Alors qu’il est souvent difficile de mélanger histoire et modernité, le Red Star, club emblématique d’Île-de-France, prend les devants avec un tout nouveau maillot chargé de retracer son passé. Et c’est toute cette identité qu’a décidé de partager le club dans les écoles environnantes. De la fondation du club par Jules Rimet à la création d’une section féminine la saison passée, les lycéens de Paul Eluard, à Saint-Denis, vont découvrir comment le football s’ancre dans l’histoire contemporaine.
Dans cette classe de seconde générale, Jean-Pierre Aurières, le professeur d’histoire, attend patiemment ses élèves pour ce cours pas comme les autres. Au milieu des bruits de couloir, il y a cette petite bulle à part où se joignent corps enseignant et communication du Red Star. Aux murs sont accrochées des dizaines de photos, souvenirs de nombreux voyages des anciennes classes. États-Unis, Mexique, Afrique du Sud, Irlande, etc. Durant ce moment suspendu, le prof nous confie que cette classe aurait dû avoir un contrôle d’histoire «sur la Grèce antique». Ce nouveau maillot tombait donc bien, puisqu’après ça, ce sera les vacances.
Les lycéens arrivent dans la classe, brisant le silence antérieur, et regardent leur salle, redessinée pour l’évènement, sous un nouvel angle. «Oh y a des caméras !», «Eh regarde c’est le nouveau maillot du Red Star !» Ils s’assoient peu à peu, l’enseignant fait l’appel, demande aux jeunes les attestations de droit à l’image, séance filmée oblige. La classe se tait et Alexis Delwasse, le directeur général adjoint du club, prend la parole et présente le fameux maillot. «Ce maillot est particulier pour deux raisons : la première, c’est que c’est le club qui a fait le design, (…) la deuxième, c’est que le maillot retrace l’histoire du club, avec de grands joueurs qui sont au cœur des grands évènements du XXe siècle.»
En effet, le maillot qui se présente aux yeux des lycéens a été designé par le collectif Acid FC, arborant différentes saynètes de l’histoire du club dans un motif en toile de Jouy, en référence au marché aux puces, collé à Bauer. Adidas, l’équipementier du Red Star, n’intervient qu’à la fin du processus, c’est-à-dire : la fabrication.
«Au lieu de 15 ou 20 sponsors, on a 15 ou 20 histoires»
Steve Marlet, conseiller du président, et Vincent Duluc, journaliste de L’Équipe, présents pour ce cours si particulier, s’introduisent à des élèves aux yeux écarquillés. Impressionnés aussi bien par les noms que par le contexte : «Regarde y a des stars dans notre classe.» Et M. Aurières peut donc commencer son cours avec toute l’attention possible. Il explique aux élèves que l’histoire du football s’inscrit aussi dans l’Histoire avec un grand H. Que les joueurs du Red Star représentés sur le maillot ont aussi été au cœur de cette Histoire. «Au lieu de 15 ou 20 sponsors, on a 15 ou 20 histoires», dit Vincent Duluc. Aidés par un jeu de cartes fournis par le club, les jeunes découvrent les différents personnages historiques du Red Star, avec au dos, un rapport historique.
Le premier à être présenté : Jules Rimet. Fondateur du club, il est aussi le créateur de la Coupe du monde. Président de la FIFA entre 1921 et 1954, il lancera la première édition de cette compétition en 1930, avec un trophée à son nom jusqu’en 1970. Le Brésil, l’ayant gagné trois fois de suite, gardera ensuite le trophée (promesse de Jules Rimet), avant qu’il ne soit volé lors d’une exposition au siège de la Confédération brésilienne. Vincent Duluc intervient et raconte que «selon la légende, il aurait été fondu pour récupérer l’or du trophée».
Le prof poursuit avec l’explication du maillot, et de cette fameuse étoile rouge. Souvent associé au communisme, idée encore vague pour des élèves de seconde, le prof explique que «Red Star» est en fait une compagnie maritime, la Red Star line, qui rejoignait Philadelphie ou New York en bateau. Compliqué à imaginer pour des jeunes au XXIe siècle, ils s’interrogent : «Combien de temps dure la traversée ?» Et c’est professeur Duluc qui viendra leur répondre : «En 1930, l’équipe de France est partie à la Coupe du monde en bateau, pour 15 jours de traversée. Ils faisaient du sport sur le pont pour passer le temps !»
Des visages inconnus pour une Histoire connue
Puis les élèves découvrent Eugene Maes, ancien joueur emblématique du Red Star ayant participé à la Première Guerre mondiale. Premier grand buteur de l’équipe de France, il inscrira 15 buts en 11 matches. Blessé durant la guerre, il joue sous les couleurs du Stade Malherbe par la suite. Le professeur explique que cette guerre à laquelle Maes prend part est une guerre qui va impliquer chaque recoin de la planète, et notamment les colonies, qui vont devoir se battre pour la France. Face à une classe où de nombreux jeunes sont issus de l’immigration, ces propos trouvent écho. Il poursuit. Maes sera déporté à la Seconde Guerre mondiale, pour des «propos anti-allemands et gaullistes» et mourra en Allemagne, dans le camp de concentration de Dora-Mittelbau à Ellrich.
On présente ensuite aux élèves, Rino Della Negra. L’un des anciens joueurs les plus connus du Red Star, dont la tribune d’honneur du stade Bauer porte son nom. Dans un Red Star à l’image de la société, le club a débuté au milieu du XXe siècle avec des joueurs issus de l’immigration actuelle : espagnols, italiens, portugais, etc. Rino Della Negra, issu de la classe ouvrière et de l’immigration italienne, s’est engagé lors de la Seconde Guerre mondiale. Résistant, il refuse d’aller en Allemagne pour le STO et rejoint les Francs Tireurs Partisan Main d’œuvre Immigrée, dans le groupe dit «Manouchian». Il est de ces étrangers, héros de 39-45, qui ont résisté pour la France. Arrêté par la Gestapo en août 1944, il mourra fusillé sur le Mont-Valérien, à l’âge de 20 ans.
À LIRE AUSSI – Red Star, en plein Bauer
Les personnages historiques défilent sous les yeux des lycéens, qui découvrent peu à peu comment football, histoire et société s’entremêlent et construisent le monde jusqu’à aujourd’hui. Cartes en main, ils mettent des visages sur ces personnes qui font l’histoire de France.
Pour finir, les élèves découvrent Nestor Combin, un homme issu de la population immigrée, venu travailler en France dans les années 60. Le prof fait alors un parallèle avec cette population venue nombreuse pour grandir les rangs industriels. À Paris, ces travailleurs sont logés dans des bidonvilles à Saint-Ouen ou à Saint-Denis. M. Aurières explique que ces hommes sont «considérés comme de la chair à travailler». Nestor Combin, né à Las Rosas en Argentine, passera la majeure partie de sa carrière en France. Dans les rangs de l’OL entre 1959 et 1964, il choisira de jouer pour la sélection française, en n’y ayant pourtant aucune attache. Comme l’explique Vincent Duluc : «Lyon avait fait croire qu’il avait une grand-mère dans le Creusot pour qu’il ait la nationalité française.» Joueur de la Juventus et de l’AC Milan par la suite, il sera victime du fameux «Massacre de la Bombonera» lors de son retour en Argentine, les supporters de l’Albiceleste assez rancuniers sur son choix de sélection.
Un club, du football et des anecdotes
Après ce défilé de joueurs et d’évènements historiques du XXe siècle, le professeur tient à conclure en soulignant qu’«un club de foot, c’est le reflet de la société». S’illustrant sur le maillot du Red Star, mais aussi dans ces explications, il démontre que «l’immigration est une richesse pour le pays, et pour les clubs». «Vous êtes à l’image du club, dans une société mosaïque», poursuit-il. Et Vincent Duluc viendra compléter ses propos : «Un club est ancré dans un territoire, au sein d’une communauté.»
À LIRE AUSSI – [Géopolitique] Arrêt Bosman, Brexit, Chine et Qatar : on répond à vos questions
«Il y a un parallèle entre votre histoire et l’histoire de l’équipe de France», lance le journaliste de L’Équipe aux élèves. Curieux, ils se sentent alors davantage concernés. On leur rappelle les souvenirs de 98, de cette génération dite «Black, Blanc, Beurre», qui n’est pourtant pas connue par la majorité de la classe. Plus d’actualité, l’entrée de Camavinga avec l’équipe de France a rappelé le nom de Julien Verbrugghe, plus jeune joueur de l’équipe de France devant le Rennais. Tous deux issus de l’immigration, mais avec plus d’un siècle d’écart, le professeur d’histoire rappelle que «le métissage est l’histoire du sport».
Davantage concernés par cette dernière anecdote, les jeunes posent des questions aux différents intervenants : «Combien de fois le club a gagné la Coupe de France ?», « D’où vient la couleur verte du maillot ?» Steve Marlet explique qu’au départ, le club jouait en bleu, mais que cela a changé lors de la fusion avec l’Olympique de Pantin. Et Vincent Duluc effectue un parallèle avec l’histoire du maillot de la Juventus.
D’autres anecdotes viennent enrichir les discussions, l’histoire autour de l’étoile rouge sur le maillot souvent perçue comme communiste, qui donnera lieu à un partenariat avec le TFC dont le président s’était brouillé avec le maire. Surnommé «le milliardaire rouge», le président enverra ses troupes toulousaines jouer pendant une saison à St Ouen. «Mais ça ne fait pas trop loin pour un partenariat ?», demande un lycéen curieux. Et si, puisque finalement, le règlement interdira cette pratique quelques temps après.
«C’est qui le plus grand joueur qui a joué au club ?» Pour Steve Marlet, c’est Nestor Combin. Pour Vincent Duluc, c’est Safet Sušić, qu’il décrit aux élèves comme «le Modrić d’avant». La discussion s’engage autour du football, du supportérisme, de l’importance de l’histoire et de l’identité d’un club. Puis les anecdotes qui allient football et géopolitiques viennent questionner la classe. «Encore aujourd’hui dans les tirages de la Ligue des champions, il y a des tirages qui ne sont pas possibles, par exemple la Turquie ne peut pas jouer en Arménie et inversement», explique Vincent Duluc. De la main de Dieu de Maradona en pleine guerre des Malouines, à l’association d’un joueur américain et d’un joueur russe au Red Star en pleine guerre froide, les jeunes découvrent comment le football s’inscrit dans une histoire globale. Et c’est à leur plus grand étonnement.
Fin de séance, Steve Marlet fait un tour des rêves de chacun, où de nombreux garçons souhaitent devenir footballeur professionnel, tandis que des filles veulent devenir «médecin», «architecte» ou «psychologue scolaire». Tout le monde se réunit ensuite autour du maillot, de Steve Marlet, Vincent Duluc et leur professeur, pour une jolie photo souvenir. À la sortie, on discute avec Rayan, joueur à l’Academy du Red Star, qui confie qu’il ne connaît pas forcément l’histoire de son club, mais qu’il a l’envie d’en savoir plus. Pour lui, revêtir le maillot du Red Star à l’Academy est «un honneur», expliquant que «quand j’étais petit, je ne jouais pas au Red Star mais quand on jouait contre eux, fallait que gagner, gagner, parce que c’est un grand club.»
4 questions à Vincent Duluc
Que symbolise le Red Star pour vous ?
J’ai grandi dans l’histoire du foot tout petit (…) et pour moi, le Red Star, ça représente un siècle de sports, et puis un siècle de la vie à Paris et en France. C’est un club qui a toujours été un peu spécial. Tous mes copains de L’Équipe, quand je suis arrivé, avaient un rapport affectif avec le Red Star, des souvenirs de soirées à Bauer. Il y a une démarche sociale et historique dans ce club qui a un sens. En même temps, il y a une volonté de transmission et de pédagogie, que je trouve vraiment intéressante. Évidemment, le but c’est que le club soit ancré dans le territoire, que le club soit le club du 93. Et ce n’est pas n’importe quel territoire, c’est le territoire des JO 2024.
Ce maillot est-il une façon de faire parler du club, au-delà de ses performances sportives ?
Ce n’est pas une action très médiatique, même si j’aimerais qu’elle le soit. Mais le fait qu’elle soit uniquement tournée vers le tissu social, la communauté, autant que vers soi-même, c’est ça que j’aime. (…) Il y a des clubs dont la seule démarche va être de calculer le prix du maillot à vendre en boutique, et là il y a autre chose. Il y a se rapprocher des gens, et montrer qu’un club peut être le coeur d’une communauté. Beaucoup de clubs professionnels en France font ce type d’actions sociales, ont des fondations, vont dans les classes, les hôpitaux, font des trucs pour l’emploi, etc. De plus en plus, les clubs comprennent qu’ils ne peuvent pas rester en dehors de la vie et s’impliquent comme ça. Ça rentre un peu dans cette lignée et je pense qu’à Paris, ça reste plus difficile. Mais c’est important de sensibiliser le département à l’histoire d’un club. Le Red Star raconte l’histoire de 120 ans de banlieue parisienne.
Est-ce qu’un club comme le PSG ne va pas être davantage attrayant pour les jeunes, comme ceux avec nous ce matin ?
Il faut faire la différence entre le club qui va attirer la lumière parce que l’argent venu d’ailleurs lui a permis de recruter des joueurs qui vont attirer cette lumière, et un club qui essaie d’exister en se débattant tout seul, en gardant une démarche qui a un sens. Ce sont deux démarches complètement opposées. Il y a des démarches modernes avec des actionnaires étrangers qui bouleversent complètement les équilibres et là, il y a une démarche qui est comment se construire, trouver un élan local et populaire. Ce sont des démarches opposées, mais je pense qu’à terme, s’il y a une morale, il y aura des gens sensibles à cette démarche-là. Ils ne regarderont pas seulement où est la lumière.
Dans un contexte sanitaire qui restreint nos déplacements, est-ce que certains pourraient être tentés à se rapprocher de clubs comme le Red Star ?
Non, le contexte ne va pas forcément favoriser un club comme le Red Star. C’est difficile pour tout le monde et c’est difficile pour le Red Star aussi. Les modèles économiques des clubs dépendent tellement des recettes des jours de match. Surtout quand on est en National comme le Red Star. C’est quand même les meilleures merguez et les merguez les moins chères de tout le football parisien. C’est dommage que l’on en soit privé ! Mais heureusement il y a un peu de public.