8 octobre 2017, Mohammed Salah. Une date, un nom, qui resteront ancrés pour l’éternité dans la mémoire des Egyptiens. Cette nuit-là, le joueur de Liverpool transforme son pénalty au bout du temps réglementaire et permet à l’Egypte de se qualifier pour la coupe du monde 2018. Historique après 28 ans sans mondial. Historique après les six années qui viennent de s’écouler au pays des pharaons où cette nation et ce sport se sont tous deux intimement liés dans la douleur et dans l’enfer du fait de la révolution de 2011. Une révolution où politique et football ne firent qu’un, et où la place de ce dernier changea à tout jamais de par le rôle primordial et décisif des Ultras du Caire lors de celle-ci. De supporters locaux à héros nationaux, de gardiens de la révolution à martyrs, retour sur les six années qui ont bouleversé la place des ultras cairotes dans la société égyptienne.
Ultras : hommes à abattre
Alors que l’Egypte a été l’un des premiers pays à avoir vu ses ultras s’unir dans le cadre d’une révolution, paradoxalement c’est l’un des pays où le mouvement est apparu le plus tard. C’est au printemps 2007 que l’Egypte, et plus précisément sa capitale, voit naître ses deux premiers groupes ultras. Les Ultras Ahlawy (UA 07) et les Ultras White Knights (UWK), liés respectivement au Sporting Club d’Al Alhy et au Sporting Club Zamalek, voient successivement le jour. Deux clubs, deux entités que tout oppose hormis leur ville d’appartenance : Le Caire. Les deux clubs de la capitale égyptienne sont considérés comme les deux plus grands clubs du pays, de par leur hégémonie nationale monstrueuse ( 38 titres de champion pour Al Alhy contre 12 pour Zamalek) et leur palmarès continental éloquent ( 5 ligues des champions africaine pour les chevaliers blancs du Zamalek, trois de plus pour les diables rouges d’Al Ahly). Ces deux légendes du football égyptien se livrent l’une des rivalités intra-muros les plus fortes du monde. Pourtant, malgré tout, ces clubs sont tous deux les géniteurs du mouvement ultra au pays du Nil. Une révolution des tribunes qui va migrer et se propager dans l’ensemble du pays.
Cette mutation se distingue radicalement de ce que connaissaient les tribunes égyptiennes jusqu’ici, notamment avec les rawabat. Ces groupes de supporters reconnus des clubs, prenant places en virage et recevant des subventions par leur club, ont quasiment disparu à la genèse du mouvement ultra égyptien. S’asseoir et se taire sous tutelle du club, la jeunesse égyptienne ne voulait pas de cela. Confrontée aux politiques néolibérales du régime autoritaire d’Hosni Moubarak, cette jeunesse, en plus d’être marquée par un fort taux de chômage, voit la liberté comme une utopie et la répression comme une réalité infernale à supporter. Cette jeunesse voulait vivre, vivre librement, exulter, protester. Le temps d’un match de football, au moins. Les groupes ultras fleurissent, les jeunes prennent d’assaut les virages, les premières animations éclosent et les premières répressions en découlent logiquement, malheureusement.
Cette apparition du mouvement ultra sous ce régime autoritaire pose différentes problématiques et différents enjeux engendrant les premières tensions. La première concerne le mouvement en question. Comment perdurer en tant qu’organisation totalement indépendante sous ce régime, alors qu’au fil du temps, au vu de la faiblesse (voire l’inexistence) des associations politiques et sociales, ces groupes ultras apparaissent comme les groupes, les associations les mieux organisés et les plus nombreux d’Égypte ? La deuxième problématique, qui questionne le gouvernement, découle de la première et est assez simple : comment gérer cela ? Le mouvement et les groupes ultras constituent au fur et à mesure une entité à part entière : systèmes hiérarchiques propres, canaux de communication personnels, emblèmes, couleurs, hymnes. Le mouvement ultra représente une organisation décentralisée, autonome, de plus en en plus forte, étant capable de réunir un noyau de plusieurs milliers de personnes, avec ses symboles, ses repères, ses imaginaires. Autrement dit, quelque chose à abattre dans un contexte autoritaire. Les trajectoires de ces différentes problématiques vont se croiser et accoucher d’un phénomène qui semblait inéluctable : la violence.
L’Etat autoritaire égyptien a répondu au défi que représentait l’émergence de ce mouvement par la plus simple des réponses : la répression. Une violence à laquelle les ultras répondront eux aussi par la violence. Dans cette logique répressive, la présence policière fleurit dans les virages, réservés aux ultras. Les fouilles sont accentuées, les banderoles confisquées, les arrestations de leader ou de membres sont de plus en plus fréquentes et il arrive que la police ne laisse pas rentrer les ultras, avant de les disperser à coup de gaz lacrymo. La quête d’indépendance chère aux ultras est estompée par l’opposition que leur offre le ministère de l’Intérieur et va conduire à des affrontements récurrents les jours et/ou veilles de match. Des tensions et des violences qui se cristallisent et se concentrent principalement au Caire, avec les UA et les UWK, qui représentent à eux deux plus de 20000 personnes à cette époque. Malheureusement, cette politique répressive tourne à l’humiliation pour les ultras. La provocation policière est systématique et laisse place à la violence, à l’extrême violence. Les ultras doivent également faire face à un autre ennemi. Bien moins violent mais bien plus stratégique : les médias. Ces derniers partent en guerre contre les ultras (vous avez évidemment deviné qui est derrière cela), dans le but de faire paraître ce mouvement comme parasite de la société égyptienne et d’y opposer l’opinion publique. Une campagne de diabolisation générale des ultras occupe l’espace médiatique égyptien durant de nombreuses semaines. Ces derniers seront qualifiés –sans exagération aucune- de terroristes, de drogués ou encore de déviants sexuels par les plus grands médias sportifs du pays. Les ultras deviennent les ennemis du gouvernement, une cible à abattre.
Des virages à la place Tahrir, du football à la révolution
Les ultras de Al Ahly et de Zamalek deviennent les premiers en Egypte à réagir face à la violence et à l’oppression du gouvernement. En plus d’être la première force d’opposition contre Moubarak, les ultras vont, de par ces affrontements et en palliant de nombreuses défiances idéologiques, économiques, sociales et identitaires, participer à une délégitimation importante du régime en place. Les prémices de la révolution de 2011 qui causeront la chute de ce dernier. Une révolution où devinez qui l’on retrouve en première ligne : les Ultras Ahlawy et les Ultras White Knights. On est en janvier 2011 lorsque le vent de révolte qui touche la Tunisie depuis près d’un mois traverse les frontières et atterrit en Egypte. La jeunesse égyptienne aussi est caressée par cette bise de liberté et d’indépendance. Cette bise va malheureusement déclencher une tornade, dont l’Egypte ne s’est réellement jamais remise.
Les premières manifestations débutent le 25 janvier 2011, au Caire, sur la place Tahrir. Une vingtaine de milliers d’égyptiens prennent possession de la célèbre place de la capitale. Parmi cette masse de jeunes cairotes, on retrouve évidemment les ultras, bercés par cette soif de liberté, d’indépendance, de vie. Il faut néanmoins nuancer le phénomène, et rappeler que les ultras présents sur la place Tahrir en ces premiers jours de rebellions sont avant tout sur cette place en tant que jeunes égyptiens. Ces milliers de personnes vont, au fil des jours, former une véritable foule, une réponse, une opposition au régime de Moubarak qu’ils souhaitent voir démissionner. Mais au fur et à mesure de l’avancée de la protestation, la répression policière s’accentue, comme une évidence. Et c’est à partir de là que les ultras du Caire, aussi bien les UA que les UWK, vont vêtir leur plus beau costume : celui de gardien de la révolution. Seules associations à s’opposer et à répondre aux répressions policières du régime Moubarak, les Ultras Ahlawy et les Ultras White Knights se distinguent comme les seules organisations capables de mettre à bien ce soulèvement populaire. C’est tout logiquement qu’ils se retrouvent en première ligne place Tahrir lors des affrontements contre les forces de l’ordre. Les précédentes castagnes avec la police leurs ont permis de savoir contrer et riposter face à la police, de passer entre les mailles du filet, de s’habituer aux gaz lacrymogènes, aux balles en caoutchouc. Ils sont en première ligne face à la police lorsque cette dernière tente de les déloger, le 25 janvier. Ils sont également à la tête de l’assaut, le lendemain, pour reprendre la place Tahrir. Via leurs comptes Facebook, ils diffusent les différents positionnements policiers, les différentes consignes, bloquent différents ponts, différentes routes, mettent en place l’évacuation des blessés. Ils sont également les principaux acteurs de la défaite de la police, le 28 janvier 2011. Ultras Ahlawy et Ultras White Knights, ensemble face à leurs ennemis en commun de toujours.
Sous la pression des révolutionnaires et principalement des ultras cairotes, la police est contrainte de jeter l’éponge le 28 janvier 2011 en laissant l’armée prendre le relais place Tahrir. Une victoire pour les révolutionnaires égyptiens, une victoire et une vengeance pour les ultras qui s’avèrera avoir un horrible gout de sursis… Ils sont également là, en première ligne, en premier martyrs, lorsque Moubarak ordonne à ses militants de charger la foule à dos de chameaux et de chevaux. Et encore une fois, ce sont eux les premiers à s’opposer, et à vaincre courageusement cette charge animale. L’Egypte anti-Moubarak découvre ses nouveaux héros : les ultras du Caire. La jeunesse égyptienne s’inspire et s’approprie le mode de vie et le répertoire ultra. Les manifestants reprennent les chants les plus célèbres des deux kops, tournent ces derniers à l’encontre du gouvernement, insèrent tambours et fumigènes dans les rassemblements. La vision péjorative du mouvement ultra s’efface au profit d’une image de héros, de rebelle. Désormais, ultra est le synonyme de révolutionnaire.
Moubarak démissionne le 11 février 2011 et en l’attente d’une prochaine élection – qui verra les Frères Musulmans arriver au pouvoir- le pouvoir est conféré au Conseil suprême des forces armées, présidé par le général Tantawi, ministre de la défense sous Moubarak depuis 1991. De l’armée au pouvoir, les ultras n’en veulent pas. Avec l’un des bras droits de Moubarak et l’armée au pouvoir, bien que temporairement, ce soulèvement populaire est sous sursis de tomber à l’eau. Les ultras le savent parfaitement et font partie des premiers à s’opposer au gouvernement de facto, dès mars, et à réclamer des élections libres, égales, sans corruption. Une utopie quelques mois auparavant. Les Ultras Ahlawy et les Ultras White Knights maintiennent la flamme révolutionnaire allumée quelques semaines auparavant, dont ils ont été les principaux combustibles, au fur et à mesure que le cauchemar de voir l’armée ne jamais quitter le pouvoir hante de plus en plus l’esprit des égyptiens. Cette hantise, les déçus de la révolution vont la balayer d’un seul trait. Le 18 novembre, des milliers d’Egyptiens se rassemblent pour exiger le départ du général Tatawin et l’obtention d’une nouvelle élection.
Sur cette même place, comme il y a 9 mois, la répression est sanglante et les morts se comptent par dizaines. Comme il y a 9 mois, la liberté est touchée en plein cœur, comme il y a 9 mois, cette liberté est protégée et défendue par ses mêmes combattants : les ultras cairotes, encore eux, face aux forces de l’ordre. Les slogans, chansons et insultes à l’encontre de Tatawin fleurissent place Tahrir avant de garnir les virages des kops cairotes. Les chants et banderoles hostiles au général et à l’armée accompagnent systématiquement les matchs à domicile de Zamarek et de Al Ahly, qui s’éloignent de plus en plus du football, avant de basculer totalement, en février, dans l’enfer et la mort.
Martyrs
Port-Saïd et son canal, son port, son phare, son club de foot : le Sporting Club Al-Masry, mais aussi sa tragédie, ancrée à jamais dans la mémoire égyptienne et dans l’histoire du football international : celle du 1er février 2012. Ce jour-là, Al-Masry reçoit Al-Alhy à l’occasion d’une journée de championnat. Les supporters des deux clubs se haïssent, surtout les locaux qui vouent une haine féroce à tout ce qui provient de la capitale. Les vert et blanc d’Al-Masry s’imposeront 3-1 face à l’équipe cairote. Ce chiffre là tout le monde l’a oublié. 74, ce chiffre-là par contre, tout le monde l’a encore en tête, en larmes, dans le cœur. C’est celui du nombre de personnes qui ont été assassinées dans les gradins et sur la pelouse cette nuit-là, à la fin d’un match de football. Tous Ahlawy et tous morts pour cela.
Les trois coups de sifflets retentissent dans l’enceinte de la ville portuaire, les joueurs rentrent aux vestiaires, plus vite que d’habitude. La pelouse est envahie par une marée humaine provenant de la tribune réservée aux ultras d’Al-Masry. Certains joueurs cairotes sont pris à partie avant de se réfugier dans les vestiaires et d’assister impuissamment à l’enfer, à la honte. Ces soldats de la honte, armés de couteaux, de machettes, de battes, de restes de bouteilles de verres, se dirigent vers le parcage visiteur, avant que la suite ne se déroule dans un noir prémonitoire. Les lumières du stade s’éteignent par magie et plongent l’enceinte dans l’inconnu, dans l’invisible. Le visible, le réel réapparait en même temps que la lumière et il est atroce. Des personnes mortes, assassinées ou piétinées en tribunes. 74 au total, tous des supporters d’Al-Ahly. Les circonstances précises de ce drame nous éclairent rapidement sur les coupables et complices de cette tuerie.
Comment est-il possible que des centaines de personnes aient pu rentrer dans l’enceinte, armés jusqu’aux dents, alors que les stades – et encore plus les virages- sont surveillés au plus haut point en Egypte ? Pourquoi la police n’a-t-elle pas protégé les supporters d’Al Ahly ? Pourquoi la police n’a pas empêché l’envahissement du terrain et du parcage ? Pourquoi la police est-elle restée impassible, complice ? Pourquoi les grilles du parcage ont-elles été minutieusement et consciencieusement fermées par la police un quart d’heure avant la fin du match ? Pourquoi les lumières ? Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi eux ? Pourquoi ?
Sans tomber dans une théorie du complot nébuleuse, il est, à l’heure actuelle, totalement juste d’affirmer que les ultras du club de la capitale ont tout simplement été victimes d’une attaque où la complicité de la police ne fait aucun doute. Passivité volontaire ou complicité dissimulée, personne ne le sait. Certains évoquent tout simplement un laxisme volontaire des forces de l’ordre, qui ont laissé agir les ultras de Port-Saïd pour se venger des cinq années d’affrontements les ayant opposés aux UA et de l’humiliation que leur ont infligé ces derniers un an auparavant au Caire. D’autres sources évoquent tout simplement la présence de personnes sans billets dans ce virage, les mêmes qui seraient descendus à la fin du match : des infiltrés de l’ancien régime, selon eux. Les réels coupables, personne ne les connaitra jamais. Les victimes, elles, tout le monde les a encore en tête. Ces ultras étaient un an auparavant sur la place Tahrir à repousser la police des manifestants. Ils sont les artisans de l’humiliation qu’à connue la police le 28 janvier 2011. Ils sont les artisans du changement, de l’anti-répression, de l’anti-police depuis 2007. Ils sont les soldats de la jeunesse, de la révolution, de la liberté depuis 2011 et maintenaient cette pression sur Tantawi. Ils sont morts pour cela.
Cela, leurs meilleurs ennemis, les UWK du Zamalek, l’ont tout de suite compris. L’autre club du Caire recevait le club d’Ismaelya, une heure après le coup d’envoi du match à Port-Saïd. Le match commence dans la plus grande des banalités. Les virages sont remplis, chantent, encouragent, sautent, craquent. Mais d’un coup, petit à petit, les chants s’atténuent, les gens sautent moins, s’assoient, regardent leurs téléphones, les ultras retournent leur banderole, avant de la bruler. Ils réclament l’arrêt du match. Ils ont été avertis du drame qui venait de se dérouler 200km plus loin, à Port-Saïd. Les minutes passent, les informations sont de plus en plus précises, les coupables de plus en plus démasqués. Les UWK apprennent que certains membres rivaux ont été assassinés à cause de ce qu’ils avaient en commun : leur amour des tribunes, leur haine du flic et leur rôle lors de la révolution. Les UWK comprennent que cela aurait pu leur arriver à eux, et que la rivalité sportive doit être mise de côté, car aux yeux de la police ils représentent la même chose : des assoiffés de liberté à abattre.
Lorsque les survivants de Port-Saïd posent le pied sur l’un des quais de la gare Ramsès, au Caire, ils découvrent face à eux une marée humaine. Familles et proches, banals citoyens, révolutionnaires, militants, Ahlawy et UWK unis, drapeaux des deux équipes et drapeau égyptien enlacés. Ils sont tous là, unis, impuissants face à ce qui est le plus grand drame de l’histoire du football égyptien. Le lendemain, à l’aube, le directeur de la ville de Port-Saïd est démis de ces fonctions et la police annonce avoir arrêté une cinquantaine de personnes. Mais le mal est fait, aussi bien au Caire qu’à Port-Saïd. Certains habitants de cette dernière descendent dans les rues à l’annonce de l’arrestation de certains ultras d’Al-Masry, dénonçant un complot. Au Caire, il faut attendre la fin de journée pour voir les premiers affrontements éclater. Un cortège de citoyens, de révolutionnaires, de joueurs de Al-Ahly et d’ultras cairotes se dirigent Place Tahrir et devant le ministère de l’Intérieur où la situation dégénère. Le championnat est suspendu et reprendra à huis-clos, durant trois ans. Le procès de cette tragédie accouche d’une soixantaine de condamnations, dont neuf policiers. Onze ultras d’Al-Masry sont condamnés à mort. Le général Tantawi, lui, sera demis de ses fonctions à l’arrivée au pouvoir de Mohammed Morsi. Durant les trois années qui suivent cette tragédie, tout ce qui est football n’est plus football. Les matchs sont joués à huis clos, silence pesant. Plus personne n’a la tête au football. Les ultras eux, continuent de faire de la rue leur virage et de la politique leur combat. On les retrouve, encore UA et UWK, au front et face aux forces de l’ordre lors du coup d’état institutionnel de Morsi en 2013 et lors du coup d’état militaire du général Sissi un an plus tard.
Un an après, en 2015, après trois ans de matchs à huis clos, le gouvernement ouvre de nouveau l’accès aux tribunes à l’occasion de certaines rencontres. L’une d’entre elles va sombrer dans l’horreur, encore une fois, et dans les mêmes conditions litigieuses. La rencontre entre Zamalek et le club d’ENBI se déroule au stade de l’armée de l’air du Caire et seulement 10000 places sont mises en vente, pour un stade dont la capacité est de 100 000 personnes. Sur les 10000 sésames mis en vente, la moitié est rachetée par le club de Zamalek, à l’initiative de son président Mortada Mansour, puis revendue à d’autres personnes, afin d’éviter au maximum un possible rassemblement d’ultras. Ce dernier, vieil ami de Moubarak, ne les porte pas dans son cœur, loin de là. Ils leur livre un duel infernal depuis leurs création et milite pour que ces derniers soient condamnés pour terrorisme et considérés comme une organisation terroriste. Ce 8 février 2015, 5000 billets sont donc mis en ventes au guichet du stade. Au guichet, sans S, oui. Une seule porte d’accès, un seul guichet, une seule entrée. Une cage entourée de barbelés, un checkpoint d’une étroitesse étourdissante est posté en amont du stade afin de fouiller les supporters, une étape obligatoire pour assister à ce premier match ouvert au public depuis trois ans. Vous l’imaginez parfaitement, l’attente autour de ce match est mirifique. Bien plus de 5000 personnes se pointent devant le stade et s’amassent dans la cage servant de checkpoint sécuritaire, dont notamment de nombreux ultras, qui auraient été prévenus quelques heures auparavant par le club qu’il était possible d’entrer sans billets et que la restreinte de 10000 personnes aurait été levée. Une information à l’arrière-gout de guet-apens…
L’attente de trois ans de huis-clos, la crainte de ne pas avoir de billets, l’étouffement et les mouvements de foule causés par cette structure bétaillère créent une tension palpable dans la cage. Des affrontements éclatent entre les UWK et la police. Des gaz lacrymogènes sont envoyés dans la foule par les policiers qui n’hésitent pas non plus à tirer à la chevrotine lorsque certains individus s’approchent trop d’eux, ne cherchant qu’à s’extirper de ce cul-de-sac métallique. Plaqués contre les grilles, aplatis au sol, asphyxiés sous les lacrymo, acculés par la police, les uns sur les autres, les uns sous les autres, sans issue, destinés à mourir dans cette cage, dans ce guet-apens. Le bilan est insoutenable : 19 morts et de nombreux blessés. Le match se joue quand même, sous ordre du président de Zamalek, malgré l’atrocité de la situation à quelques mètres de là. Seul Omar Gaber, joueur emblématique du Zamalek refuse d’entrer sur le terrain. Sa dignité sera sanctionnée quelques jours après par un licenciement. Comme trois ans auparavant, une nuit de février se finit en larmes au Caire, avec le football au centre des débats. Comme trois ans auparavant, un rassemblement de personnes a lieu en soutien aux victimes. Celui-ci n’a pas lieu à la gare Ramsès mais devant l’une des morgues de la capitale. Parmi cette masse de soutiens, on aperçoit discrètement quelques écharpes et pulls rouge et blanc, aux couleurs d’Al-Alhy. Les soutiens du soir étaient victimes il y a trois ans et soutenus par les victimes actuelles.
Après cet évènement tragique, Mortada Mansour porte plainte à l’encontre des UWK. Selon lui, ils sont les uniques responsables de ce drame. Seize personnes, dont douze membres des UWK seront condamnées dans le cadre de cette enquête. Mansour a réussi son pari, celui de l’éradication du mouvement ultra, ce « phénomène terroriste criminel » comme il le nommait. En mai 2015, la cour urgente des affaires ordonne la dissolution des groupes ultras du pays, après avoir classé les Ultras Ahlawy et les Ultras White Knights comme « organisations terroristes ». Une fin de anti-héros pour ces héros de la liberté, de l’utopie…
« Dans une révolution, on doit triompher ou mourir ». Eux, la mort ils l’ont prise de plein fouet, pour ce qu’ils étaient et ce qu’ils représentaient : des hommes libres, des ultras. Le triomphe, au premier regard et au vu de l’état actuel du pays et du mouvement ultra, ils ne semblent ne pas l’avoir obtenu. Mais qu’importe. Ennemis de couleurs mais frères de combat, brouillés au stade mais unis dans la rue, divisés dans la vie mais ensemble dans la mort, les deux meilleurs ennemis se sont retrouvés main dans la main, bras sous bras, unis dans leur quête de liberté qui s’avéra utopique et meurtrière. Mais n’est-il pas là le vrai triomphe ? Symboles, soldats, héros, mythes, martyrs. Blanc et noir ou rouge et blanc, chevaliers blancs ou diables rouges, Ultras White Knights ou Ultras Ahlawy : Ultras du Caire, à jamais révolutionnaires.
Crédits photos : Islam Safwat/NurPhoto