Le niveau de la Ligue 1 : c’est grave docteur ?

Comme un joueur français en Premier League,  le débat concernant le niveau de la Ligue 1 revient toujours. Des déconvenues en Coupe d’Europe en passant par des matchs décriés pour leur manque de spectacle, notre championnat souffre bien souvent de la comparaison avec ses voisins européens.  Des leitmotivs souvent invoqués et largement débattus mais dont les racines ne sont pas toujours identifiées. 

 Depuis le début des années 2000, la Ligue 1 est considérée comme le cinquième larron d’un gotha européen clairement identifié : Premier League, Liga, Serie A, Bundesliga et enfin Ligue 1. Si l’ordre des 4 premiers est sujet à débats selon les affinités, la Ligue 1 occupe la cinquième position puisqu’elle oscille entre la quatrième et la sixième place au classement UEFA. Décriée à l’étranger comme en France, la « Farmers’ league » cristallise encore plus les critiques depuis l’avènement de l’hégémonie parisienne. Quelles sont les réalités de ces critiques et pourquoi la « Liguain » n’arrive-t-elle pas à s’imposer comme un championnat prestigieux en Europe ? Eléments de réponse.

L’« Hebdomas Horibilis » des clubs français en coupe d’Europe

Aucun club français n’est parvenu à remporter un match en Ligue Europa cette saison. Triste statistique qui ne fait malheureusement pas tâche dans les performances européennes de nos clubs ces dernières années. Il n’en fallait pas plus pour que le débat soit inlassablement relancé. Depuis la saison 2007-2008, la Ligue 1 n’a accouché que d’un seul finaliste et seulement quatre demi-finalistes de coupe d’Europe. C’est la septième performance des différents pays disputant les compétitions UEFA… derrière le Portugal et l’Ukraine.

Si les épopées de Monaco et Marseille ainsi que le rayonnement du PSG sur le marché des transferts peinent à sauver la face, difficile de glaner du prestige à l’heure où les clubs espagnols ont fait une razzia sur l’Europe. Le retour de la Premier League au sommet de l’Europe, Liverpool en tête, et les coups d’éclats réguliers des locomotives de Serie A et de Bundesliga trustent l’imaginaire collectif et ne laissent que peu de place à notre bonne vieille Ligue 1. Pire encore, des clubs supposés plus faibles car moins puissants économiquement parviennent à s’attirer les regards du public européen grâce à des parcours et une régularité remarquable au plus haut niveau.

Sur le plan national, certaines contre-performances historiques attisent la tendance à l’auto-flagellation du football français sur la scène européenne : L’élimination de l’Olympique lyonnais par l’APOEL en 2012 (1-1, 3-4 ap.tab.), les remontadas du PSG ou encore le zéro pointé de l’OM dans son groupe en 2013… Les exemples sont nombreux et les coups d’éclats trop rares. Un constat limpide et sans appel qui nous amène à nous questionner sur ses tenants et aboutissants. Pourquoi les clubs français ne sont-ils pas capables d’émerger sur le plan européen à l’image d’autres clubs désormais établis, à l’image du Borussia Dortmund, de l’Atlético Madrid ou encore de Naples ?

Evidemment, comparer ces trois clubs aux locomotives de nos championnats peut faire tiquer tant l’écart est abyssal désormais. Avoir bien suivi le football européen des années 2000 permet cependant de se rappeler qu’à l’heure où l’Olympique Lyonnais dominait la Ligue 1 et brillait en Europe, où L’Olympique de Marseille et l’AS Monaco disputaient respectivement la finale de la coupe de l’UEFA et de la Ligue des Champions, le Borussia Dortmund était sauvé in-extremis de la faillite un an auparavant, le tribunal de Naples proclamait le 3 août 2004 la mise en faillite du club et l’Atlético Madrid était un club du milieu de tableau du championnat espagnol. Pour comprendre le pourquoi d’un tel retournement de situation, il est nécessaire de se pencher sur les politiques sportives des clubs français dans leur ensemble et des décideurs du ballon rond, la fiscalité n’expliquant qu’une partie du problème.

Des politiques sportives schizophrènes

L’entre-soi dans les plus hautes sphères de décision de notre football a rendu difficile pour le football français d’emboîter le pas de ses voisins européens dans une nouvelle ère du football moderne. Un système de formation des techniciens stéréotypé et en manque d’idées qui a bridé les conceptions philosophiques de notre football à l’heure où des techniciens de renom brillaient et brillent ailleurs. La mentalité du moindre risque a d’ailleurs perduré dans l’ensemble de notre championnat. Longtemps, le corporatisme a influé la nomination des techniciens à la tête des clubs de Ligue 1. Les mêmes noms sont revenus inlassablement et symbolisent la frilosité des décideurs du football français ainsi que des clubs. En point d’orgue, la transformation de la 18e place de L1, auparavant synonyme de relégation, en une place qualificative pour des barrages afin de sauver sa peau. Sans surprise, aucun 18e de L1 ne s’est retrouvé en L2 depuis.

Une frilosité qui se retrouve d’ailleurs dans les cellules de recrutement et qui est symptomatique de la schizophrénie de la politique sportive des clubs de Ligue 1. Les acquis sont couvés et l’on se tourne bien souvent vers des valeurs sûres du championnat de France ou des révélations des divisions inférieures. Les recrues sont étudiées pour maintenir un certain niveau de performance plutôt que pour l’augmenter. Pourtant les discours se veulent ambitieux. A ce niveau-là, l’Olympique Lyonnais fait figure de cas d’école. Un modèle économique serein et en constante croissance qui n’est pas à l’image de son secteur sportif contrairement aux mots de son président. Que faut-il penser quand la majeure partie du budget des transferts est alloué sur des joueurs décrits comme prometteurs et non sur des joueurs confirmés et capable de faire passer un cap au club sur le plan européen ? Joachim Andersen, Jeff-Reine Adelaïde et Youssouf Koné ont donc succédé à Martin Terrier, Bertrand Traoré et Léo Dubois. Les bonnes résolutions entreprises avec l’arrivée de Juninho et Sylvinho n’auront duré que très peu de temps puisqu’un mauvais début de saison aura suffi à convaincre la direction lyonnaise de remplacer Sylvinho par Rudi Garcia et Juninho semble déjà fragilisé.

Factuellement, le paradigme économique de la Ligue 1 est très clair et se base sur la revente de joueurs formés au club et/ou sur d’éventuelles plus-values. La priorisation du centre de formation et les mercatos de l’OM, le projet lillois ou encore le recrutement récent de l’OL en sont les témoins. Les clubs végètent voir pire, régressent. Le niveau de la Ligue 1 se resserre puisque tous les clubs appliquent la même recette, PSG non-compris. Dans ces conditions, difficile de mener à bien des projets sportifs à moyen-terme puisque les fruits d’une saison sont directement proposés sur le marché et les projets tués dans l’œuf si ils n’atteignent pas rapidement les objectifs. Les stars, ce sont désormais les joueurs et les conséquences sont réelles.

La figure du « joueur roi »

La prise d’importance croissante de la figure du joueur est observable dans la globalité du football moderne. En Ligue 1, la manière dont cela est géré impacte directement la qualité du spectacle proposé tous les week-ends. L’émergence de la figure du « joueur roi » est particulièrement saillante et favorisée par le paradigme économique en place. Le joueur ne doit pas être froissé, il constitue une manne financière importante et décisive dans la survie de son club. Il lui arrive même parfois de prendre le dessus sur l’institution et d’avoir le pouvoir de passer outre les obligations d’un joueur professionnel.

A l’AS Saint-Etienne, Printant a notamment obtenu le soutien des joueurs puisqu’il était le garant du rythme de sénateurs de certains. Selon des membres du club, Wahbi Khazri et Yann M’Vila s’entrainaient d’ailleurs deux à trois fois maximum par semaine jusqu’au départ de Printant. Certains joueurs auraient même choisi le poste auquel ils souhaitaient évoluer à chaque rencontre. Un état de laxisme illustré par la stupeur d’un membre du staff de Claude Puel lorsque celui-ci est venu visiter les installations stéphanoises. Un deuxième préparateur physique a été sollicité auprès des dirigeants de l’ASSE tant la condition physique de certains joueurs était alarmante. La récente déclaration de Claude Puel à propos de Khazri semble d’ailleurs aller dans ce sens « Je ne lui demande pas de marcher sur l’eau, juste de courir sur le terrain ». Le cas stéphanois ne saurait être le seul à illustrer cette réalité, c’est bien sûr le cas dans beaucoup de clubs de notre championnat.

Le tableau n’est pas tout noir et l’espoir existe. Des entraîneurs d’un profil nouveau pointent le bout de leur nez à l’image de Luka Elsner ou encore d’André Villas-Boas. Certains se renouvellent même à l’image de Christophe Galtier. Auparavant, la Ligue 1 a pu accueillir Marcelo Bielsa, Sergio Conceicão, Claudio Ranieri ou encore le moins heureux Oscar Garcia. Des entraîneurs dont l’identité et les méthodes contrastent avec le ronronnement encore trop présent dans l’Hexagone. Les expériences Bielsa et Conceicão ont notamment ouvert la voie à l’arrivée des entraîneurs étrangers en Ligue 1 quoiqu’en disent certains. Si la Ligue 1 stagne assurément, difficile d’en conclure un déclin. Les talents sont toujours là et s’exportent. Cependant, chaque année ce débat reviendra sur la table à défaut de trouver de solutions pérennes à ces maux.

Photo crédits : Iconsport

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