Morata – Juventus : La course au temps perdu

Edin Dzeko, Luís Suárez. Deux noms qui ont animé le mercato de la Juventus dans sa quête d’un numéro 9 depuis la nomination d’Andrea Pirlo sur le banc bianconero. Presque un mercato complet plus tard, Alvaro Morata pose ses valises à Turin, quatre ans après son départ. Un choix qui amène beaucoup d’interrogations, mais sans doute moins que d’espoir du côté de la Juventus.

L’histoire sans fin

Non, la Vieille Dame ne s’octroiera pas les services du taulier de la Roma ou du Pistolero fou du Barça. Et on avoue se trouver un peu désarçonné d’apprendre en moins de 24h que Morata était l’une des options les plus sérieuses, et que son avion pour le Piémont était prêt au décollage. Quand les deux autres noms cités empilaient les buts ou les titres, accumulaient responsabilités et pression au nom de l’équipe qu’ils guidaient, lui perdait le fil de sa carrière. Le Real Madrid de sa jeunesse, l’Atletico de son enfance, ou entre-temps le Chelsea qui était déjà sa deuxième chance, aucun n’a su écrire avec Alvaro la suite de l’histoire entamée à Turin. Son palmarès s’est étoffé d’une Liga, d’une Champions League et d’une FA Cup, certes. Mais il y a aussi fort à parier que peu s’en seront souvenu avant de lire ces lignes tant il est difficile de l’associer à ces succès.

Son principal fait d’armes, c’est celui d’avoir fait espérer à nombre de clubs que la lumière ne l’avait pas complètement quitté en même temps qu’il quittait la Juve. Des transferts à des montants énormes, sans doute en adéquation avec la valeur du joueur qu’il aurait pu devenir. A aucun moment avec celle du joueur qu’il aura été. Au cumulé, Morata aura coûté plus cher qu’Ibra, été moins décisif que Jaime Mata. L’histoire a continué sans lui, perdu hors du temps depuis que le Real l’en a sorti à l’été 2016. Moment où la Casa Blanca exerçait son droit de rachat contre sa volonté. « Pourquoi être revenu au Real Madrid ? Parce qu’il y avait des engagements à respecter… […] La déception a été énorme […] Si cela avait été possible, je n’aurais jamais quitté la Juve. » déclarait l’attaquant l’année suivante, après avoir déjà quitté la capitale espagnole.

Malgré les déboires des dernières années, la Juventus lui rouvre grand les bras, alors même que le club est en pleine refonte de son effectif et surtout condamné à briller. Année d’un possible 10e scudetto consécutif, année suivant un nouvel échec européen, troisième année avec un Cristiano Ronaldo avec qui chaque saison revêt une importance capitale. Prêt de 10M€ prolongeable d’une année, option d’achat de 45M€ la première année, 35M€ la seconde. Le train Juve repasse en gare de la carrière de Morata. A lui de réussir à monter à bord dès cette saison sans quoi il se retrouvera encore à quai sans que le club turinois n’y perde quoi que ce soit. De quoi motiver encore plus un joueur qui, malgré sa réussite statistique toute relative lors de ses deux années au club, aura laissé un souvenir impérissable au point que le board soit certain de pouvoir exploiter tout le talent de son numéro 9.

Andrea Agnelli, déléguant pourtant habituellement à son associé Pavel Nedved ou à Fabio Paratici le soin d’accueillir les recrues devant les journalistes n’a pu s’empêcher d’aller saluer Morata devant les caméras dans les couloirs. Un « Bienvenido a casa ! » ponctué de grandes accolades que beaucoup de tifosi pourraient également donner à l’Espagnol qui traduit la relation si particulière entre le joueur et le club. La raison ne se trouve pas du côté de ses modestes 27 buts marqués sur deux saisons sous la tunique bianconera, mais bien dans le fait que le joueur est étroitement lié à d’immenses moments d’émotion ayant tous eu lieu lors de son passage précédent. Avec entre autres son rôle de protagoniste majeur du retour vers les sommets européens de la Juventus en 2015.

Explosion à retardement ?

D’abord doublure de Fernando Llorente en début de saison en 2014-15, il prend la place de titulaire aux côtés de Carlos Tévez à partir de février et commence à marquer les esprits blanc-et-noir immédiatement. Buteur à l’aller et au retour des huitièmes de finale de Ligue des Champions contre Dortmund, à l’aller et au retour des demies face au Real, en finale contre le Barça, buteur en championnat contre le Milan et l’Inter en associant à ces moments de joie des célébrations icôniques… La Juve passe de peu à côté du triplé et son héros espagnol se retrouve vite parmi les rares têtes d’affiche survivant à un été compliqué à Turin.

Morata poursuit sa série de petits miracles la saison suivante dans une équipe orpheline de Pirlo, Vidal ou Tévez. Il lance le nouvel exercice de Ligue des Champions en se muant une nouvelle fois en héros alors que Marchisio est à l’infirmerie et que le neo-juventino Dybala, fragilisé, est inapte à démarrer la rencontre. La Juventus, décimée, se rend à l’Etihad Stadium avec le statut de proie facile pour un Manchester City champion d’Angleterre assoiffé d’Europe. Intenable, le natif de Madrid inscrit le but de la victoire, rappelant à tous que la Juve est encore bien présente. Un but en forme de délivrance qui lance la saison de la Juve et offre aux tifosi l’un de leurs clichés préférés de la décennie.

Photo: IconSport

Lors de la journée suivante contre Séville, Morata devient le deuxième joueur de l’histoire du club à scorer lors de 5 matchs consécutifs en Ligue des Champions, à égalité avec nul autre qu’Alessandro Del Piero. Enfin, ses exploits européens s’achèveront -bien que prématurément- de façon éclatante lors d’une double confrontation légendaire face au Bayern. Une remise décisive pour Sturaro à l’aller, et un rush devenu le plus grand moment de sa carrière au retour où il dépose toute l’équipe bavaroise avant de décaler Cuadrado. Enfin, avant de devoir plier bagage pour Madrid, il inscrit ce qui sera quasiment le but du titre sur la pelouse de la Fiorentina et l’unique but de la finale de Coppa à la 119e minute face au Milan. Plus qu’un indiscutable par ses stats encore un peu faibles de 12 buts et 11 passes décisives, un véritable talisman.

La troisième saison était attendue comme celle de la grande explosion. Après une saison dans la peau de la révélation sur quelques mois, puis du sauveur assumé des grands rendez-vous, il ne manquait plus que le pas de la régularité dans un collectif qui s’est avéré être au plus fort en 2016-17. L’histoire est interrompue brusquement, finalement mise entre parenthèses pendant 4 longues années. Le voilà avec une opportunité unique de réussir dans « sa famille », où il aura la confiance de tous, surtout de son ex-coéquipier Andrea Pirlo, sans devoir nécessairement porter tout le poids de ses transferts ou la responsabilité de remplir seul le tableau de statistiques de l’équipe comme à l’Atletico. Le joueur le sait, et a donc facilité sa venue en divisant son salaire de moitié pour prendre le chemin de la rédemption direction Turin.

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Le nouveau Mister installé sur le banc pourra donc compter sur un n°9 aux dents rayant le parquet, au profil complet qui pourrait se révéler être une pièce importante de son dispositif polymorphe ; capable de jouer des deux pieds, de la tête, dos au jeu, de déborder, de se sacrifier pour d’autres attaquants. Massimiliano Allegri disait de lui lors de son mandat qu’il était alors l’un des rares joueurs au monde capable de jouer dans n’importe quel type de configuration et avec n’importe quel type d’attaquant autour de lui ; comme l’illustre son utilisation en 2016: parfois en pointe, parfois en soutien, parfois décalé sur un côté. Avec cette fois l’expérience. Notamment la si importante expérience de l’échec, dans lequel il ne voudra plus retomber. A minima, il sera une pièce parmi d’autres dans l’ombre de Dybala et Ronaldo. Mais nul doute qu’il saura trouver le moment juste pour raviver la flamme entre lui et le public du Juventus Stadium. Une flamme qui, au contraire de celle qui devait éclairer son chemin, ne s’est jamais vraiment éteinte.

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