En ce début d’année 2018, la Bundesliga a connu un tournant : les matchs joués le lundi soir. Déjà quelques fois mis en place en de rares occasions depuis 1964, ce procédé a toutefois été implanté sur des bases régulières durant cette seconde partie de saison. Au grand dam des supporters mais pas que. Retour sur cette décision qui fait polémique outre-Rhin.
Identité allemande et télévision
En effet, cette « innovation » s’est immiscée dans le quotidien des supporters allemands sous l’impulsion de Sky Sports ainsi qu’Eurosport. Ces deux groupes se partagent la diffusion du championnat allemand à la télévision. Et en ce qui concerne ces quelques matchs disputés le lundi soir, c’est Eurosport qui a remporté la mise. Ceci résulte de l’obligation à mettre un terme au monopole de Sky sur la diffusion du championnat allemand. Ainsi, le partage s’est fait pour la somme de 4,6 milliards d’euros, pendant une durée de quatre ans à compter de la saison 2017-2018.
Par conséquent, beaucoup regardent désormais le football au travers du prisme des droits TV. Ce qui est compréhensible du fait de la manne financière que ceux-ci représentent, notamment en Angleterre. Et beaucoup pensent que si l’Allemagne parvient à tutoyer un tel niveau, les clubs comme le championnat pourrait en ressortir grandi. Cette course à l’enrichissement a toutefois des aspects négatifs puisque cela colle difficilement avec le football allemand, tout du moins avec les supporters et autres personnes allant au stade.
À la différence des quatre autres grands du football européen, l’Allemagne a un rapport différent au supporterisme. Il est difficile de voir les Allemands comme des consommateurs. Ce sont plutôt des passionnés vivant pour le football et leur club. Aller au stade est une sorte de religion, quelque soit l’état du club ou les difficultés. L’expérience qu’est celle d’aller au stade est relativement unique en Allemagne. Et sans l’avoir expérimenté à plusieurs reprises, il est difficile de percevoir l’ampleur du phénomène.
Encore une fois, l’identité du football allemand est affiliée aux supporters, l’un ne peut être détaché de l’autre. Et cette décision, même si elle ne s’applique qu’à une poignée de matchs est plus ou moins contradictoire avec les principes chéris par les teutons. Le football le week-end est une longue tradition qui est précieuse pour tous. Le lancement des hostilités le vendredi soir est sûrement la limite à ne pas franchir.
Pour ce qui est du lundi soir, les choses sont différentes. Si cela conforte les personnes devant leur télévision, la situation est toute autre pour ceux qui vont au stade. Pourtant, toucher les spectateurs, c’est bien le postulat de départ. Car en étendant la diffusion de la Bundesliga du vendredi au lundi, le plaisir est prolongé. Mais à quel prix ? Où sont ceux qui font vivre les stades allemands ? Pas dans leur salon. Si cette vision est globalement conservatrice, elle est toutefois partagée en Allemagne.
Concernant les matchs joués le lundi, le « hasard » fait que ce sont uniquement des stades avec une très grosse affluence choisie. On entend par là que ce sont Frankfurt, Dortmund ou encore le Werder Bremen qui sont en haut de l’affiche, par conséquent ce sont des publics très expressifs, qui savent se faire entendre. Et cela s’est vu.
Du mécontentement en tribunes
En réponse à cette décision, les supporters ont rapidement pris le parti de la protestation. Le premier match de cette série de cinq qui s’est tenu entre l’Eintracht Frankfurt et le RB Leipzig a été un festival. Multitudes de banderoles reprenant plus ou moins violement le slogan « Nein zu Montagspielen » (NDLR : non aux matchs le lundi), les supporters sont sortis de leur tribune pour retarder le début du match, sifflets durant tout le match, balles de tennis lancées sur le terrain au début de la seconde période, etc. Les Ultras, les portes-drapeaux de cette « croisade » se sont faits entendre. Et il va sans dire qu’ils n’hésiteront pas à recommencer. Qui plus est, aucune violence n’a été commise.
Le match suivant entre le Borussia Dortmund et le FC Augsburg n’a pas franchement été une bonne publicité pour les matchs du lundi. En effet, si les ultras ont rapidement annoncé le boycott du match, ils ont été suivis dans leur démarche. Le Westfalenstadion était extrêmement clairsemé, et comptait seulement 54.300 supporters. Un chiffre à des années-lumière de l’affluence habituelle. Finalement ce match ressemblait plus à une exhibition, à un match amical qu’à un véritable match de Bundesliga.
Et il est difficile d’imaginer que les autres matchs se dérouleront sans problème puisque tout le monde s’accorde à dire que cela n’est pas une bonne chose pour le championnat allemand. Ceux présents en tribunes ne sont d’ailleurs pas les seuls à émettre des signaux négatifs. Hans-Joachim Watzke, directeur général du Borussia Dortmund, s’est exprimé sur le sujet. Ce dernier a montré qu’il avait bien compris la polémique autour de cette décision, qui se rapproche trop de la physionomie anglaise, aux antipodes de ce que l’on a en Allemagne.
Watzke évoque notamment le fait que les Anglais sont plus « des clients que des membres du club », ce qui est donc un élément d’une importance capitale. Car encore une fois la règle du 51+1 joue, indirectement, un rôle clé. Les supporters allemands ne peuvent être laissés pour compte, et cela en est encore la preuve. Enfin, selon lui, « les contrats TV ne sont pas renégociés avant 2021. Peut-être que quelque chose changera d’ici-là, mais 80% des supporters en Allemagne ne le veulent pas [NDLR : les matchs joués le lundi] et on ne peut rien faire contre ces 80%. Aucune chance ». L’une des têtes pensantes du club au 154.000 membres démontre donc bien que voir s’installer davantage de matchs le lundi au-delà de 2021 est plus ou moins illusoire à l’heure actuelle.
Finalement, il est clair, que la situation est loin de se débloquer. Les supporters ne cesseront pas de protester. Toutefois est-ce que cela sera suffisant malgré leur importance dans le grand échiquier du football allemand ? Difficile à dire, surtout compte tenu du poids des diffuseurs qui ont un argument de taille de leur côté, qui n’est ni plus ni moins que l’argent. L’argent qui n’est finalement que le nerf de la guerre du football moderne.
Crédit photo: Daniel ROLAND / AFP