[Premier League] Paradoxale Activité à Brighton, scénarisé par Graham Potter

12 points en 6 matches. Jamais les Seagulls n’avaient plané sur une telle dynamique depuis la venue de Graham Potter. L’élégante méthode du coach anglais a enfin payé mais Crystal Palace et West Bromwich sont venus couper court à l’euphorie. Brighton ne pointe encore qu’à la 16ème place. Ambitieux, rarement récompensé et jamais régulier, le club flirte avec une malchance scandaleuse. Cap sur une saison paradoxale, entre expected points, poteaux, jeu flamboyant et running gag.

En Premier League, la tradition est d’embaucher un pompier courageux afin de se maintenir. Du bloc bac et des contres, de la sueur et des tacles. Audacieux, Brighton mise sur un pompier de luxe. Son attirail : un casque lustré, une combinaison sur mesure et une échelle solide pour transpercer le plafond de BHA (Brighton & Hove Albion, ndlr). Recruté à l’été 2019, Graham Potter n’a pas seulement pour ordre de survivre en PL à coup de massages cardiaques. Non, à terme, les Seagulls veulent se stabiliser plus haut. Et pour ce faire, Potter se base sur des plans d’intervention raffinés. Seulement, dans sa panoplie de pompier parfait, Graham possède un encombrant objet. Un miroir qui transforme jeu harmonieux et grosses occasions en une maigre récolte de points.

Échecs et maths

Les phénomènes de mode, vous connaissez ? Comme commencer à jouer aux échecs après avoir regardé une héroïne rousse, surdouée et accro aux pilules faire un carton sur Netflix. En Angleterre, c’est Potter qui joue aux échecs et les pilules, ce sont les supporters de Brighton qui les avalent à longueur de week-end. Une malchance à l’origine d’un autre phénomène de mode : se payer les Seagulls sur les réseaux sociaux en comparant les résultats réels de leurs matches avec ceux obtenus via les expected goals.

Brighton est actuellement 16ème avec 26 points. Selon le classement corrigé des expected points, les joueurs du Sussex «devraient» figurer sur le 4ème siège du championnat. Bien loin de la zone rouge et d’éventuels running gag. Dans la même veine, si Maupay & co n’avaient pas autant vendangé, BHA collectionnerait 41 pions contre 26 à l’heure actuelle. Si ses stats sont à prendre avec recul et ne détiennent pas la vérité d’une saison, elles n’en demeurent pas moins révélatrices.

Les Mouettes égayent l’oiseau bleu, mais leur inefficacité aurait de quoi rendre fou Tony Bloom, propriétaire du club depuis 2009. Ce pur supporter de Brighton a fait décoller l’écurie de League One (D3) pour rejoindre l’élite. Déménageant au passage à l’Amex Stadium et dans le moderne centre d’entraînement de Lancing. Des moyens mis au service de réelles ambitions, selon Andy Naylor, correspondant à Brighton pour The Athletic : «Leur but à long terme est de faire du club, un club qui regarde vers le haut. Vers le top 10 plutôt que de toujours regarder derrière et de rester dans le bottom six.» Et pour que le vent tourne, le board a remplacé le défensif Hughton, fort de deux maintiens, par Graham Potter.

Paradoxale Activity

«Ils le voulaient car il a un style très différent de Chris Hughton, explique Andy Naylor. Graham aime ressortir depuis l’arrière, un style de jeu moderne pour progresser sur les différentes zones du terrain jusqu’au dernier tiers.» 15èmes l’an passé, les Seagulls ont compilé 41 points pour la première danse du coach anglais. Un record pour BHA. Pourtant cette saison le classement ne rendra pas Hughton jaloux. Pire, sur l’année 2020, Brighton n’a remporté qu’un match de championnat à domicile et est abonné aux nuls.

«Ils ont manqué des occasions – et ils défendent bien, ils n’accordent que très peu d’occasions aux adversaires – mais ils ont encaissé sur des erreurs individuelles et aussi sur coups de pied arrêtés», précise le spécialiste des Seagulls. Ces ingrédients forment un étonnant mélange de paradoxes. Lorsque l’on secoue le fond de la PL, ressortent majoritairement des équipes expérimentées et peu entreprenantes. Brighton a l’effectif le plus jeune du championnat, son jeu ne laisse pas indifférent mais propose des résultats terriblement neutres. Le tout en gênant les gros et en épargnant leurs concurrents pour le maintien. Dernier exemple en date : le revers dramatique contre les Baggies de Big Sam (1-0). 19ème, WBA a eu les nerfs plus solides alors que les Mouettes ont produit un déchet inhabituel. Et pour ne pas trop dépayser ses suiveurs, BHA a manqué deux penalties et essuyé un sacré quiproquo arbitral.

Des émotions, les supporters en vivent. Cependant ils préféraient sûrement des vols sans turbulences aux loopings made in Seagulls. «Les supporters de Brighton n’ont pas beaucoup de patience. Ce n’est pas qu’en football, c’est pareil dans la vie de tous les jours», se marre Andy.

Croire en Potter et attaque empotée

Dans le football moderne, la patience est pourtant payante. La cohérence aussi. Sous la tutelle de Paul Barber et Dan Ashworth, respectivement directeurs général et technique, Potter a son influence lors des mercatos. De Östersund à Brighton en passant par Swansea, il a toujours été suivi du recruteur Kyle Macaulay.

L’entraîneur de 45 ans s’est construit un groupe sur mesure. Chamboulé, l’effectif a gagné en talent et en jeunesse. Et aussi en une naïveté qui lui a fait perdre pas mal de points. Brighton ne s’est pas faite en un jour et Andy Naylor abonde en ce sens : «Il a fallut reconstruire un esprit d’équipe. Cela a pris du temps mais il y a désormais de réels signes qui montrent que les joueurs jouent les uns pour les autres et pour Potter.»

Il est clair que Graham a inculqué cette identité de jeu qui amène ses joueurs les plus reculés à prendre des risques et donc, aussi, à commettre des erreurs. Entre buts casquettes et loupés face aux cages, les oreilles de certains ont sifflé. Celles de Potter aussi. Alors que Brighton n’a longtemps compté que deux points d’avance sur la zone rouge, certains fans demandaient sa tête. Le board «n’a jamais écouté ce bruit» selon le journaliste. Une confiance récemment récompensée.

Série all-time

2021 a sonné et les Seagulls sont toujours aussi dominants sur l’ensemble du terrain. Mieux, ils ont progressé dans leur surface. Après les épisodes Wolves (3-3) et City (1-0), BHA a glané 12 points sur 18 possibles en disposant de Leeds, Liverpool et Tottenham (1-0). Pourtant pour Andy Naylor, c’est comme si rien n’avait changé «dans leur manière de jouer et d’approcher les matches.» Ou presque. «Le changement le plus important est probablement le poste de gardien.» Initialement numéro 4, Robert Sánchez s’est imposé au dépens de Mat Ryan. Selon les post-shot expected goals*, l’Australien a coûté 3 buts sur 11 matches. L’Espagnol lui, a «sauvé» près de 3 pions.

Sánchez est plus grand (1,97m) et fait sa loi à chaque sortie aérienne. À l’aise au pied et intelligent, il a aussi été excellent sur sa ligne. Devant lui, les trois centraux assurent. Dunk a nourrit les Mouettes de points. Le capitaine a marqué trois fois sur corner et multiplie les sauvetages. Un leader habile entouré des techniques White et Webster. Essentiels à la relance, ils fixent la première ligne adverse et disposent d’un bon jeu long pour exploiter la profondeur créée. Ils peuvent aussi éliminer le premier pressing et avaler l’espace jusqu’au deuxième rideau.

Des qualités de projection utiles jusque sur les côtés. Ben White aime dédoubler dans le dos de Joël Veltman. Désormais omniprésent, le piston droit pallie l’absence de Tariq Lamptey depuis décembre. Plus fiable défensivement, le Néerlandais profite de sa forme étincelante pour briller très haut sur son côté.

Les latéraux de l’Amex apportent verticalité et largeur face à des blocs regroupés au centre. Ils aèrent l’axe et se délectent des transversales reçues après avoir vu le jeu progresser à l’opposé.

Flexibilité et Bissouma

Autre atout de Potter : sa flexibilité. «La composition évolue, les joueurs changent souvent de positions, pas seulement entre les rencontres mais aussi pendant les matches», précise Andy Naylor. L’animation du système est mouvante et ses poulains voient différents coins du pré.

Burn a pallié l’absence de Webster lors des trois dernières sorties. Blessé pour une longue durée, March a laissé son poste à Alzate ou à Burn. L’Anglais a aussi été numériquement remplacé par Connolly, ailier gauche du 4-2-3-1 dessiné contre WBA. Via DemiVolée.

Les principes sont établis, Brighton aime avoir le ballon mais s’adapte aux caractéristiques adverses. Exemple : Potter s’est payé Bielsa. BHA a profité de l’absence de Phillips pour isoler la sentinelle Struijk. Perdu dans la densité, il fût rarement trouvé ou jamais en mesure de récompenser les appels des coéquipiers. Coupé en deux, Leeds a été pilonné par les projections des centraux.

Le rouquin a su impliquer de nombreuses têtes au gré des blessures et du calendrier. L’équilibre règne, les jeunes se révèlent, les recrues mûrissent et les vétérans veillent. Fragiles, Lallana joue néanmoins l’électron libre stabilisateur et Welbeck a été clutch.

Généralement aligné en 3-4-2-1 ou 3-5-2, Brighton est porté par la régularité de Bissouma et la forme de Trossard. Le Malien est le milieu le plus reculé et le plus influent. Il peut aussi bien larguer des bombes des 30 mètres, qu’orienter le jeu devant la surface. À la relance, Yves joue l’appât à pression. Trouvé devant la défense, il fait parler sa technique et choisit la bonne solution entre conserver pour remiser dos au jeu ou au contraire, se sortir du pressing pour se projeter.

Nouveaux facteurs X

Les passes lasers des éléments les plus bas touchent ensuite les pistons et leur gros volume de jeu ou bien le trio offensif. Très mobiles, les trois compères se connectent dans l’axe et ouvrent les couloirs aux latéraux. Avec eux, les transitions offensives de l’équipe sont entre de bons pieds. Leandro Trossard brille par ses décrochages, ses percussions et sa capacité à conserver dans le camp opposé. Entre les lignes, lui et Maupay jouent juste mais peut-être pas autant que Mac Allister.

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Installé dans le XI en janvier, le petit numéro 10 est le relais parfait entre l’équipe et le dernier tiers. Des fixations ou des passes tranchantes complétées par l’activité de Pascal Gross. Positionné un cran plus bas, l’Allemand enchaîne les matches. Peu vif, il est pourtant capable d’éliminer avec sa spéciale : un crochet derrière la jambe d’appui à la Cruyff. Gross squatte souvent le demi-espace pour combiner avec Veltman qui n’anime pas son côté en solo comme le faisait l’invraisemblable Lamptey.

Autre facteur X, Dan Burn dépanne en défense centrale et au poste de latéral, suppléant les blessés March et Webster. Son double-mètre ne l’empêche ni de se projeter et de presser… ni de commettre certaines erreurs de marquages. Moins surprenant, il est peu clinique à la finition. Brighton ne cadre pas ou tergiverse dans la zone de vérité. Un déficit terrible au vu de la longueur de ses temps forts et du nombre de joueurs capable de se projeter dans la surface. Malgré ses 7 buts, Maupay incarne ce manque de cruauté.

«Il a manqué des occasions dont des penalties mais Brighton a payé 16M de livres pour lui, rappelle Andy Naylor. A l’échelle de la Premier League ce n’est pas cher pour un attaquant.» Néanmoins, le Français se montre agressif au pressing, comme le reste du bloc. Lorsque la première ligne est battue, encore faut-il éviter les scalpels de docteur Bissouma. Gros contre-effort collectif, présence à la retombée, la pression mise devant la ligne médiane est très efficace. D’autant que le milieu peut coller n’importe quel ballon à son poitrail pour enchaîner vite vers l’avant.

L’art de l’anticipation

La défense est haute, le repli bien huilé. Webster et Dunk tablent sur l’anticipation. White est plus mobile et compense en couvrant de larges espaces. De plus, Sánchez a relativement peu de travail car les angles de frappes sont bien contrôlés. Lorsqu’elle est aspirée vers son but sur transition, la défense peine tout de même à gérer les centres en retrait. Dans son camp, le bloc se mue en un 5-3-2 compact, qui coulisse vite et compte sur les latéraux pour cadrer le joueur trouvé à l’opposé.

Les joueurs progressent, que ce soit au sein du groupe ou via des prêts étudiés. Graham booste la cote des footeux. Un réel atout alors que le club a perdu 67 millions de livres en 2020. Les finances de BHA ne remercient pas le Covid mais peuvent se réjouir des explosions de White, Lamptey ou Bissouma. Si Andy Naylor invite à la prudence, «chaque joueur est à vendre, si le deal est juste pour toutes les parties». Il souligne cependant que les dirigeants ne lâcheront pas leurs œufs d’or «sans avoir développé un remplaçant dans l’équipe au préalable».

Brighton pense à l’avenir mais les dernières défaites contre Palace et WBA ont rameuté les vieux démons du sud de l’Angleterre. En 2021, Brighton a gratté des points qu’il aurait certainement perdu un mois plus tôt. Seulement, l’ombre des quatre montants touchés contre MU plane toujours. En témoigne le bus à deux tirs cadrés mangés face aux Eagles. La surface de Sánchez ressemble de moins en moins à un billard où la boule noire finit du mauvais côté. Mais la zone de vérité adverse garde encore ses airs de flippers où les billes bleues se perdent.

Potter a les clés, la magie et son vestiaire derrière lui. Statistiquement, le succès devrait finir par s’installer dans le Sussex. Reste à guider ces Mouettes et leur apprendre à voler auprès des faucons. En attendant, il s’agirait d’arrêter les farces et de quitter le nid des pigeons.

*Statistiques fournies par understat.com (xG, xPoints) et Fbref (PSxG : évaluent la qualité d’un tir cadré et la probabilité que ce tir se finisse en but)

Crédit photo : Icon Sport.

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