La Finlande, nouveauté venue du froid

La taïga parcourue par des troupeaux de rennes, un sauna, un vieux Nokia, le village du Père Noël, Raïkkönen et Botta. Lorsqu’on évoque la Finlande, le football est rarement la première pensée qui nous vient à l’esprit. Pourtant, au pays du pesäpallo (sorte de baseball) et du hockey sur glace, le ballon rond arrive à se faire une place. Et les Huuhkajat (les hiboux grands ducs, surnom de la sélection) ont même réussi à se qualifier pour la première compétition internationale de leur histoire, l’Euro 2020.

Une sélection habituée à l’ombre

Membre de la FIFA depuis 1908, l’équipe de Finlande dispute son premier match dès 1911 face au voisin suédois (défaite 2-5). Pourtant, les Finnois vont traverser la première partie du XXème siècle comme des ombres. Aucun résultat notable n’est à relever.
À partir des années 1980, la situation s’améliore. De dépassée, la sélection passe au statut d’éternelle déçue. La qualification à l’Euro 1980 est ratée d’un point, celle au mondial mexicain de 1986 pour deux unités. Pour l’édition 1998, la qualification est possible jusqu’à la dernière journée au cours de laquelle il faut battre la Hongrie, deuxième du groupe, qui devance la Finlande d’un petit point. En vain, l’équipe concédant le match nul (1-1) dans les arrêts de jeu. Troisième lors des campagnes qualificatives pour l’Euro 2000, derrière l’Allemagne et la Turquie (cette dernière étant pourtant battue 3-1 à Helsinki), et en vue du mondial 2002, devancée cette fois par l’Allemagne et l’Angleterre (en dépit de deux matches nuls à domicile face à ces nations, 2-2 et 0-0). Pour l’Euro 2008 et la Coupe du monde 2010, les Huuhkajat terminent à, respectivement, à trois puis quatre points des Portugais et des Russes.
Ces résultats relativement bons ont été acquis dans le sillage des plus grands joueurs de l’histoire du pays : Jari Litmanen et Sami Hyypiä.
Le premier, ancien de l’Ajax (avec qui il a notamment reporté la Ligue des champions 1995) et du FC Barcelone, sera sélectionné 137 fois (record national) entre 1989 et 2010, inscrivant 32 buts (record national également). Hyypïa, qui compte plus de 450 matchs avec les Reds et la Ligue des champions 2005, sera capé 106 fois sur la période 1992-2011. À leurs côtés, évoluent des joueurs de qualité comme Mikael Forssell (passé notamment par Chelsea, Crystal Palace et Birmingham City, auteur de 29 buts en 87 sélections), Jonathan Johansson (double champion d’Écosse avec les Rangers, 21 buts en 107 sélections) ou Hannu Tihinen (double champion de Belgique avec Anderlecht et de Suisse avec le FC Zurich, 76 fois sélectionné entre 1999 et 2010).
Ainsi, lorsque cette génération dorée qui, près d’une vingtaine d’années durant, aura lutté pour une qualification internationale sans jamais y parvenir raccroche les crampons, l’avenir des Huuhkajat semble bien sombre.
Le début des années 2010 confirme les inquiétudes et voit les Finnois incapable de se mêler à la lutte pour la qualification aux Euros 2012 et 2016 ainsi qu’au Mondial 2014.

Une qualification historique, au moment où on l’attendait le moins

Le parcours victorieux débute décembre 2016 lors de la nomination de l’actuel sélectionneur et ancien international, Markku Kanerva. Déjà à la tête de la sélection le temps de deux intérims en 2011 et 2015, l’ancien défenseur central se voit cette fois confier les rênes de manière pérenne. Rapidement, les résultats et le jeu s’améliorent. Les Finnois finissent même en tête de la poule C de Ligue des nations en 2018, devant la Grèce, la Hongrie et l’Estonie. Rien d’impressionnant vu de France, mais Grecs et Hongrois représentent de jolis morceaux pour les Huuhkajat. Seulement vaincu en terre hellénique (1-0) et à Budapest (2-0), ils remportent leurs quatre autres matchs sans encaisser de buts. Cette première place leur offre un billet pour les barrages de l’Euro 2020 en plus d’une promotion en poule B. Le Graal n’avait déjà jamais été si proche.
Mais cette équipe qui a goûté à la victoire en veut plus. Dans un groupe constitué de l’Italie, de la Grèce, de la Bosnie, de l’Arménie et du Liechtenstein, la qualification directe semble possible. Pour cela il faut finir parmi les deux premiers. Derrière la Squadra Azzurra , les Finlandais ont un coup à jouer.
Les deux premiers matchs en mars 2019 se soldent par une défaite en Italie (2-0) et une victoire en Arménie (0-2). Deux mois plus tard, les hommes de Kanerva s’imposent deux fois face à la Bosnie (2-0) et à Vaduz (0-2). Les voilà bien engagés. Cette tendance va être confirmée en septembre de la même année par la victoire à Tampere devant la Grèce (1-0) malgré la défaite à domicile face aux Italiens (1-2). Un mois après, solide deuxième, l’équipe de Finlande est secoué en Bosnie (4-1) mais assure face à l’Arménie (3-0). Dès lors, une victoire lors de l’avant-dernière journée face au Liechtenstein suffira à assurer la deuxième place. Le 15 novembre 2019, à la Bolt Arena d’Helsinki, un doublé de Teemu Pukki et un but de Jasse Tuominen officialisent la première qualification pour une compétition internationale de la sélection finlandaise.

La recette du succès

Mais comment Markku Kanerva et une génération moins qualitative que les précédentes ont-ils réussis pareil exploit ?
Tactiquement, la recette est relativement simple. Mais parfaitement maîtrisé elle n’en reste pas moins efficace. Au menu, 4-4-2 à plat, compact, coordonné et agressif. Bien en place et disciplinés en défense placée, les Finnois saisissent à la moindre occasion pour bondir sur l’adversaire et le repousser. Dans cette organisation, pas de privilèges, les onze joueurs de champ travaillent de concert. Ainsi, avec rigueur, abnégation et quadrillage optimal de l’espace, les Huuhkajat présentent de très solides garanties défensives : toutes leurs victoires en qualification ont été accompagnées d’un clean sheet.
Offensivement, les valeurs sont les mêmes : coordination et intensité. Les deux attaquants bougent et proposent beaucoup, les milieux excentrés multiplient les courses, les axiaux n’hésitent pas à dépasser leur fonction et les latéraux à se projeter. Contrairement à l’Islande en 2016, autre Petit Poucet nordique aligné en 4-4-2 avec qui l’analogie est tentante, le jeu est moins direct. Projections, dézonages et permutations remplacent les longs ballons et autres touches en mode catapulte. Il n’est par exemple pas rare de voir des phases de préparation à base de jeu court dans les premiers mètres ou des triangles se former sur les côtés. Face aux équipes inférieures ou de niveau proche, les Finlandais ne se défaussent pas.
Face à l’Italie en qualifications, au Pays de Galles et l’Irlande en Ligue des nations en septembre dernier, l’équipe a aussi évolué en 5-3-2, travaillant ainsi une nouvelle corde à son arc pour faire face à des équipes plus talentueuses. C’est d’ailleurs dans cette configuration que la rencontre face à la France pourrait être abordée.
Pour un plat réussi, outre une bonne recette, la qualité des ingrédients est primordiale. Dans les bois, Lukáš Hrádecký, titulaire à Leverkusen, apporte de solides garanties. Il est le joueur finlandais évoluant dans les plus hautes sphères au quotidien. Jere Uronen, joueur de Genk, titulaire à gauche de la défense, se met en évidence par sa belle activité. Dans l’axe, Paulus Arajuuri et Joona Toivo forment une charnière solide au duel et expérimentée. L’ambidextre de l’Impact Montréal, Jukka Raitala, est l’habituel occupant du couloir droit. Le double pivot est constitué du capitaine Tim Sparv et de Gen Kamara. Ce dernier, joueur des Rangers, est sans doute le meilleur élément de l’équipe. Doté d’un énorme volume de jeu, il y allie bonne qualité technique et récupération, tonicité et vision du jeu. Un véritable starter, tant pour presser qu’accélérer le jeu, il rayonne. Robin Lod, qui tient le côté gauche du milieu de terrain, apporte beaucoup par sa grande activité et ses dézonages. De l’autre côté Robert Taylor, joueur du club norvégien de Brann et Pyry Soiri chez les Danois d’Esbjerg partagent généralement la place. Et enfin Teemu Pukki, avec 10 buts en 10 matchs de qualification pour l’Euro, est un véritable sniper. Logique au pays de Simo Häyhä. Deux joueurs de Bundesliga se relaient pour l’accompagner. Si le polyvalent Fredrik Jensen, milieu offenisf d’Augsbourg, devance l’aérien Joel Pohjanpalo de l’Union Berlin dans la hiérarchie, chacun apporte ses qualités.

Après de longues années de frustration passées loin de l’effervescence des grands événements internationaux, la Finlande du foot s’apprête à découvrir de nouvelles sensations. Loin d’être la sélection la plus talentueuse du circuit, les Huuhkajat compensent par leur rigueur, leur combativité et leurs certitudes tactiques. La confrontation amicale face au Bleu est une bonne occasion de se familiariser avec une équipe qui pourrait faire parler d’elle en juin prochain.

Crédits photo : Newspix / Icon Sport.

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