Pau Torres, la force (très) tranquille

Ce mercredi soir, Villarreal affronte Manchester United en finale de la Ligue Europa, dans l’objectif de remporter le premier titre de son histoire. Emmené par Unai Emery, un autre homme du Sous-marin jaune a été très précieux dans cette merveilleuse saison : Pau Torres. Sélectionné par Luis Enrique pour l’Euro, le natif de Vila-Real touche du bout du doigt deux rêves à seulement 24 ans.

Du haut de son mètre 91, Pau Torres laisse échapper quelques larmes au micro de Movistar, après une qualification pour la finale de la Ligue Europa. Le natif de Vila-Real, qui a fait toutes ses classes sous le maillot jaune, emmène son équipe jouer la première finale de son histoire. Lui pourtant si habitué à répondre de façon calme et mesurée est submergé par ce qu’il est en train de vivre avec son club de toujours. Même s’il retrouve rapidement sa vigueur et lâche : «On va aller écrire l’histoire ! Vamos !»

Pau Torres, l’enfant de Vila-Real

Pau Torres a toujours joué pour Villarreal, club de la ville de 50 000 habitants où il a grandi. Il n’a connu qu’un seul maillot, celui qu’il a enfilé pour la première fois en 2002, à l’âge de 5 ans. Il passe par tous les rangs de la Cantera Grogueta et y apprend le beau jeu si cher à Villarreal. «Toute ma vie, j’ai fréquenté l’académie de Villarreal, une équipe où l’on joue très bien au ballon. Dans presque tous les matchs, vous dominez et le traitement du ballon est primordial», explique-t-il dans une interview pour Marca. Perfectionnant ses relances et sa lecture du jeu, il débarque en équipe réserve à 19 ans, lors d’une défaite face à Cornella (0-1) en troisième division. À peine deux mois plus tard, en octobre 2019, il prend sa revanche et vient inscrire son premier but en professionnel, permettant à son équipe d’égaliser face à Badalona. 

Sa carrière prend un vrai tournant lorsqu’il remplace Victor Ruiz (aujourd’hui défenseur au Bétis), lors d’un 32e de final de Coupe du Roi contre Tolède. Il est alors le premier joueur né à Villarreal à jouer avec le club, depuis 13 ans. Pau devient le symbole de la réussite du projet porté par la famille Roig, qui avait repris le club en 1997, année de naissance de Pau. Ils avaient alors apporté et trouvé des fonds mais aussi réformé le centre de formation et le style de jeu du club. Pau prend du galon à Villarreal mais reste le même : «Je suis toujours le Xiquet del poble (le garçon du village, en valencien), et maintenant celui qui joue au football. Je suis fier que les enfants puissent m’admirer ou que je puisse être une référence pour eux», confie-t-il au site espagnol A La Contra. 

Spot de promotion du match retour contre Arsenal, avec Pau Torres comme héros principal

En novembre 2017, il joue ses premières minutes en Liga, remplaçant un autre gamin du club, Manu Trigueros, pour six petites minutes face à Séville. Il a le droit à 45 autres minutes avec l’équipe première dans un match début avril face à l’Athletic Club. Aussi, 10 jours après ses débuts avec la A il est titulaire face au Maccabi Tel-Aviv en match de poules de la Ligue Europa. Pourtant, le quotidien de celui qui jouait au foot avec son frère sur la place de la mairie n’a pas changé : «Les gens m’ont toujours connu. Je peux me promener ou sortir dîner sans aucun problème et sans aucune forme de stress», explique-t-il, toujours à A La Contra. Grandissant sereinement dans son «pueblo» Pau Torres enchaîne surtout les bonnes prestations en 3e division espagnole, et joue presque 60 matchs avec l’équipe réserve entre 2016 et 2018. Villarreal B va alors jusqu’aux portes de la montée en Liga2, échouant en finale de play-offs contre Elche. 

Pau, suffisamment mature pour passer un nouveau cap, est envoyé en prêt à Malaga, club de seconde division et proche du Sous-marin jaune. Arrivé sur les côtes andalouses le 6 aout 2018, il est titulaire dès le premier match de championnat le 18 aout face à Lugo. Pau quitte pour la première fois ses proches, son «pueblo», mais s’y acclimate très vite. «C’était comme faire mon service militaire dans le football, raconte-t-il à A La Contra. Cela m’a donné beaucoup d’expérience et m’a apporté beaucoup en tant que joueur, cela m’a aussi fait mûrir en tant que personne.» Il gagne la confiance des deux entraîneurs qui se succèdent alors à Malaga, Muñiz et Victor Sanchez, et joue 38 des 42 matchs de la saison. Dont un loupé pour un appel en sélection U21. Il joue même les deux matchs pour la montée en Liga contre la Corogne, avant de rentrer à la maison avec le sentiment du devoir accompli.

Une saison extraordinaire et un jeu qui fait rêver les plus grands

La véritable explosion de Pau Torres à Villarreal se fait dès son retour au club. Jeune défenseur central gaucher, très solide mais agile avec le ballon, il est titulaire dans l’axe de la défense dès la première journée face à Granada. Aux côtés de Raul Albiol, avec qui il apprend beaucoup, il joue tous les matchs qu’il peut, en n’en manquant seulement 4 sur 38, pour une blessure et une suspension. Durant ces 34 rencontres, le jeune défenseur central de 23 ans ne prend aucun carton rouge, et n’accumule que 6 cartons jaunes. Il marque même deux buts, son premier contre Osasuna lors d’une défaite 2-1, équipe contre laquelle il avait également marqué en Segunda avec Malaga, et où il avait aussi perdu 2-1. Dès octobre 2019, son club décide donc de le prolonger jusqu’en 2024.

L’idylle se poursuit cette saison, et Pau Torres continue d’améliorer son jeu avec notamment de longues relances millimétrés. «Emery me demande de prendre plus de risques avec le ballon, de presser un peu plus et ça me va plutôt bien», explique-t-il dans une interview pour Post United, une chaîne Youtube espagnole. Aujourd’hui, Pau Torres est un défenseur gaucher complet, et il est difficile de lui trouver un défaut. Il est en plus leader, capable de prendre ses responsabilités et assure qu’entre un premier ou un cinquième pénalty, il choisit le cinquième. Agile dans les airs, que ça soit pour défendre ou attaquer, très propre sur ses gestes défensifs (seulement 3 cartons jaunes en 43 matchs cette saison), devenu un joueur physique en grandissant, il sait aussi parfaitement redistribuer les ballons, alternant passes courtes et passes longues, avec toujours une bonne lecture de jeu. Il se définit simplement : «C’est Pau, celui qui aime bien manier le ballon, récupérer le ballon en arrière, dominer les matchs.» (extrait pour Marca) À l’écouter, un seul joueur l’a rendu fou cette saison, et c’est évidemment Léo Messi : «L’autre fois on jouait contre le Barça, et je montais pour défendre sur lui puis Trigueros est venu m’aider à défendre, on s’est dit : «Ouais il va aller de ce côté là !» Puis il est parti de l’autre côté et j’ai lâché un «fils de pute». Il est trop fort.» (extrait de l’interview de Post United)

C’est bien l’unique fois que vous entendrez Pau Torres jurer. Dans la vie de tous les jours, il est un mec calme et assez réservé. Ses coéquipiers Carlos Bacca et Alberto Moreno se moquent d’ailleurs, dans un entretien de La Liga, de sa vie «trop rangée», sans fille dans sa vie parce qu’il «préfère profiter de ses potes dans son pueblo». Aujourd’hui courtisé par les plus grands, il assure qu’il écoutera les conseils de ses grands-parents avant toute chose et qu’il est serein quant à son avenir : «Je suis bien chez moi, je vis avec ma famille dans mon village et dans un club qui m’a tout donné depuis que je suis enfant et qui me traite comme un fils. De ce côté-là, tout est calme. Je vais match après match et je sais que je peux m’améliorer. J’apprécie les rumeurs, mais c’est tout.» (Extrait d’une interview pour Marca). 

Un premier rêve européen au parfum d’histoire

À quelques heures d’une finale historique pour tout un peuple, Pau Torres est donc calme, et sait ce qu’il a à faire. En presque capitaine du Sous-marin, il adresse un dernier message aux supporters lors de la conférence de presse d’avant-match : «Profitez de chaque instant et de la finale. Vous savez combien c’est difficile. Restez calmes, l’équipe sera présente jusqu’à la finale et nous donnerons tout pour essayer de ramener la coupe à la maison.»

Une seule issue possible : gagner contre Manchester United. Le Sous-marin jaune, au terme d’un finish désastreux face au Real, n’est qualifié qu’en Europa Conférence la saison prochaine. Et vu la saison qu’ils ont faite, ils espèrent bien pouvoir prétendre à autre chose.

Alors que Pau Torres laisse échapper quelques larmes en zone mixte après un 0-0 face à Arsenal qui les envoie en finale de Ligue Europa, il revient vite à sa tranquillité habituelle et sa sagesse impressionnante pour un jeune de 24 ans : «C’est un sentiment d’émotion, après de nombreuses années où Villarreal a été laissé aux portes d’une finale. Tout le monde l’a mérité, le président, tout le personnel qui a beaucoup travaillé, le personnel de l’année dernière, sans eux nous ne serions pas ici. Maintenant nous devons en profiter et bien la préparer, parce que c’est de l’histoire ancienne d’atteindre la finale, mais nous ne voulons pas en rester ici. Nous allons entrer dans l’histoire, mais pour de vrai.»

Unai Emery est à 90 minutes d’une quatrième Ligue Europa, et Villarreal du premier titre de son histoire, qui lui permettrait en plus d’accéder à la plus prestigieuse des compétitions la saison prochaine. Et peut-être de garder Pau Torres au club une saison de plus ? En interview pour Post United, l’enfant de Vila-Real se prend déjà à rêver : «Jouer la Champions, je crois que c’est le maximum de ce que peut obtenir Villarreal et profiter de ça ce serait magique. Il y a 15 ans on se faisait éliminer contre Arsenal et cette saison là tout le monde s’en souvient à Villarreal, avec fierté. Pouvoir être dans la meilleure compétition européenne avec le club de ton pueblo, évidemment que ça fait rêver !» 

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Nommé dans le XI des meilleurs joueurs de l’histoire de Villarreal par les supporters, il pourrait malgré tout s’en aller à l’issue de la saison. Défenseur central gaucher, ce qui est très recherché par de nombreux clubs, le Real Madrid y trouve le successeur naturel de Sergio Ramos. Alors que Pau Torres insiste en interview avoir comme modèle le Sévillan mais aussi Gérard Piqué. Son entraîneur Unai Emery le voit «jouer dans un grand club» et il préférerait le voir rester en Espagne…

Une autre coupe d’Europe à gagner le même été

Le rêve qu’il vit avec son club de toujours, Pau Torres l’a aussi vécu avec la sélection espagnole. Il est convoqué pour la première fois avec l’Absoluta, la même semaine que celle de sa prolongation, le 4 octobre 2019 pour les matchs de qualification à l’Euro 2020. Il a en plus le droit aux éloges du sélectionneur Roberto Moreno : «Il a certaines conditions naturelles que nous aimons, une bonne sortie de balle, tactiquement, c’est un excellent central. Conforme à ce que l’on attend d’un défenseur.» Et ses débuts avec la Roja sont merveilleux : il rentre à la 61e à la place de Sergio Ramos, et inscrit un but du torse sur corner une minute plus tard, dans une victoire 7-0 contre Malte. Il devient ainsi le premier joueur né à Vila-Real à jouer avec la sélection espagnole, nouvelle fierté de la famille Roig.

Pau est titulaire aux côtés de Ramos lors des sélections suivantes, jouant toutes les minutes en Ligue des nations. Luis Enrique lors de son retour à la tête de la Roja a d’ailleurs déclaré : «J’aime tout chez Pau Torres. Il est grand, beau, c’est un bon garçon et il a une bonne lecture du jeu !» Absent au dernier rassemblent avec l’Espagne pour une blessure musculaire, Luis Enrique compte bien sur lui pour l’Euro 2020, prenant sans doute la place d’axe gauche laissée vacante par Ramos. Étant l’une des seules garanties défensives en sélection espagnole, il restait tout de même prudent en interview quant à son rôle à l’Euro, au micro de Post United : «Je me sens en confiance, je vais arriver à la sélection en forme et à un bon niveau, et si le sélectionneur veut m’appeler dans la liste et dans les titulaires, je serai là. Je suis prêt.»  À l’annonce de la liste lundi dernier, le jeune défenseur avoue sur son compte Instagram vivre un rêve qu’il a depuis petit. Ce qui fait écho à ses propos de fin avril en interview avec DjMariio, un youtuber FIFA espagnol : «Avoir l’opportunité de représenter ton pays dans une compétition de cette importance, c’est clair que c’est le plus important dans la carrière d’un joueur.» 

Pau Torres, peu présent dans les médias, avait confié lors de sa dernière interview à la presse espagnole pour Marca qu’il avait un objectif : «Remporter un titre avec Villareal et jouer un bon rôle avec l’équipe nationale lorsque je serai appelé.» Il n’est vraiment pas loin de réussir les deux dans un même été…

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