Il y a 10 ans : l’attentat contre le bus du Togo

A une époque pas si lointaine, lorsque Soprano faisait encore de la bonne musique, il chantait dans Hiro : « Si j’avais eu le pouvoir de Hiro Nakamura, […] J’aurais été en Angola, pour aller dire à l’équipe d’Adebayor de ne pas prendre la route ». Le rappeur marseillais fait ici directement référence à l’attentat qu’a subi la sélection nationale du Togo, en marge de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) organisée en Angola. C’était il y a 10 ans jour pour jour, le 8 janvier 2010. L’occasion de revenir sur cet événement marquant de la décennie écoulée, pourtant oublié à de nombreux égards.

Un contexte politique tendu en Angola

Au début de la décennie, la CAN est encore organisée en hiver. En 2010, elle se déroule en Angola, du 10 au 31 janvier. C’est la première fois que le pays du sud-est de l’Afrique organise la compétition. En 2006, la désignation de l’Angola en tant que pays hôte ne pose a priori pas de problème, puisque le pays vient de tourner le dos à plus de 27 ans de guerre civile. Seulement, l’Angola possède une particularité territoriale : une petite exclave au nord de son territoire principal, le Cabinda, séparée par un bras de terre appartenant à la République démocratique du Congo (RDC), permettant à cette dernière d’avoir un accès direct à la mer. Sans surprise, cette incongruité territoriale remonte à l’époque de la colonisation du XXème siècle, au moment où en Afrique, les frontières sont tracées à la carte par les colons européens, sans vraiment tenir compte de l’appartenance territoriale des différentes ethnies africaines. L’Angola n’échappe pas à cette situation puisque le territoire est une vieille colonie portugaise. En 1956, alors que l’Angola et le Cabinda sont respectivement une colonie et un protectorat portugais, l’administration coloniale décide de placer les deux territoires sous l’égide d’un seul et même gouverneur, dans une logique d’efficacité. Sont donc placés au sein d’une même entité deux territoires qui n’avaient jusqu’alors pas grand-chose à voir.

(source : lefigaro.fr)

En 1975, au moment de l’indépendance de l’Angola, le régime décide d’annexer le Cabinda et d’y déployer des forces militaires. Cela marque le début d’un conflit qui perdure toujours aujourd’hui. Les positions sont claires des deux côtés : le Cabinda réclame l’indépendance vis-à-vis de l’Angola, un pays auquel il estime ne jamais avoir appartenu. De l’autre côté, l’Angola tient à conserver ce territoire pour les ressources minières (notamment pétrolières) qu’il abrite.

Un guet-apens meurtrier

Le 8 janvier 2010, la sélection du Togo prend le bus direction le Cabinda pour 1h30 de trajet, où ont lieu leurs matchs, après avoir achevé leur stage de préparation à Pointe-Noire (Congo), au nord du Cabinda. L’équipe, emmenée par son joueur star Emmanuel Adebayor, leader d’attaque de Manchester City, s’apprête à rentrer dans la compétition avec ambition, dans un groupe relevé comprenant la Côte d’Ivoire et leur attaque de feu (Kalou, Touré, Gervinho, Drogba), le Ghana, futur finaliste et sensation de la Coupe du Monde de l’été prochain, et le Burkina Faso. Malheureusement, les Éperviers n’auront jamais l’occasion de se frotter à ces équipes. Alors que le car de la sélection vient de passer la frontière entre le Congo et le Cabinda, il se retrouve être la cible de plusieurs tirs de mitraillettes. Le chauffeur du bus est tué sur le coup ; 9 autres personnes sont touchées, dont certaines très gravement. Dans la nuit, le chargé de communication de l’équipe Stanislas Ocloo et l’entraîneur adjoint Abalo Amélété succombent à leurs blessures. Le deuxième gardien de la sélection, Kodjovi Obilalé, qui joue à Pontivy, doit recevoir des soins intensifs après avoir été touché grièvement dans le bas du dos et dans l’abdomen.

L’attaque sera revendiquée par le Front de libération de l’enclave du Cabinda/Position militaire (FLEC/PM), un groupe de rebelles qui milite pour l’indépendance du territoire vis-à-vis de l’Angola. Les gouvernements des différents pays impliqués, de même que la confédération africaine de football (CAF) se réunissent en urgence. Si la CAF envisage dans un premier temps de suspendre la compétition, elle annonce que les matchs auront bien lieu aux dates prévues. De leur côté, les Éperviers, encore ébranlés par l’événement, songent d’abord à se retirer de la compétition, puis décident finalement de jouer pour rendre hommage à leurs défunts compatriotes. Au bout du compte, ce sera le gouvernement togolais qui aura le dernier mot, en ordonnant le rapatriement de la sélection. La CAF est furax et proclame la disqualification de l’équipe.

Des victimes oubliées

A posteriori, cet événement dramatique apparaît pourtant comme anecdotique, au vu des conséquences très faibles qu’il a engendrées. Le fait d’avoir maintenu la compétition tel quelle interroge. Cela correspond à la fois aux volontés de la CAF de ne pas subir un camouflet organisationnel et de l’Angola d’étouffer une affaire compromettante pour la sécurité du pays, d’autant plus qu’elle mettrait en lumière les positions revendicatrices du Cabinda. Fort heureusement, l’organisation n’a pas eu à déplorer d’autres incidents de ce type, grâce à des dispositifs de sécurité renforcés. C’est surtout la manière dont a été traitée l’équipe du Togo qui frappe, en étant presque considérée comme coupable d’avoir déserté la compétition plutôt que comme victime. Au-delà du déni pur et simple de la situation de l’équipe, la CAF prononcera quelques semaines plus tard d’autres sanctions à l’encontre du Togo : pour avoir voulu rapatrier l’équipe, le gouvernement togolais est accusé d’ingérence par la CAF, qui suspend en représailles les Éperviers des deux prochaines éditions de la CAN. La décision sera finalement annulée, grâce à une intervention de la FIFA quelques mois après.

Kodjovi Obilalé, désormais éducateur spécialisé à Ploemeur, près de Lorient (letelegramme.fr)

Aujourd’hui, Kodjovi Obilalé porte encore en lui les séquelles de ses blessures. Après avoir dû se déplacer plusieurs années en fauteuil roulant, il parvient désormais à marcher à l’aide de béquilles. Au micro de la chaine L’Equipe, il s’était exprimé en 2015 pour la sortie de son livre « Un destin foudroyé ». S’il dit ne plus être en colère aujourd’hui contre ceux qui ont tiré sur lui, il garde néanmoins une certaine rancœur envers la fédération togolaise de football et la CAF, coupables selon lui de ne pas l’avoir accompagné durant sa convalescence. Il regrette notamment que la fédé ne l’ait pas soutenu financièrement après l’attentat, d’autant plus que le voyage en bus pour rejoindre le Cabinda a été réalisé selon lui « pour faire des économies ». En effet, les règlements de la CAF prévoient que les déplacements pour rejoindre le pays hôte de la compétition doivent se faire en avion – ce que n’avait pas manqué de souligner un dirigeant de la CAF quelques heures seulement après l’attentat, pour un ultime manque de décence. Adebayor fera le même constat d’amertume vis-à-vis de la CAF en déclarant pour le magazine Jeune Afrique quelques jours après l’attentat : « Si Drogba ou la Côte d’Ivoire avaient été victime d’une fusillade pendant 20 minutes, je pense que la CAN aurait été annulée. Mais comme c’est le Togo, Hayatou [le président de la CAF à l’époque] s’en fout carrément. Il a dit : la CAN va continuer. Et c’est tout ! ». La CAN a bien continué, tandis que la CAF est restée indifférente face aux victimes et que le Cabinda est toujours en conflit avec l’Angola. 10 ans plus tard, rien n’a changé.

Photo crédits : senego.com

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