Il y a quelques jours est sorti le livre « Les entraineurs révolutionnaires du football », deuxième bébé des mecs des Cahiers du Foot. Nous avons rencontré et échangé avec Christophe Kuchly, l’un des auteurs. L’occasion de parler du poids de la tactique dans l’horizon du foot français.
Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te raconter un peu ? Comment en es-tu arrivé à écrire des bouquins ?
Déjà je suis rentré à la Voix du Nord au début de mes études en 2008. J’ai bossé au service des sports. Sur Internet j’ai commencé à écrire, à faire un petit peu de tactique il y a quelques années, en 2012-2013. Ensuite j’ai commencé à écrire sur les Cahiers du foot, mais pas forcément sur la tactique, je parlais de choses et d’autres. C’est un truc qui a commencé à m’intéresser. Petit à petit j’ai écrit de plus en plus souvent dans les Cahiers du foot, j’ai eu des contacts et on a créé le blog des Dé-managers avec Raphael Cosmidis, Gilles Juan et Julien Moment. J’ai été le premier à me concentrer sur la tactique et puis de fil en aiguille on s’est tous tiré vers le haut et challengé sans le vouloir, à essayer de faire des articles les plus pointus possibles, à se filer des lectures etc… On a commencé à être assez calé sur le sujet.
Et puis Solar nous a contacté pour nous demander d’écrire un bouquin. On a écrit « Comment bien regarder un match de foot » qui est une sorte de grand manuel tactique qui essaye de répertorier plus ou moins tout ce qu’il se passe sur un terrain. Nos relations qui étaient déjà bonnes avec l’éditeur sont devenues encore meilleures donc on a pu assez vite être sollicité pour en refaire un. On ne voulait pas refaire pareil donc on a décidé de parler des entraîneurs marquants. On en a pris un par décennie… Ça n’a pas vocation à être exhaustif. Depuis que la couverture est sortie on a des gens qui nous disent « ah mais vous ne parlez pas de Y »… On ne voulait pas faire un dictionnaire avec tout le monde. On a essayé de trouver à chaque fois une figure marquante pour parler des grandes évolutions tactiques à travers les âges.
Donc on retrouvera uniquement les sept qui sont en Une du bouquin ?
Oui et non. Oui dans le sens où les chapitres leur sont dédiés, entre l’intro et la conclusion. Après comme dans le précédent il y a des petits encarts qui parlent d’autres entraîneurs. C’est des encarts qui font entre une et trois pages. Par exemple on parle de Marcelo Bielsa, même s’il n’a pas vraiment révolutionné la tactique… Donc oui ceux qui sont en couverture sont ceux dont on parle le plus, mais il y a quelques mots qui sont dits sur d’autres entraîneurs. On était obligé de parler d’autres coachs.
Le premier livre était destiné au grand public, est-ce que celui-ci ça ne serait pas l’inverse ? Est-ce qu’il n’aurait pas pour cible vraiment les amoureux du football ?
Ca dépend. Je pense que d’une manière générale effectivement la base de lecteurs potentiels sera un peu plus réduite… Mais après je trouve que ça peut intéresser deux types de personnes : celles un peu plus âgées qui vont replonger un peu dans leurs souvenirs d’époque et qui vont là trouver un bouquin à la fois historique mais aussi abordé sous l’angle tactique qu’ils ne trouveront pas ailleurs, et puis celles comme nous, qui ont la vingtaine, qui connaissent assez bien Guardiola, Mourinho etc mais qui n’ont que des notions floues sur le catenaccio par exemple… Comme nous avant de l’écrire en fait ! On savait que le catenaccio c’est « que défendre » et le football total « qu’attaquer » mais on a appris que c’est un peu plus complexe que ça, qu’il y a des nuances… En fait il y a pas mal de choses qui peuvent toucher ceux qui s’intéressent à la tactique actuelle.
Il n’y a pas d’entraîneur français dans les 7 qui sont cités. On a souvent tendance à dire qu’en France les coachs ne sont pas à la hauteur, ou ne misent pas assez sur la tactique… Quel est ton avis là-dessus ? Est-ce qu’on a vraiment un souci avec la tactique en France ? Et si oui, quelle est la genèse de ce problème-là ?
Déjà petite précision, Helenio Herrera n’est pas 100% français mais on peut dire qu’il l’est un peu, il est franco-argentin. Mais c’est vrai que les pays latins et sudaméricains sont très représentés. Je pense que c’est lié à deux choses : à un aspect structurel, c’est à dire que le football est moins représenté dans la société qu’en Argentine, moins de débats philosophiques autour du foot, plus vraiment de journaux ou de personnes qui défendent une certaine manière de voir le foot, qui pensent le football de manière complète, et en plus, au delà du fait que le football soit un peu déconsidéré, à l’aspect culturel.
Je pense qu’il y a le succès de 1998 qui fait que le plus grand trophée de l’histoire du foot français est gagné de manière très défensive, très prudente, très pragmatique, avec une logique qui était celle de d’abord protéger son but. Si tu construis ton grand succès sur des bases avant tout défensives, c’est difficile après de se détacher de ça. Il y a quand même beaucoup de gens en France qui disent « de toute façon l’important c’est de gagner, ça ne sert à rien de bien jouer ». Et je pense que c’est né un peu de la victoire en 1998. Et de ce point de vue-là, cet événement fait du mal au foot français.
Tu parles aussi des consultants. On voit très peu de consultants tacticiens. Est-ce que tu penses que ça n’intéresse pas les gens, ou que ça n’intéresse pas la télé ?
Je pense que les chaînes se trompent un petit peu sur ce que veut le public. Alors bien sûr le public va plus facilement rentrer sur des débats comme dans l’Equipe du soir : un qui dit blanc, l’autre qui dit noir, ça se fritte un peu. C’est léger, pas trop prise de tête, on peut assez vite s’intéresser. Le côté show va accrocher les gens qui ne sont pas forcément amateurs de foot, oui. Mais moi ce que je vois c’est que la tactique peut aussi intéresser les gens.
Avec le premier livre on a eu pas mal de retours, même de gens qui a priori n’étaient pas forcément intéressés par ça, qui nous ont dit « on est rentré dedans » alors qu’on pensait que beaucoup de gens allaient se dire « la tactique c’est chiant ». Je vois Raphaël qui a coécrit les deux bouquins et qui intervenait aussi l’an dernier sur SFR, il faisait des chroniques tactiques avec des palettes, et c’était à chaque fois les séquences qui étaient les plus partagées sur les réseaux sociaux. Alors ça ne veut pas forcément dire que tout le monde est intéressé par ça, mais dans la nouvelle génération il y a quand même pas mal de gens qui voient le foot d’un point de vue tactique et qui n’ont pas envie de 40 minutes de discussion sur l’arbitrage ou autre. Ils ne sont pas forcément majoritaire mais je pense qu’ils existent, et qu’ils sont de plus en plus nombreux. Et je trouve que ça commence un peu à émerger dans les médias.
Les décideurs de chaînes sont encore un peu frileux là-dessus, parce que c’est vrai que si c’est mal fait ça peut vite être chiant. Un espèce de cours magistral avec des diapositives et des flèches et des trucs… Mais d’une manière générale, les décideurs, qui sont ceux qui font le paysage du foot en France, doivent arrêter de voir le mot « tactique » comme un mot négatif. La tactique ça peut être simplement le fait de mettre un attaquant côté droit, de jouer avec un latéral offensif ou défensif… C’est le jeu en général. C’est 90% des matchs de foot. D’ailleurs nous on parle plus de « jeu » que de « tactique ». Là ok dans le bouquin il y a des schémas pour illustrer, mais on raconte surtout des histoires. C’est un récit, et ce n’est pas très compliqué. On explique pourquoi mettre un joueur un peu plus en retrait ça change tout le visage d’un match. Donc le jour où on comprendra que la tactique ça peut être simplement ce genre de choix, je pense que ça pourra accrocher pas mal de monde et qu’on arrêtera de parler autant de l’arbitrage et de choses un peu périphériques comme les embrouilles entre Cavani et Neymar. On débattra peut-être du fait que Cavani soit tout seul à faire le pressing alors que Mbappé et Neymar restent plus à attendre pour attaquer. Ca c’est beaucoup plus intéressant.
Est-ce que tu ne penses pas qu’il faudrait mettre un grand coup de pied dans la fourmilière sachant que la Ligue 1 commence à attirer beaucoup de coachs étrangers, qu’on se rend compte de plus en plus qu’à un haut niveau on ne peut plus faire simplement du Dupraz et gueuler avant le match pour gagner… Est-ce que tu ne penses pas que le foot français est à un tournant et qu’il va falloir, un peu comme l’a fait l’Allemagne il y a une dizaine d’années, tout revoir ? A partir des équipes de jeunes, des éducateurs… Pour qu’enfin en France on arrête d’avoir des coachs frileux…
Pour moi il y a deux choses qui sont bien distinctes et qui ont du mal à évoluer ensemble, c’est la formation et le haut niveau. A la formation il y a eu des changements, en s’inspirant de l’Allemagne qui elle-même s’était inspirée de la France, qui commencent à porter leurs fruits. Il y a des joueurs comme Maxime Lopez qui sont des joueurs de foot avant d’être des gabarits et qui montrent que la formation est clairement en train de changer. Il y a des joueurs qui commencent à émerger au plus haut niveau, et on verra d’ici 3-4 ans si ça continue et si la formation est bonne. Donc sur ce point je trouve que ça va dans le bon sens. Sans vouloir être définitif je pense qu’il y a une prise de conscience. Après ça n’a pas forcément un impact au plus haut niveau. Si les coachs de Ligue 1 sont dans une mentalité où ils veulent des milieux défensifs de 90kgs, tu auras beau former qui tu veux, ces joueurs-là n’auront jamais leur place dans le haut niveau.
Sur le haut niveau pour moi ce qui pourrait faire la différence ça serait le succès prolongé de mecs comme Lucien Favre, qui arrivent avec une nouvelle manière de faire… Le problème c’est que bon cette année c’est plus compliqué. Malheureusement dans le sport, dans le foot, et particulièrement en France, on ne devance pas les problèmes. On attend qu’ils arrivent et ensuite on en tire des conclusions. Mais si des équipes viennent à gagner en proposant du beau jeu, offensif, je pense que d’autres voudront faire pareil. L’arrivée de coachs étrangers va dans le bon sens, mais il faut quand même qu’il y ait des résultats. Moi mon avis en tout cas, et là je cite approximativement un coach amateur de ma région que j’avais eu en interview, c’est que si ta seule qualité en tant que coach c’est de motiver tes joueurs et que tu ne t’intéresses pas à l’aspect tactique, tu est entraîneur de foot mais en fait tu pourrais être entraîneur de n’importe quoi.
Si aujourd’hui sur l’année 2016-2017 tu devais tirer trois coachs, pas forcément les meilleurs mais les plus intéressants, ça serait qui ? Pour conseiller un mec qui s’intéresse à la tactique et qui voudrait regarder les matchs de trois équipes par exemple…
Il y en a un qui est incontournable, c’est Guardiola. Clairement son système c’est actuellement la forme la plus aboutie du jeu de position, du collectif, de la possession à outrance, de la maîtrise du ballon. En numéro 2 je parlerais bien du Tottenham de Pochettino qui est l’équipe qui je pense arrive le mieux à faire du jeu sans ballon, à presser l’adversaire, à faire immédiatement la passe en profondeur et marquer… C’est aussi un jeu qui implique énormément de prises de risque. Pochettino pour moi est un des meilleurs entraîneurs actuels, à la fois pour bonifier son groupe -parce qu’il a des super résultats avec un groupe qui est bon mais qui n’est pas le meilleur- et puis aussi pour s’adapter comme on l’a vu contre Liverpool. En troisième je dirais le Bétis Séville de Quique Setien, l’ancien entraîneur de Las Palmas. Il y a deux possibilités : on peut regarder le Betis de l’an dernier et celui de cette année pour voir la différence, ou le Las Palmas de l’an dernier et le Betis de cette année pour voir la continuité et ce que fait cet entraîneur avec ses équipes. On a tendence à dire « oui mais pour faire du Guardiola, avoir la balle, la possession, construire, déstabiliser l’adversaire, il faut absolument des super joueurs parce que si t’as pas Inesta tu vas perdre la balle dans la phase de construction et si t’as pas De Bruyne tu vas rater la dernière passe… » Lui il prouve que c’est faux, parce que Las Palmas l’an dernier avait des bons résultats, et là le Betis a notamment battu le Real 1-0 en marquant à la dernière seconde. C’est une action où il y a une possession d’abord plutôt défensive, ça fait tourner pour gagner du temps, et puis le Real se découvre pour récupérer le ballon parce qu’ils veulent absolument gagner le match, le bloc de Madrid se fissure et finalement en deux dribbles et une passe il y a but du Betis. Le Betis a des super résultats cette année et réussit à jouer comme le veut son entraîneur, à savoir de manière « romantique », en allant toujours de l’avant.
Une dernière chose à ajouter sur le livre ?
Je voudrais dire que le bouquin est gros mais qu’il n’y a pas de que de la tactique, qu’on a fait un truc qui nous intéressait en tant que « jeunes » et que les gens apprendront plein de choses, à la fois sur le côté jeu et sur la personnalité des mecs, mais aussi sur la manière dont on approchait le football il y a 20, 30 ans…
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