Ce que nous révèle la polémique Pablo Longoria

C’est la polémique du moment.  La passe d’arme indirecte entre Pablo Longoria et différents acteurs du football français met en lumière un débat brûlant pourtant peu évoqué par les principaux concernés.  Il oppose d’un côté un establishment du football français considéré comme réductionniste dans son approche, aux partisans d’une vision globalisante du ballon rond. C’est aussi ce que certains appellent vulgairement le football d’épicier contre le football des idées. Débat passionnant pour certains, combat à mener pour d’autres, les joutes récentes sont néanmoins révélatrices de maux profonds qui parcourent notre microcosme footballistique.

Casus Belli

«En France, il n’y a pas de modèle français du jeu. Objectivement, si l’on analyse l’ensemble du globe, c’est l’un des pays qui exporte le moins d’entraîneurs. Ils ne vendent pas d’idées collectives.» Tels sont les mots prononcés par le nouveau boss de l’OM, Pablo Longoria. Des propos tranchants qui ont déclenché une tempête dans l’aquarium du football français. Il n’en fallait pas plus pour que Raymond Domenech sorte la tête de l’eau. Véhément, il accuse Pablo Longoria de jeter l’opprobre sur les entraîneurs tricolores, car piloté par son réseau. Le réseau, un concept étranger à la nomination de l’ancien sélectionneur à la tête du FC Nantes pendant sept matchs seulement après une décennie d’inactivité. Bref, Raymond n’a pas déçu. 

Il n’est pas le seul à être sorti du bois.  Dans des formes différentes, Hubert Fournier, Bruno Génésio, Antoine Kombouaré ou encore Rudi Garcia et Fred Antonetti se sont exprimés. S’il ne s’agit pas d’une démarche commune, ils sont tous d’accord pour ne pas l’être avec le boss de l’OM. Sans discuter des modalités d’expression, la défense de ces derniers s’articule autour d’axes bien définis.

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Tout d’abord, le récent titre mondial glané par les Bleus démontre la qualité des joueurs produits dans l’Hexagone. Enfin, Zinédine Zidane, Didier Deschamps, Arsène Wenger ou encore Raynald Denoueix incarneraient l’excellence des techniciens français. Le problème viendrait même du lobbying pas assez efficace pour se vendre à l’étranger, pourtant pas moins pourvu en idées que les autres.  Une levée de bouclier si soudaine qu’elle interroge.

Pablo Longoria a en effet mis le doigt sur un débat qui couvait depuis longtemps dans notre football. La réaction épidermique de ses détracteurs semble révélatrice. Les positions de part et d’autre sont-elles justifiées ?  

Savoir-faire contre vivier

La France du football serait donc la NBA de l’Europe où la qualité première du joueur français serait individuelle. Ce dernier étant une page vierge de toute identité de jeu collective, à l’image des techniciens français. L’analogie formulée par Longoria possède un travers, et pas des moindres. La NBA on se l’arrache en mondovision, pas la Ligue 1.  En revanche, difficile de lui donner tort sur le constat qu’il fait du joueur français.  

Si la France se porte très bien au classement des pays exportateurs. Difficile de dire que c’est principalement dû à la qualité de ses formateurs. Le joueur français à l’export est un joueur prisé car peu coûteux et interchangeable. Souvent complet physiquement et fiable techniquement, il est capable de s’adapter à une diversité remarquable de schémas de jeu puisque l’éventail de ses qualités le lui permet. Hubert Fournier l’admettait allégrement en 2018 :

«Je pense que c’est le motcomplet qui caractérise le mieux le joueur français type. Complet sur le plan technique, athlétique, tactique également. Il peut jouer toute la saison “à la barcelonaise” et s’adapter à un jeu différent en sélection à la Coupe du monde avec la même réussite. S’il y a une spécificité à la formation dite “à la française” c’est cette adaptabilité à toutes les attentes, une qualité évidemment très appréciée des entraîneurs.»

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La spécificité du joueur français finalement, c’est qu’il n’en a pas. On est en mesure de le modeler. Une caractéristique qui implique que le modèle français est plutôt prescriptif que directif. Le joueur applique mais prend peu d’initiative. Dans France Football, Tiémoué Bakayoko a récemment tenu des propos édifiants à ce sujet :

«Plus jeune, ma technique sautait aux yeux, mais à cause de ma formation, on la voit de moins en moins. Ce n’est pas que je l’ai gommée, c’est juste que… je fais ce qu’on me demande de faire. L’efficacité prime.»

Le dernier numéro de So Foot nous offre un superbe dossier sur «la nouvelle vague» au sein de la formation française. Un entraîneur passé par la DTN s’y confie anonymement et n’y va pas de main morte. Pour lui, «la formation française, ça n’existe pas. Si des joueurs sortent, c’est que le maillage est bon et que le vivier est extraordinaire. Il y a quelques hommes compétents et intéressants mais sans aucune idée directrice, sans aucune logique de formation.»

Une opinion qui n’est pas isolée mais répandue au sein des centres de formation français. L’enjeu n’est pas de former le joueur français, mais de lui donner un environnement favorable à l’expression de son talent. On ne produit pas véritablement le joueur français, on tâche de ne pas le perdre. On constate d’ailleurs cette absence de continuité au sein-même de notre équipe de France.

C’est quoi le joueur français ? Quel rapport entre un Lacazette et un Olivier Giroud ? Un Varane et un Zouma ? Un Lucas Hernandez et un Ferland Mendy ? Un Kanté et un Pogba ?  Evidemment, l’idée n’est pas d’invisibiliser les centres de formation performants et instigateurs d’une réelle ligne directrice. On notera parmi eux l’Olympique Lyonnais ou encore le FC Lorient. Il s’agit de souligner la tendance majoritaire, voire écrasante, au sein du football français. De paroles d’éducateurs et de formateurs, les témoignages sont nombreux.  

Hommes de paille

Ces réalités ne sont pourtant pas admises. On érige Zinédine Zidane, Didier Deschamps, Wenger ou Denoueix comme les représentants glorieux de l’école française des entraîneurs. Les succès remportés par ces derniers infirmeraient l’idée d’entraîneurs insipides, car victorieux. Le drame, c’est que ces derniers confirment malgré tout le malaise ambiant et ce, au grand désarroi des acteurs du football français les utilisant comme exemple.  

Sur le plan du parcours déjà, ils représentent des épiphénomènes. Pour Zidane, Deschamps ou Wenger, ils ont effectué la majeure partie de leur carrière en dehors des frontières nationales. Il est dès lors difficile de les définir comme issus du terreau français. Ils font office de cas isolés dans l’histoire récente puisqu’ils font partie des rares entraîneurs tricolores à avoir réussi à s’installer durablement à l’étranger.

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Philippe Montanier, Rudi Garcia ou encore Claude Puel peuvent en témoigner.  Le cas Didier Deschamps est symptomatique par d’autres aspects. Son parcours en tant que sélectionneur est souvent utilisé comme argument d’autorité pour taire toute remise en cause de son travail. Cette pirouette rhétorique masque pourtant une question bien réelle, dans la lignée de cet examen de conscience du football français : la France domine-t-elle grâce au travail de son sélectionneur, de ses formateurs, ou grâce à la qualité exceptionnelle de son vivier ? Si l’Equipe de France est la plus efficace, est-elle pour autant la plus efficiente ?

La question mérite d’être posée et pas seulement pour la sélection nationale. Surtout lorsqu’on la compare avec ses voisins.  Toujours dans So Foot, un cadre actuel de la DTN déclare à ce sujet : «En Allemagne, en Italie, en Angleterre, il y a moins de joueurs talentueux mais les fédérations travaillent mieux. Si on ne réagit pas, on va se faire doubler.» Tout ça, sans évoquer le non-style de jeu de cette Equipe de France. 

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Rudi Garcia a d’ailleurs évoqué Raynald Denoueix afin de défendre le bilan des entraîneurs français. Le héros nantais a souvent été loué pour son emphase sur le jeu collectif, le développement de l’intelligence tactique et du mouvement. Il convient de le resituer dans son contexte pour comprendre à quel point il n’a jamais représenté la norme. Toujours dans le dernier numéro de So Foot, on apprend que ses idées ont longtemps été rejetées par la DTN lorsqu’il était directeur du centre de formation du F.C Nantes.

Selon le formateur lyonnais Jean-Yves Ogier, ce qui primait c’était la force physique, la provocation, le duel.  Denoueix était tout sauf représentatif car manifestement pas dans les codes admis de l’époque. Ce renouvellement idéologique limité s’explique d’ailleurs par l’endogamie à la tête des instances dirigeantes du football français. Le jeu des chaises musicales sur les bancs de Ligue 1 ayant longtemps prévalu, aucune raison que ça ne soit pas toujours le cas dans des postes moins exposés, à la DTN ou à la FFF.

Un autre problème également, les barrières à l’entrée pour obtenir son diplôme d’entraîneur professionnel. Contrairement à l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, il est très difficile de percevoir des entraîneurs qui ne sont pas issus des sentiers battus du football professionnel. Tout n’est évidemment pas à jeter. L’objectif ici était de démontrer l’hypocrisie que démontrent les postures employées par les différents acteurs ayant pris la parole. Ce déni dans le fond et ce mépris dans la forme démontrent le chemin qui reste à parcourir pour rendre le football français plus efficient.

Si l’entraîneur français n’est peut-être pas moins compétent, le délit de sale gueule dénoncé par certains est peut-être dû à la faible capacité de remise en questions d’une certaine partie du football français. Cette même partie qui a préféré argumenter ad hominem plutôt que de répondre sur le plan des idées à Pablo Longoria. Révélateur ? On a notre idée sur la question, on attend les vôtres.

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