Villarreal sans Gerard Moreno, c’est un peu comme une paella sans safran. Dans les deux cas, ce joli jaune tellement plaisant à l’œil ne serait pas vraiment le même. Si le fameux plat de la Comunidad Valenciana est protégée par une AOC, ce bon Gerard mériterait lui aussi un label « beau jeu ».
À 28 ans, la recette de l’attaquant espagnol est l’une des plus goûtues du championnat. Le secret est pourtant simple : des ingrédients de grande qualité. Une cuillère de sens du jeu, un zeste de finition et une pointe de technique pour un résultat savoureux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Gerard donne du grain à moudre aux défenses adverses.
Des Blanquiazules au submarino amarillo
Gerard Moreno Balagueró de son nom complet naît en Catalogne le 7 avril 1992. C’est dans cette terre de football qu’il rencontre le ballon rond et devient très vite copain avec lui. Gerard commence donc en club et rejoint en 2001 le centre de formation de l’Espanyol Barcelone. Il admire particulièrement Raúl Tamudo, mythique attaquant des Pericos. Nul doute qu’il s’inspire du jeu de son élégant aîné, rêvant un jour de reprendre ce joli flambeau.
Après six saisons chez les bleus et blancs, Gerard poursuit sa formation dans la région, à Badalona. Chez les jeunes il est remarqué, tant pour ses golazos que son intelligence et c’est Villarreal qui sent le bon filon. En 2010, il prend ses valises et quitte enfin papa maman pour rejoindre la province de Castellón. L’attaquant fait ses gammes en équipe C mais la paëlla se transforme en gâteau et Gerard mange tout le monde en Tercera División (quatrième division). Résultat, 34 buts en 39 matches et promotion en équipe B.
Jusqu’en 2013, il alterne entre seconde et troisième division avec l’équipe première qui vient d’être reléguée et la B. Finalement, pas de panne d’ascenseur et Villarreal remonte dans la foulée. Pas assez mûr pour la Liga, déjà trop fort pour la Segunda División B, Gerard est donc prêté aux copains de Majorque en Segunda División. L’air des Baléares doit lui plaire et le gaucher file comme le vent, 11 buts en championnat et un bien bel aperçu de ses qualités dans le jeu.
Retour en terres valenciennes et découverte de l’élite pour l’attaquant catalan dès la saison 2014-2015. Une année encourageante avec 16 réalisations en 39 parties dont 4 en Europa League. Malheureusement, les arrivées de Bakambu et Soldado l’été suivant poussent Gerard vers la sortie. Pour ça, rien de mieux qu’un retour aux sources et le buteur va enfin jouer sous les couleurs de son club formateur.
15 – Gerard Moreno is the first Espanyol player to reach 15 goals in a single La Liga campaign since Raúl Tamudo in 2006/07 (15). History. pic.twitter.com/wmEuiMaFnU
— OptaJose (@OptaJose) April 28, 2018
En trois saisons chez les perruches, le garçon du pays s’impose comme une valeur sûre et efficace de Liga. L’attaquant a la gâchette facile mais ne vit pas qu’à travers le but, se portant héritier de son illustre modèle Tamudo. Alors sa côte grimpe, mais surprise, Villarreal n’avait cédé que 50% de ses droits à l’Espanyol en 2015. La bonne affaire est dans le sac pour le sous-marin jaune qui rapatrie son Catalan adoré pour 20 millions, soit la moitié de sa clause, à l’été 2018.
L’attaquant qui savait tout faire
Gerard Moreno, attaquant de 1m80, n’est pas particulièrement rapide. Il n’est pas non plus très puissant d’ailleurs. En revanche, son cerveau lui ressemble bien à une F1. Et moteur Mercedes s’il vous plaît. D’une grande intelligence sur le terrain, sa lecture et son interprétation du jeu sont des sens fort développés chez lui. Redoutable dans la surface mais tout aussi à l’aise loin des buts, Gerard est l’archétype du neuf moderne qui ne vit pas qu’à travers les chiffres.
Le Catalan est très polyvalent et sait faire beaucoup de choses. Tactiquement d’abord, c’est un modèle de flexibilité. Il s’épanouit autant en fer de lance d’un 4-2-3-1, dans un 4-4-2 à deux pointes ou bien sur l’aile droite d’un 4-3-3. Sa large palette lui permet donc d’être associé à un attaquant plus unidimensionnel, pour qui il créera des espaces grâce à ses mouvements. Mais il peut aussi faire office de tueur dans la surface et composer avec des profils créateurs autour de lui.
Le numéro 7 est un redoutable finisseur, gaucher mais loin d’être fâché avec son mauvais pied. Sur ses 75 buts en Liga dans sa carrière, Gerard en a planté 12 de sa patte droite. Mais plaisir d’offrir avant tout, 11 de ses 18 passes décisives ont été réalisées pied faible. Doté d’une bonne frappe de balle, il sait tout autant caresser la gonfle lorsque la finition exige plus de finesse. L’an passé en Liga, il frappe 18 fois mais son indicateur d’expected goals annonce 13,4 xG. Plus 4,6 buts qu’attendu donc, soit le second joueur le plus efficace du championnat derrière Messi. (stats via fbref.com)
Le goleador obtient d’ailleurs le trophée Zarra, qui ne récompense pas du tout le joueur le plus stylé mais bien l’Espagnol qui a scoré le plus en Liga. Mais ne croyez pas que Gerard n’est bon qu’à faire trembler les filets, sa palette est bien plus large que ça. Avec 5 passes décisives l’an passé, seul Santi Cazorla le dépassait dans son équipe. Sur attaque placée, ses mouvements en font un joueur fort difficile à marquer. Il est ainsi capable de sévir comme un poison dans la surface mais peut aussi jouer au large. Lorsqu’il s’excentre, il est particulièrement habile pour déposer de petits coups de papattes au second poteau.
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La plus-value du Catalan se manifeste donc tout autant lorsqu’il s’éloigne des buts. Ses décrochages sont nombreux et il bénéficie pleinement de sa qualité au moment de s’intercaler entre les lignes, faisant de lui un relai idéal pour ses partenaires au milieu de terrain. Il touche un nombre important de ballons pour un attaquant avec 55,7 par match cette saison en moyenne. Dans cette position reculée, ses remises très justes sont essentielles dans le jeu de transition et Gerard est la cible privilégiée pour monter le bloc sans perdre la balle.
L’un de ses gestes fétiches est la prise de balle sur son côté droit, souvent dos au jeu, pour un renversement vers le couloir opposé. Il fixe donc d’abord son vis-à-vis direct puis déséquilibre le bloc adverse en orientant le jeu de l’autre côté du terrain. L’espace libéré, il va lui-même en profiter grâce à ses appels dans le dos qui prennent bien souvent à défaut la défense adverse. Mais il maîtrise aussi cette mécanique dans le derniers tiers. Servi entre la ligne de touche et la surface, il est habitué à rentrer intérieur balle au pied avant de frapper ou décaler un partenaire démarqué.
Cette habilité au contact du ballon se justifie aussi par une belle qualité de dribble. Avec 2,2 éliminations par match à 67% de réussite, Gerard est le meilleur de son équipe à ce petit jeu et le huitième de Liga cette saison. Grâce à son timing et sa détente verticale, l’Espagnol est aussi un bon joueur de tête. Il remporte en moyenne 2,4 duels aériens par match. Enfin, il se rend utile lors des phases défensives, autant au pressing qu’à l’occasion du repli lorsque l’équipe joue plus bas.
Don Gerard
Pour ses grands débuts, Unai Emery a connu un départ mitigé en terme de jeu. Le collectif est assez poussif avec un groupe qui a connu quelques changements. Si depuis les choses vont mieux, il y en a un qui n’a pas attendu pour régaler. Il s’agit bien sûr du classieux Don Gerard Moreno, plus à l’aise que jamais avec la baballe.
L’entraîneur basque positionne essentiellement le Catalan à droite cette saison, dans un 4-3-3 qui met en lumière ses qualités dans le jeu. Ce schéma lui offre une grande liberté entre les lignes et Gerard évolue finalement assez bas pour un attaquant. Sa zone d’activité se situe principalement autour de la ligne médiane et c’est bien dans ce rôle d’animateur offensif qu’on l’exploite le plus. Il finit en général les matches en pointe avec la rentrée de Chukwueze qui prend alors l’aile droite.
Dans ce système, Paco Alcácer joue en pointe avec un profil de pur 9 beaucoup plus archaïque. Il ne touche que 19,1 ballons par rencontre et se manifeste principalement au moment de conclure. D’où l’intérêt de l’association avec Gerard. Ses décrochages et sa participation au jeu permettent à Paco de bénéficier d’une position plus figée dans la surface. De la même manière, ce dernier fixe aussi les centraux et libère l’espace pour les autres attaquants. Bien que sa participation au jeu soit minime, son impact statistique pèse 5 buts et 2 passes décisives cette saison.
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Avec les 6 réalisations de Gerard, ils cumulent à eux deux plus de 70% des buts de Villarreal en championnat. Seulement, sur l’ensemble des réalisations du Catalan, 4 ont été inscrites sur penalty. Son indicateur de buts attendus sans penalty affiche 3,1 npxG tandis que celui de son compère Paco est légèrement supérieur. Pourtant, Gerard tire presque deux fois plus au but avec 2,4 tentatives par partie. C’est aussi un signe de sa position plus lointaine que la saison passée, ce qui lui procure moins de grosses occasions. Ce rôle différent permet en partie de compenser le départ du profil créatif de Santi Cazorla, essentiel la saison dernière.
L’animation de Emery peut rapidement se muer en 4-4-2, notamment grâce à Manu Trigueros qui coulisse sur la droite lorsque Gerard rentre dans l’axe. Ce mécanisme a été particulièrement visible la semaine dernière face à la Real Sociedad (1-1). Sur les phases de pressing, Gerard Moreno et Bacca montaient en première ligne et gênaient la relance des centraux basques. Dans le même temps, Trigueros bloque le couloir droit et compense le déplacement de son coéquipier.
L’attaquant catalan est d’ailleurs loin de disparaître dans les gros matches. S’il n’a pas tremblé face au leader basque sur penalty, l’une de ses cibles préférées est le Real Madrid. Au cours de sa carrière, il a planté à cinq reprises face à la Casa Blanca. Son idole Raúl Tamudo avait traumatisé toute une génération de Barcelonais en privant les Blaugranas du titre, Gerard varie les plaisirs et taquine les Madrilènes.
L’attaquant de Villarreal a vraiment le foot dans la peau, au sens propre du terme. Sa cicatrice au menton est la cause d’un accident lorsqu’il avait 6 ans. En escaladant un but, il tombe et s’abîme violemment. Résultat : 37 points de suture. Mais quand on aime on ne compte pas et ça n’a pas empêché Gerard de donner plein d’affection au ballon. Finalement, peut-être est-ce cela son ingrédient secret. Beaucoup d’amour.
Crédit photo : Icon Sport.