Lundi, le Tribunal Arbitral du Sport a levé l’exclusion de Manchester City des compétitions européennes pour les deux prochaines saisons. Une bonne nouvelle pour les supporters des Sky Blues mais un coup dur pour un fair-play financier de moins en moins crédible.
Cette saison Manchester City ne sera pas sacré champion d’Angleterre. On imagine aisément la déception d’un club qui ne vise jamais moins que la première place. Pourtant, le club du cheick émirati Mansour bin Zayed Al Nahyan a sans doute remporté une victoire encore plus importante cette semaine. Lundi, le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a levé l’exclusion des Citizens des compétitions européennes pour les deux prochaines saisons. C’est la Commission de Contrôle Financier des Clubs (ICFC), le gendarme financier de l’UEFA, qui avait pris cette décision le 14 février dernier. Plus qu’une victoire pour Manchester City, c’est bien une défaite de l’instance du football européen et de son fair-play financier qui transparait.
Condamnation minimale
Les supporters des Sky Blues avaient pourtant de quoi s’inquiéter. Il était reproché à Manchester City d’avoir surévalué des contrats de sponsoring afin de permettre au cheick Mansour, via sa société ADUG, de renforcer les finances du club. Un bonus de trésorerie maquillé et qui, selon l’UEFA, a permis au club de contourner les règles du fair-play financier et de dépenser près de 1,6 milliards d’euros sur le marché des transferts au cours de la dernière décennie. En sanctionnant sèchement Manchester City pour « graves violations » des règles du fair-play financier, l’UEFA voulait envoyer un signal fort à l’Europe du football : personne, pas même les plus fortunés, n’est au-dessus des règles qu’elle a éditées. L’instance souhaitait ainsi renouer avec l’esprit originel du dispositif mis en place par Michel Platini en 2014 : un système de régulation pour un football européen plus vertueux et plus équitable. C’est raté.
UEFA takes note of the decision taken by the Court of Arbitration for Sport to reduce the sanction imposed on Manchester City FC…
— UEFA (@UEFA) July 13, 2020
Ces écarts n’auront pas suffi à convaincre le TAS. En plus de lever l’interdiction de participation aux coupes d’Europe, le tribunal suisse a réduit l’amende de 30 à 10 millions d’euros. Autant dire de la petite monnaie pour un club de l’envergure de Manchester City. Comment, alors, justifier une telle clémence ? « Manchester City n’a pas déguisé ses contrats de sponsoring mais a échoué à coopérer avec l’UEFA », statue le TAS. En clair, le tribunal considère qu’un certain nombre d’éléments réunis par l’UEFA ne sont pas suffisamment solides ou sont prescrits. Ces éléments factuels sur lesquels s’est basé le TAS n’ont pas été rendus publics, d’où la difficulté aujourd’hui de comprendre les motivations d’une telle décision.
Coupable ou pas coupable ?
Les preuves révélées publiquement par Der Spiegel en novembre 2018 dans le cadre des « Football Leaks » semblaient pourtant accabler le club de Manchester. Le quotidien allemand avait ainsi mis au jour des courriels de dirigeants mancuniens faisant état de versements de la société ADUG à la compagnie Etihad afin de gonfler des contrats de sponsoring. Face à ces éléments, la nuance apportée par le TAS semble donc plus porter sur la procédure que le fond du dossier puisqu’il estime que l’UEFA n’a pas réussi à réunir les preuves suffisantes et non prescrites pour faire valoir les règles de son mécanisme de régulation financière. D’ailleurs, Manchester City n’a pas été totalement déculpabilisé : le TAS a maintenu une sanction, minimale certes, mais une sanction tout de même. Pas évident de faire plus ambigu, vous en conviendrez.
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Et le fair-play financier dans tout ça ? Pour certains observateurs, la décision du TAS ne signe pas l’arrêt de mort du dispositif car Manchester City a justement été condamné. En maintenant une sanction, même allégée, le TAS n’infirme pas totalement la décision de l’UEFA. Il ne remet pas en cause la validité du mécanisme et se range donc du côté de l’instance du football européen, comme l’explique Christophe Lepetit, responsable des études économiques du Centre de droit et d’économie du sport à RMC Sport : « Nous sommes passés d’une sanction extrêmement spectaculaire, l’exclusion de City, à une sanction qui ressemble à un blanchiment total. Mais ce n’est pas du tout le cas. Côté TAS, on a aussi considéré que City avait enfreint une partie des règles du fair-play financier. Selon moi, on n’est pas du tout dans une décision qui fait voler en éclat le fair-play financier. »
Inefficacité et manque de crédibilité
Pourtant, dans les faits, on a du mal à voir comment le fair-play financier pourrait sortir renforcé de cette affaire. La victoire de Manchester City devant le tribunal suisse prouve qu’un club riche, puissant et capable de défendre ses intérêts jusqu’au bout a toutes les chances de s’en sortir à moindres frais face à l’UEFA. En considérant que c’est à l’UEFA d’apporter les preuves de la culpabilité des clubs incriminés, le TAS a renversé ce qu’on appelle la charge de la preuve. Et cela complique considérablement le travail de l’UEFA, qui n’a, en principe, pas accès aux documents privés des clubs qui lui permettraient de prouver ses accusations, comme lui demande de le faire le TAS. Pas d’accès aux preuves, pas de preuve. Pas de preuve, pas de condamnation et donc pas de fair-play financier.
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Au-delà de l’aspect juridique, c’est la crédibilité même du mécanisme de régulation financière qui sort très affaiblie. Le combat contre Manchester City comportait un enjeu fondamental : savoir si le fair-play financier pouvait imposer sa loi à un géant du football européen. La réponse est non et en amène une autre : à quoi sert-il s’il ne permet pas de condamner sévèrement les clubs les plus fortunés quand ce sont aussi eux qui respectent le moins les règles du jeu ? L’ambition de départ était de réduire, même légèrement, le fossé toujours plus important qui sépare les quelques clubs les plus riches de leurs homologues plus modestes. Pas de condamner des clubs roumains, grecs ou lettons, bien loin de faire sauter la banque lors du mercato. Difficilement applicable et incapable de remplir sa mission : voilà l’état dans lequel se trouve le fair-play financier. Certes, il n’est pas officiellement mort. Mais c’est tout comme.
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