3) devant la Bundesliga (1,159) mais la France passe en troisième position (1,153) devant notamment la Liga et ses nouveaux droits (1,140) et la Serie A (0,973).

Des effets économiques appréciables…

Jean-Michel Aulas, symbole du président bâtisseur parti de rien et ayant abouti à un grand club français, ne manque pas d’être enthousiasmé par cette hausse. “On va pouvoir se renforcer, se doter d’infrastructures pour ceux qui ne l’ont pas fait, prendre peut-être un peu plus de risques sur la partie joueurs et sur la partie centre de formation” explique-t-il à nos confrères de ledauphiné.com.

Lorsqu’il fait mention d’infrastructures, le président lyonnais renvoie à des réalités du football qui dépassent le carré vert et qui, pourtant, sont essentielles à la réussite économique et sportive d’un club. Il s’agit de la présence d’un centre de formation performant, d’un centre sportif de l’équipe première moderne et opérationnel, d’un éventuel centre médical de qualité, de boutiques officielles à la taille et au nombre conséquents mais aussi au stade.
La propriété des stades est l’un des grands facteurs explicatifs du manque de compétitivité des clubs français. Seul l’Olympique Lyonnais est, en Ligue 1 Conforama, propriétaire de son stade (après moults souffrances et rebondissements dans ce dossier). Le Sénat français, en 2017, s’était même emparé de ce dossier pour proposer différentes mesures destinées à faciliter l’acquisition, par les clubs, de leurs écrins sportifs.

L’enjeu s’avère complexe. Dans certains cas, ce sont des critères politiques qui justifient le refus de vente du stade, comme à Marseille où les municipales seront, à n’en pas douter, suivies de très près par Franck McCourt et ses ambitions immobilières. Si la vente du Vélodrome au seul américain est à exclure, voir l’OM en devenir propriétaire en échange de promesses d’entretien, de non-destruction etc… n’est pas un scénario impossible.

Dans d’autres cas, la rénovation liée à l’organisation de l’Euro 2016 rend la situation complexe. Marseille, de nouveau, est en tête d’affiche avec un PPP (partenariat public-privé) qui risque de sur-facturer l’achat du stade. À Saint-Étienne, la métropole n’a pas manqué de réclamer un montant conséquent pour Geoffroy-Guichard (150 millions, contre une estimation à 50 de la part du club) qui a, semble-t-il, découragé les propriétaires du club. Eux aussi désirent attendre les municipales du printemps 2020 pour renégocier ce dossier.

À Bordeaux, le scénario marseillais se répète et en pire puisque le club n’est même pas gestionnaire exclusif de son stade. À Lille, le président Lopez avait parlé d’un achat de Pierre-Mauroy à long-terme. Si les paris de Luis Campos continuent à être payants, les qualifications en Ligue des Champions à s’enchaîner et les ventes à des montants faramineux, il n’est pas forcément impossible d’envisager un achat du stade par le LOSC. À Nice, l’arrivée d’un nouvel investisseur pourrait, là aussi, signifier acquisition de l’enceinte sportive. Du côté du PSG, de Rennes, de Nantes ou de Toulouse, en revanche, l’incertitude et le silence demeurent, surtout après l’abandon du nouveau stade nantais dont le club n’aurait, de toute façon, pas été propriétaire.

… mais à l’impact à nuancer

Toutes ces nouvelles, bien que positives, doivent cependant être nuancées. Dans le championnat de France, la répartition des revenus est très inégale. En Angleterre, le ratio entre le club percevant le plus de recettes TV et le club qui en perçoit le moins est d’1,6 comme le rappelle cet excellent article en 4 parties de maxifoot. En France, c’est de l’ordre de 3,6 pour des revenus qui sont bien plus faibles.

Car un facteur semble là aussi intervenir : la valeur des droits de diffusion de la Ligue 1 à l’étranger reste à un niveau misérable. Le contrat, signé avec BeInSports, s’étend jusqu’en 2024 et ne s’élève qu’à 80 millions d’euros par an. À titre d’exemple, c’est plus de 10 fois moins que la Premier League (1,3 milliard d’euros) ou plus de 8 fois moins que la Liga (650 millions d’euros).

C’est que la Ligue 1 Conforama souffre d’une image de championnat finalement assez mineur, où seul le PSG fait figure de dominant et où les stars sont peu nombreuses. En Chine, immense marché que tous convoitent (l’organisation du Trophée des Champions sur place en atteste), seuls Neymar et Mbappé sont connus.

Avec le risque de départ de l’un voire des deux d’ici à la prochaine négociation (le contrat expirant 2024, soit une éternité, il est probable que celui qui s’étendra de 2024 à 2030 soit négocié aux alentours de 2022), il n’est pas dit que la progression se fasse ressentir sur ces droits aussi. Pire : il n’est pas impossible que les droits TV sur le sol français reculent eux-aussi, surtout face à la rumeur persistante d’un retrait des qataris du Paris Saint-Germain après l’organisation de la Coupe du Monde 2022.

Le terrain, seul moteur de vérité

Autre facteur qui demeure la base de toute évolution lorsqu’il s’agit de parler de football, le volet sportif. En Liga, avant 2015, le ratio entre club le mieux payé et club qui perçoit le moins était de l’ordre de 11,5, soit une rémunération extrêmement inégal. En Serie A, en Bundesliga, les revenus télévisuels étaient, là aussi, sans commune mesure avec les revenus du championnat anglais.

Pourtant, avec différentes armes et stratégies, tous ont fait mieux que rivaliser avec la Premier League. C’est par l’audace de leur recrutement, leur philosophie de jeu, leur projet de développement que tous ces clubs ont pris une avance faramineuse sur des clubs français au mieux irréguliers sur la scène européenne, au pire inexistants (à l’exception près du Paris Saint-Germain qui bénéficie, fallait-il le rappeler, du financement d’un État et ne peut donc être comparé aux autres clubs français).

L’Atlético Madrid ou le Borussia Dortmund se sont cassés les dents face à l’OM il y a 10 ans pour qu’aujourd’hui, l’écart entre eux et le club phocéen soit absolument abyssal.
Séville ou Mönchengladbach ont acquis une expérience qu’aucun club français n’a, exception faite de l’OL (fortement secoué cette année) ou de Monaco (au bord de la Ligue 2 l’an dernier et qui a du compter sur un financement massif pour relever la tête).

Toucher 10 ou 35 millions de droits TV ne va pas faire évoluer le corporatisme français d’un Toulouse qui n’a, depuis son retour en Ligue 1, jamais eu pour seule ambition que de se maintenir, de faire quelques ventes par-ci, par-là, et de ne pas faire trop mauvaise figure. Le remplacement d’Alain Casanova par un Antoine Kombouaré qui avoue se foutre du football et ne même pas connaître le calendrier de son équipe lors de sa conférence de signature (!) en est un signe.

En revanche, ces revenus doivent être la chance d’un nouveau départ sportif pour les clubs français. Il doit leur permettre de retenir leurs joueurs plus longtemps, mais aussi de prendre plus de risques sur le marché des transferts, d’investir de nouveaux championnats avec lesquels l’écart continuera de se creuser (Pays de l’est, Amérique du sud, Maghreb, Afrique subsaharienne, Extrême orient). Il doit leur permettre de disposer de plus belles pelouses, de stades plus remplis, d’une offre télévisuelle de meilleure qualité. Didier Quillot ayant déjà réalisé de nombreuses prouesses en la matière et Médiapro étant réputé pour la qualité de son travail, la progression doit être, enfin, notable et sans retour en arrière possible.

Le championnat français est en retard sur ses concurrents depuis près de 40 ans. Il s’agira pour lui, finalement, d’être à la hauteur de son équipe nationale et de son potentiel de grand championnat européen.

Crédit photo : Fred Marvaux / Icon Sport

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