Si la Colline des Anges, point central de la péninsule ibérique, se trouve sur la commune de Getafe, longtemps le club local s’est tenu loin du centre des discussions footballistiques au pays de Cervantès et Iniesta. Mais depuis la remontée des Azulones en Liga en 2017, le barycentre du football espagnol n’a cessé de se rapprocher de la cité de la proche banlieue madrilène. Alors que le club est proche de sortir l’Ajax Amsterdam de la Ligue Europa, focus sur l’une des équipes les plus cohérente d’Europe.
Le général et son plan de bataille
L’homme clé du cycle vertueux de Getafe est son entraîneur, José Bordalás. Celui que l’on surnomme aussi Pepe a mené une équipe moribonde en deuxième division à une victoire 2-0 face à l’Ajax en seizième aller d’Europa Ligue trois ans et demi plus tard. Un véritable tour de force.
Joueur puis entraîneur au parcours sinueux dans les divisions inférieures espagnoles, il n’a découvert la première division que lors de sa montée à la tête du Geta. Et ce alors qu’il avait déjà réussi cette performance à la tête des basques du Deportivo Alavés la saison précédente, sans pour autant se voir confier l’équipe en primera. C’est donc à 53 ans que Pepe Bordalás s’est pour la première fois frotté à la Liga, avec pour objectif d’y pérenniser les résidents du Coliseum Alfonso Pérez. Pour y parvenir, le natif d’Alicante a placé la rigueur au centre de sa méthode de travail (allant jusqu’à peser ses joueurs avant chaque séance d’entraînement) et s’appuie sur un plan de jeu clair et parfaitement cohérent.
Amateur de verticalité, son équipe possède le 19ème taux de possession d’Espagne (44,6%) et le plus faible pourcentage de passes réussies (61,6%). Ces chiffres, plus qu’un jeu direct hasardeux, traduisent la volonté des azulones de chercher le plus rapidement possible la passe dangereuse lors de leur transition offensive. Le positionnement haut, le très bon quadrillage du terrain et le pressing étouffant de l’équipe permettent une multiplication de ces situations. Et bien souvent, les adversaires finissent par céder sous les coups de boutoir. Getafe est aujourd’hui la cinquième attaque de Liga et reste sur deux cartons contre Valence et l’Ajax sur les quatre derniers matchs.
Défensivement aussi, cette approche est efficace. L’équipe de Bordalás pointe à la quatrième place des défenses espagnoles et est celle qui concède le moins de tirs par match (7,7).
A cette maîtrise tactique, s’ajoute une bonne dose de hargne et de combativité (avec 18,9 fautes par matchs, Getafe est l’équipe qui en commet le plus en première division espagnole). De vice même, comme l’illustre la théâtralisation quasi-systématique des contacts lors du match face à l’Ajax. Ce n’est pas Ryan Babel, joueur pourtant hyper expérimenté, qui dira le contraire, lui qui a craqué suite à une énième exagération, signée là Allan Nyom.
Getafe est une équipe complète, solidaire, au plan de jeu très efficace, dont la solide cinquième place en Liga n’a rien d’usurpée.
Les soldats
Aussi compétent soit-il, si bien établi que soit son plan de bataille, tout général a besoin de soldats. Pour constituer son régiment, Bordalás s’appuie sur une armée de sans grades. Rares sont les joueurs dont le nom évoque quelque chose aux suiveurs lointains de la Liga. Pourtant, l’effectif de Getafe allie qualité, profondeur, complémentarité et correspond parfaitement au jeu proposé.
Dans son immuable 4-4-2, Bordalás peut compter sur quatre joueurs aux profils variés pour occuper la pointe à deux. Le vétéran (37 ans) et capitaine Jorge Molina vit la meilleure période de sa carrière depuis son arrivée au Geta. Auteur de 7 buts cette saison, il reste sur un exercice 2018/2019 à 16 buts. Le capitaine est le plus souvent accompagné de Jaime Mata. Celui qui a découvert l’élite espagnole lors de son arrivée au club en 2018 à 29 ans a depuis inscrit 26 buts pour les azulones et même découvert la sélection espagnole en mars 2019. Derrière cet efficace duo, on retrouve un spécialiste du rôle de supersub : Angel Rodriguez. Buteur à 9 reprises (sur un total de 14 réalisations cette saison) en sortant du banc, le joueur un temps annoncé au Barca sait parfaitement profiter du travail de sape de ses coéquipiers pour planter ses banderilles. En obtenant lors du mercato hivernal le prêt du brésilien Deyverson, le club s’est offert une nouvelle option. Tout en puissance et en qualités aériennes, l’ancien de Levante constitue une nouvelle corde à l’arc offensif de son général.
Pour animer ses couloirs, le technicien s’appuie en ce moment sur les doublettes Oliveira-Cucurella à gauche et Suarez-Nyom à droite. Ces deux solides duo de latéraux de formation sont aussi bien capable d’attaquer et de défendre que de permuter en fonction de la situation. Marc Cucurella s’impose notamment comme un joueur très complet. Doté d’un important volume de course, bloquant efficacement son couloir, très bon au pressing et capable de distiller de bons centres, ce produit de la Masia semble destiné à un bel avenir. En second rideau, Kenedy et Jason sont des joueurs plus offensifs, à même d’apporter une variété nécessaire en cours de partie.
Le double pivot Arambarri-Maksimovic forme un véritable verrou au milieu de terrain. Généralement sur le banc, le nigérian Etebo (arrivé cet hiver) offre polyvalence et volume de jeu. Fayçal Fajr et David Timor sont les deux options supplémentaires dans ce secteur.
La charnière est le royaume de Djene Dakonam. Défenseur rapide, tonique, puissant et agressif, il s’est imposé comme l’un des meilleurs d’Espagne à son poste et sécurise toute son équipe. Rien d’étonnant alors à ce que le nom de l’international togolais soit régulièrement évoqué dans de grands clubs européens comme l’Atletico cet été ou plus récemment Monaco, Arsenal ou Tottenham. Il est actuellement le plus souvent accompagné de l’expérimenté Xabi Etxeita, ancien de l’Athletic Bilbao et éphémère international.
Enfin, le dernier rempart est l’ancien sévillan David Soria. Le portier formé chez le Real Madrid voisin, est l’un des meilleurs de Liga et l’ultime assurance d’un collectif déjà très solide.
Et maintenant que vont-ils faire ?
Lorsque le Geta a raté la qualification en Ligue des Champions la saison dernière pour quelques minutes, il semblait difficile d’imaginer le club se retrouver de nouveau aussi proche de la compétition européenne reine. Et cet « échec » n’a pas engendré que de la déception de l’autre côté des Pyrénées. Au contraire. Club de banlieue dortoir, palmarès bien maigre, historique européen quasi-inexistant, stade quelque peu champêtre, base populaire restreinte, absence de star,… Getafe n’est pas le club le plus sexy d’Espagne, loin de là. Si l’on ajoute au tableau un jeu pratiqué loin des canons habituels du « beau jeu », la qualification en Ligue Europa a pu apparaître comme s’inscrivant dans une forme de logique rassurante. Le petit, la surprise, le mal aimé reste à sa place. Il ne vient pas troubler les habitudes en éjectant un des habituels cadors ibères.
Mais voilà, les azulones semblent bien décidés à perturber de nouveau la routine de la primera : pour la deuxième saison consécutive ils se mêlent à la lutte pour les quatre premières places. Pire, avec leur jeu plus étoffé, leur effectif complet et les difficultés de certains invités réguliers, ils pourraient même faire figure de favoris pour s’immiscer dans le bon wagon derrière les intouchables Merengues et Blaugranas.
En attendant de peut-être faire résonner le célèbre hymne continental au Coliseum, les hommes de Bordalás pourraient bien jouer les empêcheurs de tourner en rond à l’échelon inférieur. Ils font désormais figure de sérieux outsiders, en position très favorable dans leur seizième après avoir concassé et réduit au silence un Ajax pourtant souvent cité parmi les favoris au Coliseum. Si ils auront probablement un grand combat à livrer à la Johan Cruyff Arena ce soir à 21h, pas sûr que cela effraie le général Bordalás et sa horde de guerriers.
Photo crédits : ANP/ Iconsport