The Beautiful Game parle de pays à l’histoire lourde avec, au milieu, un ballon qui continue à rouler.
Les voyages sont multiples, les destins contrastés et il n’y a pas toujours de happy end. Mais s’il fallait trouver un fil rouge au dernier ouvrage de Romain Molina, il serait dans cette citation d’employés de la FIFA. Un constat qu’il faut retranscrire in extenso pour mesurer ses conséquences.
«Le pouvoir des fédérations de football dépasse l’entendement. Un président de fédération a plus de pouvoir qu’un ministre des sports dans son pays. Il fait plus ou moins ce qu’il veut car, si jamais il a des soucis avec son gouvernement, il agite la menace des ingérences politiques. C’est une formule magique, aucun gouvernement ne veut être suspendu d’activités footballistiques par la FIFA. Et ça marche aussi dans l’autre sens: on ne dit rien aux fédérations car ce sont des électeurs. Un pays, c’est un vote.»
Si cela peut sembler évident, tous les suiveurs connaissant l’influence du sport le plus populaire de la planète et le niveau de corruption des instances internationales, les implications sont souvent abstraites. En racontant le football des pays qu’on ne voit jamais dans les grandes compétitions, The Beautiful Game ne regarde pas le battement d’aile du papillon mais la tornade au Texas.
Ici, le Texas est remplacé par le Yémen, l’Irak, le Cambodge, Cuba, le Guatemala, le Népal ou l’Afghanistan. Et la tornade fait des dégâts durables. Sous-titré «Foot, guerres et politique / Des footballeurs face au destin», le livre aborde en effet des sujets lourds. Des contextes où la question n’est pas tant de savoir comment on joue mais pourquoi.
Histoire et histoires
Au fil des pages, on en apprend bien plus sur les pays, leur histoire et leur culture, que sur le jeu. Le rôle de l’United Fruit Company dans la vie politique en Amérique centrale, la guerre civile au Yémen, les tremblements de terre au Népal, les alliances entre pays et l’influence sur les frontières… Des épisodes lourds, qui marquent des peuples. Et donc les footballeurs, dans des endroits où les joueurs, généralement loin du professionnalisme, ne sont pas des privilégiés mais des gens comme les autres.
Investis d’une mission importante, représenter le pays au niveau international, ils en payent parfois le prix. Décrites de manière crue bien que volontairement limitées dans les détails, les séances de tortures d’Uday Hussein en Irak font froid dans le dos. La mort de quasiment toute la sélection cambodgienne lors des massacres de Pol Pot ou les mois d’exil de celle du Yémen pendant la guerre civile posent, à leur niveau, la question du rapport au jeu.
Chaque semaine, on apprend qu'il y a d'autres personnes impliquées dans des abus sexuels liés à la fédération haïtienne & le centre FIFA-Goal avec de jeunes filles.
Dadou offrait ainsi une fille à un instructeur FIFA qui venait "auditer" et "s'assurer" que tout se passe bien
— Romain Molina (@Romain_Molina) December 7, 2020
Avec des yeux d’Européens privilégiés, les sacrifices consentis pour réaliser des rêves d’enfants semblent démesurés. Un dilemme d’ailleurs vécu par la sélection irakienne, vainqueur de la Coupe d’Asie 2007 en Indonésie alors que ses membres perdaient de la famille au pays. Pourtant, le ballon ne s’est jamais arrêté de tourner – même si les victoires n’ont pas souvent suivi les drames.
Docile otage
Très sombre dans la description qui en est jusqu’ici faite, The Beautiful Game comporte tout de même de jolies histoires. Des portraits de joueurs au talent relatif qui, affrontant les obstacles, se sont retrouvés à jouer des grands matches internationaux dans des stades remplis et relativisent aujourd’hui les péripéties d’alors. Car, heureusement, elles sont parfois plus légères: soucis administratifs, logistiques, linguistiques… Rien – assurent la plupart des intéressés – en comparaison des minutes passées avec le maillot national.
Si les situations politiques entre les pays visités au fil des pages n’ont en commun qu’un rapport torturé à la démocratie, le football y vit la même ambiguïté, à la fois solution et problème. Solution, parce qu’il permet de retrouver une forme d’unité nationale et offre des espoirs d’avenir meilleur. Problème, parce que les enjeux financiers sont trop grands pour résister à la faiblesse des hommes. Sans parler de la politique extérieure, les victoires ayant le pouvoir de renvoyer l’image d’une nation forte…
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Et c’est ici que résonnent les mots de nos employés de la FIFA cités plus haut. Trop puissante pour être contestée, la fédération joue partout un rôle politique. Louable sur le papier, sa volonté de distribuer de l’argent aux délaissés du foot pour accélérer leur développement ne fait l’objet d’aucun traçage. Pourquoi demander des comptes sur l’utilisation de tous ces millions quand regarder ailleurs permet de garder le soutien de celui qui les reçoit ?
Chacun à leur façon, les très nombreux témoins rencontrés par Romain Molina montrent un attachement au football qui les amène dans des situations difficilement imaginables vu d’ici. Le livre refermé, leurs noms sont pour la plupart oubliés, comme ils le sont souvent au sein de leur propre pays, mais pas leurs destins. Reste alors un goût doux amer. Le constat que, quelle que soit la stabilité politique, le football est le plus beau des rêves et le plus docile des otages.
The Beautiful Game
Auteur : Romain Molina
Aux éditions Exuvie
Prix : 18,00 euros
Disponible ici
Par Christophe Kuchly (@CKuchly)