[Serie A]: Les années 2010 du Calcio, le cycle de la vie

Voici venue 2020, avec elle ses plus grandes attentes et ses grands espoirs. En Italie, nombreux seront ceux qui espéreront pouvoir oublier au plus vite les dix ans écoulés. L’ère la plus sombre que le Calcio ait connue depuis bien longtemps ? Un niveau de jeu frôlant parfois celui observé chez le voisin français ? Une Nazionale rayée de la carte du monde ? Oui, on a bien morflé de l’autre côté des Alpes. Mais on a surtout beaucoup ressenti, donc beaucoup vécu ces dix ans. Pour le meilleur et pour le pire.

La chute venue avant de raconter l’histoire

C’est accompagnée des trompettes célébrant le triplé et le sacre européen de l’Inter que l’Italie est entrée dans cette décennie, et c’est dès l’été suivant que l’on constate les prémices de la catastrophe à venir. Sur le plan national, c’est le Milan d’Allegri qui rafle le Scudetto à l’Inter post-Mourinho. Milan champion, mais Milan déjà instable, et Milan qui profite de la perte de vitesse progressive de l’Inter et de l’absence de la Juventus qui patauge toujours dans le milieu du classement à cette époque. Les plus modestes Fiorentina, Udinese et clubs romains se rapprochent des hauteurs, surfant tous sur des dynamiques positives de plus ou moins longue haleine.

En 2011-2012, le grand bouleversement s’opère. La Botte assiste au retour fracassant de la Juventus. Une Vieille Dame menée par Antonio Conte qui ne connaît pas la défaite cette saison-là et envoie le Diavolo en enfer à la faveur d’une tête de Muntari repoussée derrière sa ligne par Buffon ou d’un coup-franc décisif de Del Piero contre la Lazio. En temps normal, il aurait été impossible qu’un effectif tel que celui mené par la perruque la plus célèbre de Turin ne réalise un tel exploit. Seulement, Milan s’écroule. L’Inter disparaît. Ne reste que la Juve, qui chaque année capitalise sur ses succès. La dictature est instaurée, les Bianconeri prennent le pouvoir et le conservent encore aujourd’hui.

Les années 2010 se déroulent dans l’ombre turinoise omniprésente. Plus bas, ce sont donc celles du Sarriball à Naples, des dernières sorties convaincantes de Rudi Garcia qui aura brièvement séduit Rome, des années européennes de l’Udinese, des coupes de la Lazio. Non, on ne s’est pas qu’ennuyés dans les stades italiens. De grands clubs sont morts, d’autres ont fait vivre le Calcio en leur absence. Cependant, difficile de mettre ces clubs sur la carte du monde ou de l’Europe.

Les clubs milanais ne sont pas les seuls à avoir pris la crise économique de plein fouet ou attiré des investisseurs peu concernés. Presque dans l’anonymat, Parme est mort. Palerme aussi. Sans compter Catane. La Sicile rayée de la carte, après que les Roses et Noirs, dans un dernier soupir, aient offert au foot Javier Pastore ou Paulo Dybala. Les Gialloblù sont eux enterrés dans une fosse commune avec leurs trophées nationaux, européens, et le souvenir de l’incroyable équipe qui les représentait encore au début du siècle.

A la vie à l’amour

Côté joueurs aussi, cette période signe la fin de nombre de dinosaures du foot. La fin des Bandiere, ces hommes d’un seul club de toujours. Francesco Totti a brillé sans toutefois parvenir à concrétiser sa meilleure occasion de la décennie de prendre un titre face à la Lazio, puis s’est retiré, fâché avec sa Roma. Rome a pleuré une fois, beaucoup. Rome a pleuré une deuxième fois, encore beaucoup, quand Daniele De Rossi a pris la direction de l’Argentine, lui aussi fâché avec sa Roma.

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Alessandro Del Piero a remis la Juventus au sommet puis a tiré sa révérence. Parmi ses successeurs, Claudio Marchisio aura contribué à rendre sa grandeur à la Vieille Dame, de la Serie B aux multiples Scudetti consécutifs. Gamin devenu prince au destin gâché par un genou capricieux, Antonio Di Natale, de son côté, a profité des belles années de son Udinese pour planter 125 buts entre 2010 et 2016, faisant de lui le meilleur buteur de la décennie en Serie A. Javier Zanetti a quant à lui fini par s’éclipser en même temps que l’Inter. Plus contemporain, Marek Hamsik a quitté le navire napolitain après avoir inscrit son nom en lettres d’or dans le Hall of Fame des partenopei à la ligne « meilleur buteur de l’hisoire » devant Maradona.

Dans les histoires d’amour tout aussi passionnées mais plus mouvementées, la deuxième vie d’Andrea Pirlo avec la Juventus après que Milan l’ait délaissé fut incroyablement riche de bons moments, de trophées, de fortes émotions comme de larmes après la finale de la Champion’s 2015. Fabio Quagliarella a lui séduit aux quatres coins du pays malgré le spleen qui le hantait, avant de s’en libérer et de se marier à la Sampdoria avec qui il deviendra le meilleur buteur de la saison passée, à l’aube de la quarantaine. Le décidément pauvre Diavolo avait lui perdu son Zlatan en début de décennie après le Scudetto, tout comme le Napoli a fini par perdre son Higuaín (Et même son Sarri…) parti pour l’ennemi bianconero. Deux maillots, une trahison, beaucoup de succès et un record de buts inscrits sur une saison. Un des grands bonhommes de notre présente histoire.

Par ailleurs, les champions du monde Barzagli, Inzaghi, Gattuso, Toni, Grosso, parmi les derniers vestiges des succès de ce pays, ne joueront plus. Alessandro Nesta, malheureux absent de 2006 mais non moins illustre, idem. En fait, plus aucun champion du monde 2006 ne subsiste en Serie A, puisque Buffon a fini par quitter la Juventus… Avant de finalement revenir vers son plus grand amour.

La fierté d’un peuple ?

Comment résumer la décennie vécue par la Squadra Azzurra et les millions d’Italiens qui la suivent ? Echec, espoir, désespoir. Beaucoup de désespoir. L’échec, en 2010. Comme la France avant elle, l’Italie championne du monde n’a pas passé les poules. L’espoir, en 2012. On y a cru à ce titre. Les tontons flingueurs, Buffon, Barzagli, Chiellini, Pirlo, De Rossi, Cassano, Di Natale… le jeune Balotelli qui voulait faire comprendre que les siens devaient croire en lui. Les Azzurri passent à un rien de battre l’Espagne dès les poules, font leur chemin jusqu’à la finale, au gré de la promenade anglaise de Pirlo ou de l’exécution en place publique de Neuer par Super Mario. Enfin, s’inclinent, devant une vague de blessures, d’attaques rouges et la force du destin qui consacre cette Espagne qui marche sur l’eau. Un revers violent.

Puisque la Coupe du monde ne veut plus vraiment de la Nazionale, elle l’envoie se faire étouffer dans l’enfer de Manaus en 2014, y perdre une poignée de cadres de la sélection et y signer les papiers du divorce avec Balotelli. Quant à 2018…. Le drame d’une génération. Le visage défait de Buffon qui fait ses adieux au maillot bleu, un pays en détresse devant un drame d’une nature inconnue jusqu’alors. L’Italie ne jouera pas la Coupe du monde. La faute à un sélectionneur représentant de tout ce qui ne va plus en coulisses et à un manque de talents sur le sol national affolant.

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Un manque de talents déjà présent en 2016. Quelques noms sur le carreau, et très vite ne restent que des joueurs au mieux tout juste bons, exceptée l’inébranlable arrière-garde de la Juventus. En bon sorcier des heures sombres qu’il est, Antonio Conte mène l’Italie en quarts. Au fond, pas si haut, mais en tapant d’entrée « l’ogre Belge » dont on rigole encore de l’autre côté des Alpes, ou encore l’Espagne championne en titre en huitièmes, le tout sans faire un pli avec une équipe si faible qu’elle arrivait sans véritable objectif annoncé. Seule une navette spatiale mise en orbite par Simone Zaza aux tirs au but l’aura empêchée de franchir l’obstacle des champions du monde en titre allemands. Une campagne qui reste à la fois un bon souvenir porté par un improbable commando et la confirmation que l’Italie a été dégradée, qu’elle ne peut plus se satisfaire que de petits plaisirs fugaces à défaut de les graver dans la roche et sur les trophées.

Nourrir la nouvelle vie

Si personne ne disparaît jamais vraiment selon Luke Skywalker, cette décennie 2020 sera celle du retour de l’Italie dans les (très) hautes sphères du foot mondial. Le processus est entamé du côté de l’Inter, une étincelle d’ambition et Giuseppe Meazza s’embrase de nouveau, bouscule la Juve au classement et donne quelques sueurs froides au Barça en Ligue des champions. Comme un symbole, Parme a ressuscité, remonté en Serie A depuis les tréfonds de la Serie D. Si Milan tarde encore à redorer son blason et tentera de le faire avec le retour d’Ibrahimovic, l’Atalanta étale sa collection de talents aux yeux de tous jusqu’en Europe et les clubs de Rome retrouvent de l’ambition.

Parmi les grands noms responsables du retour du Calcio tout là-haut, on trouvera sur les terrains la génération des Zaniolo, Tonali, Castrovilli ou Bastoni, qui saura réussir là ou celle des Florenzi, Bernardeschi ou Rugani a déçu. Sur les bancs, l’émergence de techniciens à la philosophie ambitieuse comme Roberto De Zerbi, la reconnaissance d’autres comme Gasperini et l’accès aux moyens de ses ambitions pour un Sarri marqueront le renouveau d’un championnat qui n’attirait plus, et qui voit les stars internationales des autres grands championnats revenir, Cristiano Ronaldo en tête. Enfin, l’énorme travail de Roberto Mancini pour relever et remodeler une sélection poussiéreuse et prise dans les toiles d’araignées de ses échecs des années 2010 était nécessaire. Au-delà même des hommes, l’ex de Manchester City tend à instaurer une nouvelle façon de concevoir le football pour la sélection quatre étoiles et la remettra à sa place avant de passer à autre chose.

Est-il l’heure de tirer un trait sur cette maudite décennie 2010 ? Non, car oublier le passé tend souvent à oublier ce qui y a mené et ce qui s’y est déroulé. On va donc s’accorder un dernier regard en arrière avec un XI des hommes s’étant le plus distingués sur cette période, avant de ranger tout ça dans un tiroir dont la clé sera exposée sous verre au milieu du salon, histoire de ne pas oublier… et profiter encore plus des succès à venir du Calcio revenu en grâce.

Crédit photo : Liverani / Icon Sport.

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