Les exilés #1 – Eric Bauthéac : « Aujourd’hui, je n’ai aucun regret »

Bien connu pour sa carrière de quasiment 200 matchs en Ligue 1, Eric Bauthéac aurait pu prolonger l’aventure française. Il a cependant décidé de s’exiler deux ans au pays des kangourous, avant de rejoindre l’Omonia, à Chypre, cet été. Il y a découvert un championnat relevé et un style de vie qui lui correspond à merveille.

Sa vie à Chypre

Comment se passe ta première saison à Chypre ?

Pour le moment nous sommes deuxièmes au classement. Nous avons une belle équipe avec une quinzaine d’étrangers dont beaucoup d’Espagnols, de Brésiliens ou de Portugais. Ce mélange de nationalités donne un beau football. Je prends beaucoup de plaisir à jouer dans cette équipe, cela fait du bien de retrouver le football de haut niveau. Je me sens vraiment épanoui ici, que ce soit dans le football ou dans mon quotidien.

Comment t’es-tu retrouvé à jouer dans le championnat chypriote ?

Quand je suis parti en Australie, j’avais conscience que j’aurais du mal à retrouver le football européen. Après la saison dernière, je voulais me rapprocher de l’Europe, surtout que j’avais évolué à un bon niveau. J’étais en contact avec Brest et Toulouse pour revenir en Ligue 1, mais ils me demandaient d’attendre la vente de certains de leurs joueurs. Mais je n’avais pas le temps d’attendre. Après mon expérience à l’étranger, je me suis dit « pourquoi pas en découvrir une autre ? », surtout que j’avais le sentiment d’avoir faire le tour en France, après 17 ans à jouer dans ce pays.

L’Omonia m’a contacté et j’ai laissé les portes ouvertes, mais sans trop m’y projeter. J’ai appelé des Français qui jouent à Chypre et ils qui m’ont conseillé de tenter l’expérience. J’ai également aimé le discours du coach et j’ai fini par signer ici. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret.

Comment le football est-il vu à Chypre ? Y a-t-il un réel engouement ?

L’Omonia c’est le club mythique du pays. 50 ou 60 % de l’île supporte l’Omonia. Tous les matchs, on les joue presque à domicile. Notre stade de plus de 23 000 places se remplit de plus en plus, étant donné qu’on fait vraiment une belle saison.

Comment s’est passé ton adaptation ?

Je ne me faisais pas beaucoup de soucis, parce que je savais qu’on aillait pratiquer un beau football. Le projet de revenir sur les devants de la scène nationale m’a convaincu. Et puis, ça a aussi été facilité par mon niveau d’anglais que j’ai amélioré en Australie.

Comment juges-tu les infrastructures de ton club ?

On a un bon centre d’entrainement avec deux terrains. Le club met à notre disposition des kinés et toutes sortes de soins. Niveau infrastructures, c’est semblable à ce que j’ai connu en France.

A quoi ressemble ton quotidien à Nicosie ?

Tous mes proches qui sont venus me voir ont fait le même constat. Ils m’ont tous dit « tu as une sacrée vie ici ! ». On peut retrouver de très belles plages avec de l’eau chaude, les gens sont gentils et la vie est beaucoup moins chère qu’en France. C’est une petite île, mais il y a beaucoup à faire et à visiter. La gastronomie est aussi très variée et très bonne.

Son passage en Australie

Petit retour sur ton passage en Australie : pour quelles raisons as-tu décidé de t’envoler là-bas ?

Après 17 ans à jouer en France, je voulais partir à l’étranger. J’avais de belles propositions financières venues de Russie ou de Turquie, mais l’objectif premier était la Liga ou la Premier League. J’avais des contacts mais rien de concret, et le club de Brisbane m’a contacté. Là-bas, un salary cap est mis en place, mais chaque club peut avoir un « marquee player » (un joueur au salaire qui dépasse le cadre du salary-cap). Ils m’ont offert ce rôle. J’en ai parlé avec ma femme et on s’est dit que ça serait bénéfique pour nous et nos enfants. J’ai aussi contacté Fahid Ben Khalfallah (ancien joueur de Brisbane), qui m’a vendu le pays. Les appels du coach m’ont définitivement convaincu. Si je ne le faisais pas à ce moment-là, je ne sais pas si j’aurais pu le faire un jour.

Qu’est-ce que ça t’a apporté sur le plan humain ?

J’ai découvert une qualité de vie incroyable, des paysages ahurissants et une mentalité très différente des Français. Je ne regrette rien. Mes enfants sont quasiment bilingues. J’ai encore des contacts très réguliers avec mes amis de là-bas, qui ont tout donné pour m’intégrer au mieux.

Qu’est-ce que tu as pensé du niveau australien ?

C’était ça le problème… Je ne prenais pas vraiment de plaisir. J’aurais pu rester en Australie à la fin de mon contrat avec le Brisbane Roar FC, parce que je sortais d’une belle saison, où j’ai été élu meilleur joueur de mon équipe et plus beau but du championnat. Mais collectivement, le niveau ne me convenait pas. J’ai encore beaucoup à donner au football, je ne veux pas me sentir en vacances.

Le football est-il important dans ce pays ?

C’est le 3e ou 4e sport national, derrière le football australien (« footy ») et le rugby. Le footy, une fois que j’ai appris les règles, c’est super prenant. Je m’ambiançais même avec les Australiens dans les bars. Le cricket a aussi une part importante. Par exemple, je ne me faisais pas accoster dans la rue.

Peux-tu nous parler un peu du penalty tiré, pour ton dernier match avec Brisbane ?

C’était mon dernier match avec Brisbane et j’avais mes amis français au stade. Je les avais prévenus que je tenterai quelque chose si jamais je dois tirer un penalty. Je ne pouvais plus faire machine arrière. C’était comme un cadeau d’adieu aux supporters et la vidéo a tourné partout. Je ne pensais pas que la balle partirait si doucement, mais c’est ça qui rend le penalty si magique. Heureusement que je ne l’ai pas manqué, je serais passé pour un débile aux yeux de tout le monde.

Son regard sur le football français et sur sa carrière

Est-ce que c’était un objectif d’utiliser le football pour voyager comme tu le fais ?

Non, pas vraiment. Jeune, je voulais jouer et perdurer en Ligue 1. En grandissant, j’ai commencé à vouloir partir à l’étranger et j’ai eu des contacts avec des clubs des autres grands championnats européens, mais rien ne s’est fait. Arrivé à 30 ans, je me suis dit qu’il était temps. Avec le recul, je me dis même que j’aurais dû le faire plus tôt.

Tu te vois revenir en France, à court ou moyen terme ?

Pour l’instant je n’y réfléchis pas. Si je dois recevoir des propositions de clubs français, je me pencherai dessus. J’ai cru comprendre que ma bonne saison ici commençait à faire parler en France. J’ai signé pour trois saisons à Chypre, je m’y plais, mais je ne suis pas marié à ce pays non plus.

Et pour mon après carrière, je pense que je reviendrais vivre à Nice. J’ai été adopté par cette ville et j’y ai pas mal de projets.

Quel regard portes-tu aujourd’hui sur le football français ?

J’ai l’impression que le niveau est plus faible que lorsque j’y étais. Quand je vois certains matchs, je me dis que j’ai ma place dans ce championnat ! Cette année, j’aime beaucoup ce que propose Marseille, ça change des années précédentes, mais globalement, je trouve le niveau moyen…

J’ai l’impression que le football français perd ses valeurs, que l’argent a pris le dessus. Ça ne me ressemble pas trop. Je suis un chien sur le terrain et je vois peu de joueurs avec cette mentalité dans le championnat français. C’est dommage parce que c’est ce que les supporters aiment. Moi, c’est comme ça que les supporters de mes équipes se sont attachés à moi.

Et sur ta carrière ?

J’ai apprécié ma formation à Saint-Etienne, même si je n’ai pas réussi à passer pro. Je suis reparti en National avec Cannes, puis je suis passé pro à Dijon. Je n’ai jamais rien lâché, je savais ce que je voulais. C’est d’ailleurs ça le fil rouge de ma carrière. Je savais que j’allais y arriver, donc je me suis défoncé pour réaliser mon objectif, je n’ai jamais triché. Je considère avoir fait une belle carrière de Ligue 1, où j’ai réussi à perdurer.

Quel est ton meilleur souvenir de footballeur ?

La promotion en Ligue 1 avec Dijon, la première de l’histoire du club. On avait un super groupe. Je garde aussi évidemment en mémoire la saison 2012/2013 avec Nice (4e de Ligue 1). Il n’y avait pas de star dans l’équipe, personne ne cherchait à en faire trop. On était un groupe homogène, qui ne se prenait pas la tête, qui jouait tout simplement au ballon. Claude Puel était un super coach, il m’a beaucoup appris.

Crédit photo : Andre Ferreira / Icon Sport.

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